Le marché immobilier des bureaux d’Île-de-France va t-il résister à la crise ?
Atteint d’une fièvre sans précédent, le marché des bureaux d’Île-de-France est lui aussi malade, atteint des premiers symptômes de la baisse des ventes des suites de la propagation du coronavirus, et des mesures de confinement mises en place par le gouvernement. Dès le début du premier trimestre 2020, le marché n’était pas dans une forme olympique : 465 000 mètres carrés de bureaux avaient été placés dans la région parisienne, contre 538 000 mètres carrés en 2019, à la même période. La crise sanitaire du coronavirus a donc engendré une diminution de 14 % de mètres carrés de bureaux placés dans la région.
Knight Frank France, chargé de cette analyse, ne garantit cependant pas que cette diminution tiennent entièrement du fait du coronavirus « nul ne peut savoir quel aurait été le niveau des volumes commercialisés si la crise sanitaire n’avait pas éclaté ». En amont de la pandémie, la baisse du marché locatif débutait déjà, « et ce dès 2019 ». En effet, les résultats du marché locatif ne cessent de diminuer, et se retrouvaient, au premier trimestre 2019 « nettement inférieurs à celui des 1ers trimestres 2017 (611 000 m2) et 2018 (747 000 m2) ».
Les transactions souffrent elles aussi ce premier trimestre. Seulement 9 transactions concernent des bureaux de plus de 5 000 mètres carrées, contre 21 transactions au premier trimestre 2018, et 14 en 2019. Côté volume, ces « grandes transactions » ont diminué de 46 % sur un an. Les transactions moins importantes tiennent le coup avec une légère baisse de 2 %, mais elles pourraient encore diminuer « en raison de l’impact attendu du Covid-19 sur l’activité des TPE et PME ». Heureusement, les transactions dans Paris intra-muros ont toujours la côte et résistent bien, pour le moment, au coronavirus, avec un volume proche de celui de l’année précédente, soit presque 200 000 mètres carrés. « Les autres secteurs tertiaires de la région parisienne sont quasiment tous orientés à la baisse ».
Coronavirus : quelles conséquences attendues ?
Les conséquences sont difficiles à estimer, mais les restrictions de travail ordonnées par le gouvernement agissent comme un blocage au marché des bureaux de la région. Ces restrictions ont pour action directe de créer une cessation brutale de l’activité, car les utilisateurs ont reportés la concrétisation de leurs projets immobiliers. Knight Frank France prévoit une chute importante des volumes placés, au mieux, cette chute serait proche des creux d’activités les plus importants (1,48 million en 2002, et 1,75 million en 2013). La société prévoit tout de même des issues optimistes, notamment si les transactions de volumes importants repartent à la hausse, engendrant ainsi des déménagements d’entreprises, et donc des mouvements immobiliers.
Plusieurs scénarios peuvent se produire entre la « sur-offre et la normalisation ». Le premier cas, celui de la sur-offre. En début d’année, plus 1,5 million de mètres carrés de bureaux étaient déjà en cours de chantier. Ce niveau élevé laissait envisager une « hausse générale de l’offre ». Cependant avec la crise, le spécialiste de l’immobilier de bureaux prévoit une amplification du taux vacance. Malgré tout, à Paris, « la part élevée des pré-commercialisations (59 % des m2 actuellement en chantier) devrait permettre de compenser la baisse de la demande et contenir la progression de la vacance ». Dans certains quartiers de Paris comme La Défense, une augmentation des bureaux vacants était déjà prévu : 370 000 mètres carrés de bureaux en chantier sont disponibles, tandis que la consommation moyenne est de 95 000 mètres carrés. La vacance devrait aussi s’accentuer dans le nord de la région, où seulement 10 % des mètres carrés en chantier ont été pré-loués. Ce déséquilibre peut toutefois être contenu, notamment grâce au retard des chantiers, ceux attendus pour 2022 devraient se terminer plus tard, réduisant pour un temps l’offre disponible. L’ajournement de l’instruction et la délivrance des autorisations d’urbanisme, en concordance avec un report du second tours des élections municipales, pourraient aussi jouer sur la balance.
L’incertitude plane sur l’avenir des valeurs locatives. Selon Knight Frank France, le manque de visibilité sur ce marché perdurera tant que les mesures de restrictions de travail et de déplacements ne seront pas levées. Les loyers des bureaux en Île-de-France étaient supérieurs à la moyenne décennale. Une des conséquences directes du Covid-19, avec la livraison de nombreux chantiers associée à la libération de bureaux, est la baisse des loyers, notamment dans les villes qui connaissaient une nette hausse de ces loyers. À contrario, la diminution des loyers serait limitée à Paris intra-muros, du fait d’un nombre de chantier restreint et de la forte demande de certains secteurs (le luxe, le conseil et la finance).
Un bureau pour favoriser la socialisation
C’est un des constat de la société immobilière : le télé-travail et les mesures de confinement renforcent l’importance de la socialisation. De fait, les entreprises rechercheraient un espace combinant bien-être, productivité et innovation. Ainsi les entreprises pourraient choisir des locaux plus petits, situés dans les meilleurs quartiers. Le coût élevé des loyers ou du montant d’achat des bureaux compenserait la diminution des surfaces occupées.
Face à une possible répétition de cette crise sanitaire dans le futur, les entreprises pourraient également privilégier des stratégies multisites, évitant ainsi le regroupement de leurs effectifs dans de très grandes surfaces, soit la tendance actuelle des bureaux et open-space. Même si cette éventualité est à prendre en compte, les employeurs favorisent la collaboration entre leurs salariés, il est donc plus probable que les espaces de travail évoluent pour assurer la sécurité des collaborateurs.
Une autre conséquence du coronavirus est la diminution des surfaces de coworking. Cependant, il est possible que la fin de la période de confinement s’accompagne d’une reprise de la croissance de ces espaces. Les difficultés économiques des entrepreneurs et des petites entreprises engendreront des fortes difficultés pour le coworking. Les grands groupes seraient eux aussi tentés de quitter le coworking. Premièrement pour alléger les coûts immobiliers, puis pour assurer la sécurité de leurs collaborateurs. Les loyers non-perçus à cause des difficultés économiques des entreprises pourraient forcer les opérateurs de coworking à mettre la clé sous la porte. Knight Frank France privilégie pourtant un scénario médian, notamment car le coworking est toujours tendance et connait jusque là un grand succès.
Le secteur de l’immobilier et des bureaux a déjà connu des difficultés de reprises aprè le krach de 2000-2002 et la crise des subprimes en 2008. Le secteur n’en n’est donc plus à sa première crise, mais cette crise sanitaire pourrait avoir des conséquences inattendues. Selon Knight Frank Franz « d’après certains, la crise pourrait être moins longue et moins profonde que la crise financière de 2008 », mais les avis restent toutefois partagés.
J.B
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