Recrutement : la maçonnerie et la menuiserie particulièrement en tension
Ce mercredi 30 novembre, le cabinet de conseil et d’étude Kyu Associés partageait son cinquième baromètre Komète des tensions en recrutement dans le bâtiment et les travaux de construction. Le fruit d’un croisement de données de Pôle Emploi et de la Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) et d’autres données publiques et parapubliques, dans le logiciel de big data Komète du cabinet.
En résultent des premiers chiffres : en 2022, 847 000 salariés travaillent dans près de 729 000 entreprises de travaux de construction spécialisés. Soit 5 % du PIB et des salariés en France, et une forte reprise post-pandémie, avec +35 % de CA entre le S1 2020 et le S2 2022.
« C’est vraiment un secteur qui pèse aujourd’hui dans l’activité économique et qui est très dépendant de la conjoncture économique », souligne Antoine Voyer, consultant politique et stratégie emploi au sein du cabinet Kyu Associés, faisant référence à l’inflation. Selon la Capeb, citée dans le baromètre, les prix de matériaux de construction ont progressé de 26 % au second trimestre 2022, pouvant impacter l’activité dans le secteur, et par extension sa dynamique de recrutement.
« Par ailleurs c’est aussi un secteur qui est au coeur de la transition écologique et énergétique, puisqu’il va être à la fois un acteur pour la transition écologique , à travers la rénovation et la construction de bâtiments moins énergivores. Et puis c’est un acteur qui va faire évoluer ses pratiques, pour réduire son empreinte », abonde Antoine Voyer. Empreinte à la fois carbone - car le BTP génère 23 % des gaz à effet de serre - et énergétique - représentant 43 % des consommations.
Des tensions de recrutement dans le bâtiment deux à trois supérieures à la moyenne
Le bâtiment n’est pas étranger aux problèmes de recrutement. Pour preuve, selon le baromètre, depuis 2011, ces tensions y sont deux voire trois supérieures à celles notées dans tous les secteurs confondus. Certes, une baisse du niveau de tension s’est manifestée jusqu’en 2015, mais une intensification s’est amorcée en 2016.
Parmi les facteurs d’augmentation de ces tensions en recrutement, le baromètre Komète du cabinet Kyu place en premier l’intensité des embauches, et ce depuis 2014. « Cette dynamique s’explique par la croissance du marché du bâtiment. La préférence à l’investissement patrimonial et la diminution tendancielle des taux depuis 2015 ont pu intensifier la demande de travail pour les métiers du secteur », lit-on dans l’étude.
Le phénomène s’est particulièrement fait sentir depuis la crise sanitaire, impactant la délivrance des permis de construire comme les mises en chantiers. Autres facteurs évoqués : le manque de main d’oeuvre disponible - avec la baisse du nombre de chômeurs en France depuis 2015 - mais également l’inadéquation géographique.
Des facteurs de tensions différents entre le gros-oeuvre et le second-oeuvre
Les facteurs de tensions diffèrent cependant entre le gros-oeuvre et le second-oeuvre. Le gros-oeuvre est bloqué par l’intensité des embauches (1,5 dans le secteur vs 0,6 tous secteurs confondus en France), « s’inscrivant dans le sillage des forts besoins en recrutement suite aux confinements », commente le cabinet Kyu Associés. À cela s’ajoutent l’inadéquation géographique et les conditions de travail (travail en extérieur, manutention de charge…), structurellement élevées comparées à la moyenne française (0,23 vs 0,17).
Côté second oeuvre, l’intensité des embauches demeure le principal corollaire, bien que ses tensions en recrutement se justifient également par une inadéquation plus forte entre la formation et l’emploi par rapport à la moyenne française (0,13 à l’échelle du secteur vs 0,04 à l’échelle nationale). Il faut dire que cet univers comprend une diversité de métiers (plombier, électricien…), ce qui explique en partie cette inadéquation plus importante.
Il n’empêche que les besoins en main d’oeuvre sur les deux secteurs ont fortement évolué entre le T1 2020 et le T3 2022. Le second-oeuvre se démarque toutefois; avec +54 % d’offres d’emplois sur la période. Un phénomène pouvant s'expliquer par l’absence de saisonnalité dans cet univers du bâtiment, contrairement au gros-oeuvre.
À noter cependant la décélération et la stagnation des offres d’emploi, compte tenu de l’activité immobilière et l’inflation sur le marché de l’emploi. « Les tensions dans le secteur pourraient stagner en fin 2022 et 2023, a fortiori dans le gros-œuvre », prédit-on dans le baromètre.
Les métiers du gros-oeuvre particulièrement en besoins de main d’oeuvre
Mais dans tous ces périmètres de métiers du bâtiment et de la construction, lesquels sont les plus concernés par les tensions en recrutement ? La baromètre Komète observe de fortes tensions dans les métiers transverses (techniciens en mécanique et travail des métaux, dessinateurs en électricité et en électronique…).
« Parmi les 9 métiers contribuant le plus aux tensions dans le secteur du bâtiment, 7 proviennent des activités de gros œuvre », est-il précisé dans l’étude. Le métier de maçon trône dans le classement, avec un indice de tension s’élèvant à 1,25 pour 81 000 salariés en 2021. Encore une fois, cela se justifie par une forte intensité de recrutements, plaçant la profession dans une situation critique (39 % des offres d’emploi au T2-2022). Toujours en comparant les volumes de recrutement, le métier de menuisier se distingue, représentant 15 % des offres d’emploi diffusées dans le secteur. « Les employeurs prévoient 19 210 projets de recrutement en 2022 dont 80,1 % sont jugés difficiles, contre 15 340 en 2021 », rapporte le cabinet Kyu Associés.
Qu’en est-il des postes de cadres dans le bâtiment et la construction ? Les métiers de l’ingénierie - de plus en plus enclins au freelance - se révèlent être les plus recherchés, les besoins étant restés stables jusqu’en 2020, avant un grand bond en 2021 lors de la reprise post-pandémie.
À l’inverse, les métiers de direction et de technologie de l’information et de la communication ont fortement cru entre 2016 et 2019 (entre +80 % et +100 %), précédant une baisse à partir de l’épisode sanitaire. « On observe ainsi une substitution entre les équipes support et d’encadrement et les équipes terrain, qui répondent directement au besoin d’activité », décrypte le cabinet Kyu Associés.
Une augmentation des salaires en vue ?
Le baromètre Komète se penche aussi sur un point : l’augmentation des salaires face aux tensions de recrutement. En effet, entre juin 2020 et juin 2021, les rémunérations dans le bâtiment et la construction ont progressé d’1,7 %, contre +1,3 % en moyenne nationale. Un effet des hausses salariales généralisées à partir de février 2022, marquant le début de l’inflation. Cependant, sur ces derniers mois, les hausses de salaires restent moindres, comparées à l’évolution de l’inflation (+2 % environ entre janvier et juin 2022, contre +4 % d’inflation).
Autre levier pour plus d’attractivité dans les secteurs : les conditions d’emploi comme lutte contre les tensions, enregistrant une nette amélioration entre le T3-2019 et le T3 2022. En témoigne, sur la période, un passage de 70 % de CDI à 72 %, ainsi que 89 % de temps plein à 93 %, dans les offres d’emplois.
Les cadres du bâtiment seraient-ils mieux lotis ? Le baromètre indique le contraire. Si à l’échelle du bâtiment, les salaires des cadres auraient augmenté de 8,7 % entre juin 2017 et juin 2022, la moyenne nationale est plus forte (+9,1 %). Les conditions de travail sur les métiers cadres du bâtiment restent stables face à ceux de tous les secteurs. Tous ces éléments « suggèrent que l’origine des tensions sur métiers cadres provient davantage d’une inadéquation entre les profils disponibles et les profils recherchés qu’un déséquilibre provenant d’une forte intensité d’embauche ou d’un manque profond de main-d’œuvre », conclut le cabinet Kyu Associés.
Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock