Matériaux de construction : -8,2 % pour la production entre janvier et octobre
L’Union nationale des Industries de Carrières et Matériaux de construction (Unicem) l’avait déjà évoqué fin novembre : après une éclaircie estivale, le syndicat constatait un contexte morose en septembre. En cette fin d'année, l'Unicem présentait ce jeudi les premiers chiffres de 2023 et les perspectives pour 2024.
« On a une vision sur une bonne partie de l'année puisqu’on a 10 mois connus à ce jour. Sachant que le mois d'octobre est encore pour le moment provisoire. Mais on a quand même une évolution qui est de l'ordre de -8,2 % sur l'ensemble de l'année, comparé à l'année dernière », évoque d’entrée de jeu Carole Deneuve, cheffe du service économique au niveau de l'Unicem, à l'occasion d'un point presse.
La production en volume descendrait donc à 321 millions de tonnes pour les granulats et à 36,7 millions de m3 pour le béton prêt à l’emploi (BPE). En pourcentage, cela représente respectivement une régression de 7,5 % et de 6 % en volume et en brut.
Une production qui porte les stigmates de l’inflation et de la crise du logement
« L’année a été à peu près conforme à cette moyenne puisqu’on a une succession de chiffres négatifs au cours des trimestres », poursuit Mme Deneuve.
« En revanche, ce qu'il faut noter, c'est que les matériaux de ce panier sont exclusivement destinés au secteur du logement, majoritairement. Les briques, les tuiles, les produits béton accusent des baisses beaucoup plus marquées. Et c'est tout à fait compréhensible, puisque c'est en lien direct avec la crise du logement que l'on vit actuellement », indique-t-elle.
Rebond de l’activité après-Covid sur fond de pénuries d’approvisionnement en 2021, hausses des prix de l’énergie et inflation généralisée en 2022, flambée des taux d’intérêt et crise du logement neuf en 2023… L’historique des crises de ces dernières années n’est plus à détailler.
« Bien évidemment, le marché de la construction a été très impacté. Nos matériaux ont suivi un peu le mouvement. On a cette décélération. Depuis, on a un atterrissage qui s'est un tout petit peu calmé. Mais on est sur des glissements annuels qui sont de l'ordre de -7 % », nous confirme Carole Deneuve.
Cela se remarque aux mises en chantier, qui, « à fin octobre, sont encore en repli de 22 % », mentionne la cheffe du service économique de l'Unicem. « Les réservations auprès des promoteurs sont également en net repli, puisqu'on est sur des contractions assez violentes, de l'ordre de 40 % au 3ème trimestre 2023. Par rapport à l'année dernière, les promoteurs se plaignent. Deux-tiers des projets sont soit reportés, soit annulés, parce que faute de crédit, faute de financement. On va attendre que la vague passe », développe l’intéressée.
Plus de demande côté TP que bâtiment ?
Les travaux publics, de leur côté, représentent « l'ombre la plus éclairée au tableau », selon Carole Deneuve. « On a un cycle électoral qui semble un peu ranimer l’activité. On a des travaux réalisés qui aujourd'hui sont plutôt en en hausse de près de 5 % à la fin octobre sur un an en volume. On a des marchés conclus, des carnets de commandes, qui, eux, sont en hausse de 13 % », détaille-t-elle.
L’experte nuance cependant ce rebond d’activité : « Le souci, c'est que pour le moment c'est un réveil qui est encore assez hétérogène, qui ne concerne pas la totalité des territoires, qui est assez focalisé sur des grandes agglomérations, qui concernent des grands projets. Et qui surtout n'est pas bien dispatché dans toutes les spécialités des travaux publics. Aujourd'hui, on a des choses qui concernent surtout des projets de transport urbain, de génie civil ou encore des projets sur l'énergie, etc. »
Le tout en soulignant l’impact de la crise du logement neuf sur la conjoncture des travaux publics « puisqu’il y a toute une partie d'ouvrages privés qui gravitent autour », notamment tout ce qui est réseaux et voirie.
« Les perspectives ne sont pas au beau fixe », selon le président de l’Unicem
Pour 2024, l’Unicem s’attend à un bilan similaire, voire pire, alors que la crise du logement est « toujours prégnante », selon Carole Deneuve. Les premières estimations fixent à -10,5 % la chute l’activité du BPE entre 2023 et 2024, et à -6 % celle des granulats sur la même période.
« Les perspectives ne sont pas ne sont pas au beau fixe », résume Alain Plantier, président de l’union, mentionnant, depuis 2021, des baisses de l'ordre de -20 % d’activité. « Ce qui est quand même considérable », commente-t-il.
Autre indicateur : l’optimisme des entreprises, qui décline en 2023 par rapport à 2022. Ainsi, selon une enquête d’opinion, la part des adhérents envisageant une forte baisse passe de 8 à 17 %, de ceux prévoyant une baisse de l’investissement de 17 % à 83 %, et de ceux envisageant une baisse de l’emploi de 8 à 58 %.
Côté BPE, l’Unicem redoute l’impact considérable des JO de Paris 2024. « Les restrictions connues à ce jour et les arrêts de chantiers (libération des emprises, etc.) pourraient ainsi amputer l’activité BPE d’environ 1,5 point sur l’année pour la France entière », lit-on dans un communiqué.
« On a des sites olympiques pour lesquels il va y avoir des mesures de sécurité renforcées. On a regardé les départements qui pourraient être potentiellement touchés. Nous avons géocodé les centrales de BPE et tous les sites olympiques qui peuvent perturber l'activité de ces unités de production. D’autant qu'on a pas encore d'éléments sur l'utilisation de la voie fluviale, qui risque quand même d'impacter lourdement, l’approvisionnement de ces centrales en matériaux », précise de son côté Carole Deneuve.
La politique du logement décisive dans l’activité des matériaux de construction
L’Unicem pointe également du doigt un autre facteur de baisse : « la disparition progressive et programmée des mesures de soutien à l’accès au logement ». Le gouvernement a effectivement a exclu du PTZ la maison individuelle et de certains territoires. « Sans oublier la suppression du dispositif Pinel à fin 2024, le tout dans un contexte de raréfaction du foncier avec la loi ZAN », évoque l’union.
Des choix qui peuvent renforcer un « comporterment de fourmi », d’épargne chez les ménages français, alors que « les banques reviennent sur le marché du crédit, puisqu'elles ont un peu retrouvé de la rentabilité sur les taux etc. », remarque la cheffe du service économique de l’Unicem. L’organisation « appelle de ses voeux une véritable politique du logement ».
« Les mesures proposées récemment par la Première ministre Elisabeth Borne sont à saluer mais seront loin d’être suffisantes pour faire face à l’ampleur de la crise résidentielle actuelle. L'Unicem appelle donc les pouvoirs publics à remettre en place des mesures qui permettront d’éviter de creuser encore la pénurie actuelle de logements, d’offrir des habitats de qualité et d’empêcher que la rareté de l’offre résidentielle n’alimente de nouvelles tensions inflationnistes sur le marché immobilier », revendique-t-elle.
Des perspectives d’embellie existent cependant pour l’Unicem, notamment sur le plan développement durable. La fédération estime son entrée dans la dynamique responsabilité élargie du producteur (REP Bâtiment) « réussie ». Plus de 95 % des structures adhèrent à l’un des éco-organismes selon ses chiffres. Dans sa filière granulats, l’Unicem souhaite diviser par quatre les émissions de CO2 d’ici 2030. Au-delà de la sobriété énergétique, l’union veut s’engager dans la sobriété hydrique, et la protection de la biodiversité, notamment par des services rendus aux territoires qui les accueillent (réserves d’eau, production d’énergies renouvelables et réaménagement de terres agricoles).
Virginie Kroun
Photo de Une : Alain Plantier et Carole Deneuve - Unicem