Rénovation énergétique : quelles perspectives de financement ?
On le sait, le budget de l’État consacré à la rénovation énergétique des logements fait encore débat, malgré les objectifs de massification des travaux par le gouvernement.
« La dotation de l’État, c’est 4 milliards d’euros par an en termes de rénovation. On a 70 milliard, rien qu’en travaux pour les logements F et G », a rappelé Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), lors des rencontres de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Différents acteurs y étaient invités pour discuter de ces travaux d’entretien-amélioration, qui tirent l’activité des artisans du secteur.
Mais alors que l’éradication des passoires thermiques a été enclenchée via la loi Climat et Résilience, pour les copropriétés - qui concentrent deux-tiers des passoires thermiques - la difficulté reste grande, notamment pour régler le reste à charge. Et si le ministre du Logement Olivier Klein souligne que 80 % des aides MaPrimeRénov’ s’adressent aux ménages modestes, voire très modestes, ont généré 1,5 million de chantiers et réduit l'équivalent en consommation d’énergie « de la ville de 600 000 habitants, soit la ville de Lyon », pour le président de la Fnaim, cela ne prend pas.
« Aujourd’hui, nous ne savons pas financer. On l’a réclamé, on l’a demandé, aussi bien à Bercy, qu’à Olivier Klein, mais on n’a pas de réponse », déplore-t-il.
Une courbe du marché entretien-rénovation qui suit celle du PIB
Pourtant, à en croire une étude présentée par Xerfi Spécific, sur les 40 dernières années, le marché de l’entretien-rénovation semble être un bon indicateur de la santé économique d’un pays. Dès les années 1980, « vous avez une croissance très continue, sur un rythme d’1 % par an en modèle constant. Vous avez une dynamique lente, mais persistante, jusqu’à cette rupture de 2009. Depuis cette période, la croissance de ce secteur est beaucoup plus difficile. Le niveau d’activité a même baissé, en particulier les périodes de crises », rapporte notamment son vice-président, Laurent Frelat.
Crise de la dette européenne de 2012, mais surtout crise liée à la crise sanitaire, qui, après une « chute tout à fait exceptionnelle » a laissé place à un « rebond en 2022 ». Autre observation : la courbe de l’entretien-amélioration suit les mêmes fluctuations que la courbe du produit intérieur brut (PIB). « Quand on regarde sur une longue période, on se rend compte qu’il y a un vrai cousinage. Il y a une corrélation très forte entre les deux variables. Cette corrélation n’est pas le fruit du hasard », commente Laurent Frelat.
Car après tout, l’entretien a trois composantes reflétant la vie d’une économie, avec les travaux d’urgence, qui se déroulent à n’importe quel cycle de vie d’un marché. Viennent ensuite les petits travaux d’entretien, associés à une logique de consommation transparaissant dans les revenus du PIB, qui intègre aussi les gros travaux, menés par les ménages mais également les bailleurs sociaux, et cette fois-ci répondant à une logique d’investissement.
Or, le marché l’amélioration-entretien dépend des revenus des ménages et est guidé davantage par un modèle de valeur, que de volume. Traduction : « Il y a une interaction avec le prix de travaux. De façon paradoxale, plus le prix des travaux augmente, plus l’activité en valeur va augmenter elle aussi. Et plus l’activité en valeur augmente, plus il y a des tensions sur la demande, et plus cela va alimenter le prix des travaux à la hausse », décrypte Laurent Frelat. Ce modèle révèle « une très faible élasticité-prix des travaux sur la demande. Même quand les travaux ont tendance à augmenter, il n’y a pas de répercussion immédiate sur les niveaux de la demande. C’est la sensibilité à l’environnement économique, et notamment aux revenus disponibles des ménages et aux PIB, qui va être déterminante », abonde l’intéressé.
À savoir qu’à l’échelle de l’entretien-amélioration, le marché est guidé par diverses variables : inflation des prix (matériaux, production…), baisse du pouvoir d’achat des ménage, augmentation des taux sur le marché immobilier…
La rénovation énergétique, un moyen de gommer l’inégalité sociale
Lorsque ces différentes variables ralentissent le marché de la rénovation énergétique, le climat n’est pas le seul à payer la facture.
Comme le soutient le politologue François Gemmene lors des rencontres de la CAPEB, la rénovation énergétique « va permettre de juguler certaines fractures sociales qui sont parfois engendrées par la lutte contre le changement climatique. On voit bien aujourd’hui que même si une grande majorité de Français se disent tracassés, concernés, inquiets, par le changement climatique. On voit bien à quel point toute une série de mesures de lutte contre le changement climatique peuvent susciter des divisions, qui peuvent ressusciter des clivages anciens ».
Surtout quand des études montrent que les quartiers défavorisés sont plus vulnérables face au changement climatique. « Sur la question des copropriétés, Olivier Klein nous a confié une mission concernant les restes à charge pour les copropriétés en difficultés. On est un petit peu en train d’élargir le champs des travaux. C’est vrai que la capacité à proposer une offre de financement collective aux syndicats de copropriétés, offre qui est insuffisante aujourd’hui - est une piste à creuser qui permettrait une mutualisation », assure Kosta Kastrindis, directeur des Prêts de la Banque des Territoires.
« On voit bien qu’il n’y a pas des millions de manières de faire. Soit il y a la rentabilité propre et ça fonctionne, soit on mutualise, soit on étale les paiements, un peu dans l’esprit du modèle de la proposition votée récemment sur le tiers-financements, qui va permettre d’étaler les paiements » de travaux de rénovation des bâtiments publics, et dont la rentabilité repose sur les économies d’énergie.
Desserrer l’étau des banques sur les prêts immobiliers ?
Mais durant les rencontres de la Capeb, les freins aux prêts immobiliers ont été régulièrement pointés du doigt. La Fnaim a réussi à échanger « avec la Banque de France, qui m’a confirmé et m’a fait la démonstration que ce qui bloquait, c’est le taux d’usure, qui servait de référence à l’obtention d’un prêt pour un syndicat de copropriétaires », confie son président.
D’autant que les aides financières à l’entretien-amélioration sont assez hybrides. « On est entre des prêts à la consommation et des prêts d’investissements, des prêts à la consommation et des prêts au logement. En France, il y a toujours une vision des choses qui est assez silotée », constate l’économiste Nicolas Bouzou.
Les propositions pour débloquer ces freins ont fusé. Parmi ces dernières, Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB propose un financement inspiré du prêt garanti par l’État (PGE) pour les entrepreneurs, mais accordé par exemple par les banques privées aux ménages.
Jean-Michel Woulkoff, président de l’Union Nationale des Syndicats Français d'Architectes (Unsfa), suggère plutôt de plafonner l’augmentation de l’endettement, qui a été multipliée par 3 face à la hausse des taux d’intérêts. « 100 000 euros à 1,2 % en 2020, sur 25 ans ça fait 386 euros par mois de remboursement, avec 15 000 euros d’intérêts sur la durée. Le fait d’être passé à 3,5 % actuellement, on est passé à 45 000 euros d’intérêt, mais surtout 486 euros par mois », expose l’intéressé.
Un avis sur lequel Nicolas Bouzou est « entièrement d’accord ». « Avant il n'y avait pas problème de surendettement massif des ménages en France. C’est une mesure qui est absurde pour des gens qui ont des bons revenus », note l’économiste.
Vers un modèle de financement à l’allemande ?
Autre proposition évoquée durant les échanges organisées par la CAPEB : revoir le modèle de financement de la rénovation énergétique français, en se rapprochant de celui appliqué en Allemagne.
« Il y a une banque publique, la KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau, NDLR), qui refinance à un niveau d’endettement similaire à celui de l’État allemand. Les prêts qui sont distribués par des banques commerciales auprès des ménages allemands. En revanche, à un niveau d’exigence qui est extrêmement élevé, et avec des corps d’ingénieurs qui vont vérifier que les travaux correspondent bien au cahier des charges initial », décrit Kosta Kastrindis.
Pour le directeur des Prêts de la Banque des Territoires : « C’est un mécanisme qui semble avoir fait ses preuves, mais qui été designé de manière très différente du modèle français, qui est plutôt un modèle d’aide à la personne, alors que dans le modèle allemand, les aides ne vont directement aux ménages. Les aides sont imputées dans le financement initial, et donc dans le prêt. Donc c’est la dette qui permet de financer l’investissement. Et ça, dans la culture nationale, c’est quelque chose d’un peu plus disruptif ».
Et, en ce qui concerne de potentiels compléments d’aides demandées aux banques commerciales, le modèle allemand n’est peut-être pas le plus pertinent à l’échelle française. « Les banques commerciales n’ont pas aujourd’hui de problématiques de liquidités. C’est-à-dire qu’aujourd’hui elles n’ont pas besoin de la Caisse des Dépôts ou de la Banque de France pour se refinancer sur les marchés. Le sujet n’est pas là, le sujet est plutôt de mieux paqueter la dette, le financement, avec l’aide pour créer du levier », estime-t-il.
Virginie Kroun
Photo de une : A.A