Le chauffage au bois, pratique ancestrale mais aussi spécificité régionale ?
Dans notre magazine de mars consacré au made-in-France, nous découvrions des ressources françaises inspirant de nouveaux modes constructifs. Sans surprise : le bois faisait partie des atouts du territoire, applicable aussi bien pour le gros-oeuvre que pour le chauffage.
+12,3 % de ventes d’appareils bois entre 2019 et 2021
Le dernier baromètre Observ’ER 2023 le confirme : « Selon le SDES, le bois reste la principale énergie renouvelable utilisée dans les logements, avec environ 7 Mtep en 2021, devant les pompes à chaleur (3,2 Mtep). Dans son ensemble, le SDES a estimé la consommation d’énergie primaire biomasse solide à 10,9 Mtep en 2021, établissant un nouveau record qui efface les 10,7 Mtep consommés en 2016. La consommation est en augmentation de 10,9 % par rapport à 2020, soit une contribution supplémentaire de 1 Mtep ».
En 2021, « après trois années de baisse consécutives », les ventes d'appareils ont rebondi de 34,4 % par rapport à 2020, avec 422 930 pièces vendues. Une croissance semblable à celle des poêles (+34,9 %) et tirée par les chaudières (+104,6 %). Par rapport à 2019, période référence d’avant-crise sanitaire, les ventes grimpent de 12,3 %.
Autre observation inédite cette année-là : pour la première fois sur le marché français, les ventes d’appareils à granulés (50,4 % des ventes) dépassent celles des appareils à bûches. « Les premiers poêles à granulés sont arrivés en 2005 en France donc ce n’est pas si vieux que ça », nous confie Loïc Godard, directeur des Ventes Bois Energie chez Poujoulat, fabricant de conduits de fumée et sorties de toit. Il n’empêche que « quand on compare un parc d'appareils bûche et un parc d'appareils à granulés, la bûche est toujours très importante. Mais au fil des années, tout cela va progresser », précise-t-il.
Il faut dire que le chauffage bois, reconnu comme économique, est une pratique ancestrale. « Le chauffage bois a toujours existé. Ces dernières décennies, tout le monde s'est chauffé plus ou moins au bois ou à d'autres combustibles », nous rappelle Loïc Godard.
Toutefois, malgré sa démocratisation, le chauffage au bois a-t-il plus de succès dans certaines régions que d’autres ? Réponses avec nos experts.
Le recours au chauffage bois, une logique moins régionale…
Si l’on se base uniquement sur les ventes recensées par Observ’ER, l’Auvergne Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine sont les régions les plus équipées en appareils de chauffage bois. « L'une comme l'autre sont à plus de 13 %. Après cela descend à 9,5 % pour la Bretagne, et la moins forte en termes d'équipement d'appareils de chauffage, c'est la Corse, avec 0,5 % », cite Éric Vial, directeur de Propellet, association nationale du chauffage au granulé de bois.
Il souligne toutefois : « Ces chiffres sont donnés en valeur absolue. Par exemple, il y a 1 000 appareils en Auvergne Rhône-Alpes, uniquement 100 en Corse. Sauf que la population d’Auvergne Rhône-Alpes est bien plus développée que la population de Corse. Donc il faut relativiser par rapport à la population des régions ».
Peut-on toutefois faire le lien entre consommation de chauffage au bois dans certaines régions et l’importance de leurs ressources forestières ? « On peut parler de l’Est de la France, où les températures hivernales peuvent être plus importantes qu’ailleurs. C’est aussi dans la culture de se chauffer au bois. Ils ont toujours utilisé le chauffage au bois et ils continuent de l'utiliser parce qu'il y a une ressource bois importante », nous évoque Loïc Godard, de Poujoulat. Et d’ajouter : « Il y a du bois aussi bien en Bretagne que dans le Sud-Ouest de la France. Dès qu'on rentre dans les terres, que ce soit la Dordogne, la Corrèze, tout le massif central, on a de la ressource bois ».
« C'est vrai que les régions traditionnellement boisées avaient déjà une culture plus importante du chauffage au bois », reconnaît Patrice Escrieut, président de la Fédération des installateurs de poêles et cheminées (FIPC). Il observe également l’essor des poêles à bois ces 20 dernières années, grâce auquel « par exemple, la région Bretagne, la région Poitou-Charentes étaient très dynamiques en termes de chauffage bois. Si je prends la région Poitou-Charentes, le territoire aidait les installations de chauffage bois, de biomasse, notamment avec les fonds Air Bois ».
« La forêt française est tellement étendue sur le territoire, que, dans beaucoup de régions, il y a du bois à proximité, donc les gens l'utilisent », insiste M. Godard avant de conclure : « C'est compliqué d'établir une cartographie ou une régionalisation de l’énergie bois, de dire si l'Ouest est plus fort que l'Est, le Nord, ou le Sud. Les utilisations sont pas toujours tout à fait identiques. Il y a des besoins différents donc des systèmes de chauffage différents ».
… que de besoins en énergie, de type d'appareil...
« Finalement, l’explication n’est pas liée à au bois. C’est une question liée aux énergies. Il est évident que dans le Sud, et plus précisément en Méditerranée, on utilise moins de chauffage tout court que dans des régions comme l’Alsace, où il fait quand même plus froid de manière générale », compare de son côté Éric Vial.
Même son de cloche du côté de Patrice Escrieut. « On a autant besoin de chauffer à Toulouse qu'à Strasbourg. Sauf qu'à Toulouse, on va plutôt déshumidifier alors qu'à Strasbourg, compte tenu du climat, on va chauffer tout comme en Savoie. Du coup, le type d'appareil va être différent », expose le président de la FIPC. « Si c'est un produit de complément, il va falloir avoir un chauffage rapide, pour une montée de température assez rapide. Je prends un exemple : la personne a un plancher chauffant, elle rentre le soir, elle veut chauffer rapidement. On va la destiner à un appareil de type typologie acier, qui va chauffer très vite. Si par contre une personne a besoin d'inertie, on va aller sur des poêles avec de l'accumulation pierre ou des poêles de masse, qui vont peser entre 1,5 tonne et 2 tonnes », détaille-t-il.
Dans le sud de la France, on apprécie certes plus le chauffage au bois pour « la beauté de la flamme », pour reprendre les termes de M. Godard. Pour autant, « le sud-est de la France a toujours été une grande région consommatrice de chauffage au bois. Les ventes d'appareils, il y a quelques années, étaient très fortes en bois bûche sur le sud de la France, parce que du coup, les gens utilisaient très peu le chauffage central et utilisaient le chauffage au bois comme un appoint assez important, pour chauffer l'habitat », estime le directeur des ventes bois-énergie de Poujoulat, en se basant sur le nombre de conduits de fumée raccordés aux appareils.
… mais aussi de ressources bois sollicitées
« Le nord de la France est aussi une région importante pour l’énergie bois bûche. Par contre, les ventes d'appareils à granulés sont plus importantes sur le Nord que dans d’autres régions. Parce qu’il y a moins de ressources et la concentration des maisons font qu’ils n’ont pas de place pour stocker le bois, etc. Donc ils sont plus consommateurs de poêles à granulés », décrit également M. Godard
Est-ce donc là que résident les spécificités régionales du chauffage bois : le type de ressource utilisée ? « Ce qu'on peut dire malgré tout, c'est que les personnes qui sont plutôt sur des zones urbaines, sont plutôt destinées à des appareils à granulés. Notamment du point de vue du stockage, car stocker du combustible bois quand on est dans un appartement, c'est plus compliqué que du granulé. Et les territoires plutôt ruraux sont plutôt traditionnellement bois-bûche », nous répond Patrice Escrieut de la FIPC
« Tout le monde ne mettra pas une chaudière bûche pour une raison de région, mais aussi pour une raison de contexte de l'appareil. Si vous n’avez pas de la place pour stocker vos bûches, si vous ne produisez pas vos bûches vous-même, ou si vous n’avez pas un moyen facile d'approvisionner vos bûches, cela n’a pas beaucoup d'intérêt. Ce n’est pas lié à la géographie, c'est complètement lié à la typologie de l'appareil », complète Éric Vial de Propellet.
D’ailleurs, si des tendances se dessinent dans des territoires précis, elle ne sont pas inscrites dans le marbre. « Il est possible d'avoir des personnes même sur Toulouse qui veulent se chauffer avec un poêle de masse en chauffage majoritaire. On va simplement adapter la puissance de l'appareil. C’est plutôt une réponse aux besoins et c'est pour ça qu’il faut accorder beaucoup de temps à la visite technique, pour bien cerner le besoin du particulier », nous illustre par exemple le président de la FIPC.
C’est justement dans le cadre de cette démarche que la fédération a sorti une application : déperditiondechaleur.fr. L’outil aide l’installateur à dimensionner l’appareil, en fonction de la déperdition de chaleur dans l'habitat, mais aussi à comparer avec les énergies déjà en place. « On a même poussé l'expérience en mettant un coefficient d'utilisation de l'appareil. C’est-à-dire si c’est un appareil de chauffage principal, de chauffage intermittent ou de chauffage plaisir », souligne M. Escrieut.
Installateur de chauffage bois, un métier en quête de reconnaissance en France
Fondée le 22 mars 2022, la FIPC réunit aujourd’hui 300 adhérents, répartis sur tout le territoire. Et s’il y a un enjeu national pour ces professionnels, c’est le recrutement.
« On a été confrontés à de grosses problématiques de recrutement. Avec 30 de mes collègues, on a décidé de créer la FIPC, pour entreprendre une montée en compétence et développer un titre RNCP [Répertoire national des certifications professionnelles] pour le métier d'installateur d'un appareil de chauffage bois », nous explique son président. « Aujourd'hui, notre métier n'existe pas sur le registre officiel. Le but, c'est de le faire reconnaître. C’est un processus qui dure minimum trois ans, que l'on a engagé en 2023. On a espoir que France Compétences valide le titre en 2025 », poursuit-il.
La fédération dénombre aujourd’hui entre 1 500 et 1 700 installateurs spécialistes du chauffage bois. Mais la main d’oeuvre doit se renouveler chaque année. Soit pour renouveler les équipes, soit pour faire face à l'augmentation du marché.
Pourtant, à l’échelle du chauffage bois à granulés, le marché semble avoir changé. L’association Propellet nous fait état d’« une crise globale depuis depuis un an et demi ». « En 2022, on a installé plus de 180 000 appareils et 40 000 chaudières. On avait atteint le seuil des volumes d'installation, correspondant aux objectifs que l’Ademe et l’État nous avaient fixés. La filière s'était organisée pour et puis maintenant, on a une telle forte baisse des des ventes d'appareils que les professionnels capables de faire les installations sont partis faire autre chose. Il va falloir les récupérer quand cela va redémarrer », nous explique Éric Vial.
Crise que M. Escrieut de la FIPC semble relativiser. « Effectivement le marché a un petit peu diminué, mais le nombre de personnes à former aujourd'hui serait entre 600 et 1 000 personnes par an », maintient-il.
Reste à savoir si les prochains chiffres officiels du marché chauffage bois s’aligneront sur ces besoins en main d’oeuvre.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock