Quels défis pour les industries de la peinture ?
Englobant 85 % du marché, la Fédération des Industries des Peintures, Encres, Couleurs, Colles et adhésifs, Préservation du Bois (FIPEC) dépeint une industrie « qui a été sous pression mais qui a résisté », ce mercredi 22 mars.
« L’année 2021, tous secteurs confondus, avait été globalement une belle année. (…) Il y avait eu finalement une érosion des marges, comme en 2022 mais le secteur bâtiment a porté beaucoup notre profession », relève notamment son président Jacques Menicucci, qui appelle cependant à la prudence, compte tenu des tensions dans le secteur.
Le marché du bâtiment sous tension
La FIPEC le rappelle lors de sa conjoncture : les professionnels du BTP sont on ne peut plus vulnérables économiquement, entre le remboursement des prêts PGE et les hausses des défaillances, ou bien des taux immobiliers.
L’inflation n’arrange pas non plus les affaires des industries des peintures de bâtiment, car elles-même doivent répercuter dans les prix de leurs produits les surcoûts des énergies, des transports comme des matières premières, que ce soit sur les résines tels que l’epoxy ou les pigments comme le dioxyde de titane.
La fédération s’est d’ailleurs fortement impliquée dans les concertations avec le ministère de l’Économie et des Finances, qui lançait fin janvier son dispositif d’analyse coûts de matériaux de construction. « On a des contacts directs avec Bercy qui reçoivent régulièrement de nos chiffres-clé. On a même monté un observatoire des matières premières (…) », précise Teoman Bakoglu, directeur des Affaires publiques et économiques de la FIPEC.
Des réglementations à respecter sur un timing trop court
Autre source de contraintes : la règlementation, notamment européenne dans le cadre du Green Deal, à laquelle les industries doivent s’adapter. Cependant, « le timing est souvent est trop court », déplore Jacques Menicucci.
La FIPEC fait notamment allusion à la réforme Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH), qui restreindrait 14 000 substances concernant le marché de la peinture. Celles-ci sont visées pour la présence d’actifs, pourtant utilisés à des objectifs de rénovation ou de décarbonation, mais dangereux pour la santé d’autrui et l’environnement. Toutefois, si « le risque est pondéré par l’usage et la transformation les industries, ou que le professionnel est formé à l’utiliser, il y a peut-être place à la discussion », plaide Teoman Bakoglu.
« En ce moment on se bagarre avec des conservateurs. On doit faire des produits qui sont durables. Idéalement ces produits, quand ils sont en fin de vie et qu’ils n’ont pas été intégralement consommés, doivent se retrouver en capacité d’être remployés. Sauf qu’en ce moment ces produits, il y a des consommateurs qui sont visés pour des raisons de santé et pour lesquelles on n’a pas d’alternative identifiée », cite Guillaume Frémaux, président de la Commission Affaires Publiques sur la stratégie de décarbonation de la FIPEC.
D’autant que « pour reformuler un produit, il nous faut six mois, un an », nous expose Jérôme des Buttes, président de l’Association Française des Industries des Colles, Adhésifs, Mastics et Mousses expansives (AFICAM), rattaché à la FIPEC. Mais quand la réglementation donne deux ans, certes le délai de formulation est tenable, mais « vous avez plein de produits, le laboratoire travaille un an pour un produit, puis un an pour le deuxième », détaille-t-il.
Une filière de recyclage à déployer
Mais qu’en est-il de la filière du recyclage des peintures, sujet au coeur de la loi AGEC et la REP bâtiment en France ? « On a un produit qui n’est pas censé se retrouver en fin de vie, vu qu’il est appliqué sur des supports. Vous pouvez démolir à un moment une maison qui a été peinte, mais la peinture en tant que telle n’est pas censée se retrouver en fin de vie », répond Guillaume Frémaux. « On parle pour le recyclage d’une partie minoritaire de notre marché qui n’est pas consommée, qui est fabriquée pour rien et qui se retrouve en déchèterie », poursuit-il.
Une étude impulsée par la FIPEC explore deux voies de recyclage pour ces restes de peinture. D’un côté leur reconversion dans d’autres produits, comme le plastique ou le béton. De l’autre, réutiliser l’ancienne peinture pour faire de la peinture neuve, mais le bémol demeure la réglementation REACH, qui réclame pour ce processus une liste exhaustive de tous les composants chimique de la formulation. Toutefois, du détergent aux mégots de cigarettes, n’importe quoi peut se mélanger aux résidus de peinture. « Le problème c’est que lorsque je récupère des fonds de pot en déchèterie je ne connais pas les formules de mes confrères, je ne connais non plus ce qui a animé le cycle de vie du bidon entre le moment où je l’ai posé sur un quai de livraison et le moment où c’est arrivé en déchèterie », explique le président de la Commission Affaires Publiques sur la stratégie de décarbonation de la FIPEC, aussi président du fabricant Haghbaert & Frémaux.
Pour ce qui est du biosourcé, de plus en plus encouragé dans la commande publique, « l’enjeu fort pour nos secteurs est de clarifier l’allégation biosourcée techniquement », affiche Teoman Bakoglu. « La peinture aqueuse, il y a de l’eau dedans. Ce n’est pas une justification suffisante pour qualifier le produit biosourcé », évoque le directeur des Affaires publiques et économiques de la FIPEC. Si la fédération s’ouvre à cette voie, « il ne faut pas déstabiliser les autres filières d’approvisionnement de végétaux, parce que les conséquences sur l’ensemble des marchés connexes vont être dangereuses », signale Jérôme des Buttes, citant le risque inflationniste dans l’agroalimentaire, notamment.
Adapter la machine industrielle à la transition énergétique
Dernier sujet à la fois bas carbone et inflation pour les industries de la formulation des peintures : la transition énergétique. « Les intentions étaient là depuis longtemps. Les industries ont investi massivement depuis des années pour baisser leur empreinte carbone, parce que c’est une industrie qui est ancienne est qu’elle est éduquée, acculturée à progresser en permanence », affirme Guillaume Frémaux. « Mais l’honnêteté commande de reconnaître que la très forte inflation des coûts énergétiques cette année va quand même sacrément accélérer le processus d’investissement et orienter les priorités dans beaucoup de nos usines », condède-t-il.
Mais quitte à investir dans les énergies renouvelables ? La réticence à cette option est palpable, car il ne s’agit pas d’une énergie assez continue pour faire tourner les usines. Le mieux est donc de partir « du principe que le kWH le plus économe c’est celui qu’on ne consomme pas. Je pense que le plus gros c’est d’aller vers l’électricité décarbonée », suggère le président de la Commission Affaires Publiques sur la stratégie de décarbonation de la FIPEC. Plus précisément en renouvelant le parc de machines - se doter de moteur à ultra-haut rendement - et d’optimiser les systèmes d’éclairage, de chauffage ou de transport.
« Ce que font nos industries depuis des années ce sont les principes de la chimie verte », avance de son côté Jérôme des Buttes. Pour le président de l’AFICAM, moins consommer d’énergie, moins consommer de matières premières, c’est « gagner de l’efficacité sur tous les postes ». Il convient donc de moins perdre de matières lors des mélanges. Comment ? En travaillant les réactions chimiques utiliser toutes ces matières, en calorifugeant les cuves pour chauffer davantage le produit que l’air ou éviter de jeter une fin de nettoyage d’un produit pour le diluer dans celui d’après. « Autrefois c’était jeté, aujourd’hui on le remet dans le produit d’après pour ajuster une viscosité », nous révèle Jérôme des Buttes.
De quoi encourager la R&D et l’exploration de nouveaux procédés industriels au sein de la FIPEC. Car après tout, « nous sommes de l’industrie de la formulation, si on n’innove pas on avance pas », rappelle le président de la fédération.
Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock