Face aux températures extrêmes, quels risques et solutions pour les travailleurs ?
Du fait du dérèglement climatique, les étés caniculaires sont amenés à se répéter de plus en plus fréquemment. Des températures auxquelles doivent faire face les compagnons. Quels peuvent être les effets de fortes chaleurs sur ces derniers ?
Malika Benamar : Les fortes chaleurs peuvent amener à dépasser sa capacité de sudation. L’organisme va avoir du mal à s’adapter. La chaleur va avoir un effet direct sur les cellules du système nerveux central, qui tournera moins bien sous 41°C par exemple. Tous ces éléments peuvent entraîner des réactions en cascade ou de façon isolée. Cela peut aller des maux de tête à de la confusion ou du ralentissement psychomoteur. Les fortes chaleur peuvent également conduire à un dérèglement qui peut aller jusqu’à la crise convulsive ou le coma.
Le risque de coup de chaleur est un risque qui nécessite une urgence vitale. À ce titre, il est important de bien comprendre ce qui est généré par ces fortes chaleurs pour pouvoir adapter son travail à l’atmosphère ambiante. De plus, dans le cadre de leur profession, les compagnons peuvent être amenés à faire des efforts physiques. La chaleur du corps va se surajouter à la chaleur de l’atmosphère, ce qui va créer une saturation. C’est pour cela que les sujets de la mécanisation des chantiers, de l’adaptation des efforts physiques et du travail pendant ces périodes-là sont très importants.
Et pour ce qui est des risques liés au froid ?
M.B. : Même si les hivers sont de plus en plus doux, il y a toujours des hivers avec des températures négatives, comme dans le Grand Est par exemple. Les travailleurs ont tout autant besoin de conditions adéquates pour travailler et préserver leur santé. Des températures trop basses peuvent entraîner de l’hypothermie, des effets accrus de fatigue, de perte de dextérité. Les états de transformation impactent la santé et peuvent générer des accidents de travail. Un autre risque majeur lié au froid c’est le monoxyde de carbone. Si les travailleurs utilisent un chauffage, ou si jamais il y a une accumulation de dégagement de CO, le risque pour ces derniers est d’être victime d’une crise liée au monoxyde de carbone.
Que peuvent mettre en place les employeurs et l'OPPBTP pour les salariés en cas de températures extrêmes ?
M.B. : Aujourd’hui, c’est à l’employeur que revient la décision de poursuivre le travail ou d’adapter son organisation, et notamment la tâche qui est réalisée par les salariés. Cependant, il y a deux points importants. Premièrement, la réglementation n’indique pas de température sur les limites de travail. Il n’y a que l’INRS qui avait indiqué, il y a quelques années, que pour un travail sédentaire à 30°C, il y a un risque pour la santé, et à 28°C en étant actif. Il est donc préconisé de mettre en place des mesures de prévention. L’appréciation du dirigeant va donc se faire en fonction des alertes météo.
Deuxièmement, le stress thermique est le sujet qui expose le salarié à un danger, et ne prend pas en compte uniquement la température. L’humidité, la vitesse du vent et l’ensoleillement direct sont aussi à prendre en considération. Toutes ces composantes sont laissées à l’appréciation du chef d’entreprise, qui doit évaluer le niveau de danger et de risque vis-à-vis de ses collaborateurs. Pour protéger ses salariés, l’employeur peut aménager des temps de pause adaptés. Il doit également assurer à ses employés un bon approvisionnement en eau et en nourriture. Des abris pour se protéger du soleil ou du froid, des locaux ou des zones d’ombrage peuvent également être mis en place. En somme, installer des bases vie dans lesquelles le salarié peut se reposer et récupérer.
Les bases vie sont vraiment l’une des solutions sur lesquelles il faut continuer à travailler. La démarche globale pour le dirigeant, c’est de ne pas attendre que le chaud ou le froid soient là. Il a pour obligation d’évaluer les risques, de les identifier et d’identifier les mesures de prévention.
On a également rédigé un guide en juin 2023 qui s’appelle le guide de préconisations forte chaleur et canicule, et qui a pour objectif de promouvoir ces bonnes pratiques.
Quels sont les droits des salariés en cas de températures extrêmes ?
M.B. : Il y a le droit de retrait, qui est inscrit dans le code du travail, que les salariés peuvent invoquer s’il y a un risque de danger grave et imminent. Ce droit ne peut cependant pas être exercé n’importe comment. Si le compagnon exerce son droit de retrait, il doit s’assurer que les compagnons autour de lui ne soient pas en danger s’il se retire de la tâche. Dans la plupart des cas, le mieux, c’est que l’employeur informe son salarié de la difficulté de travailler.
La réglementation n'a-t-elle pas aussi un rôle à jouer ?
M.B. : C’est quelque chose de compliqué à mettre en place. Si, par exemple, on met une valeur de 35°C dans la réglementation, celle-ci ne sera pas ressentie de la même manière par tous les salariés. Il y a la composition de chacun qui entre en compte. C’est- à-dire qu’il y a des personnes vulnérables, d'autres qui sont acclimatées et des expositions qui viennent accumuler l’effet de stress thermique. Pour quelqu'un qui travaille sur un toit dans une agglomération, type îlot de chaleur, la température peut atteindre 70°C. Ca n’est pas pareil que de travailler sur un chantier à proximité d’une forêt par exemple. En campagne, le ressenti ne va pas être le même.
Des solutions pour mieux anticiper ces risques ?
M.B. : De plus en plus de pays ont mis en place des systèmes de mesures du stress thermique, avec un équipement WBGT (wet bulb globe temperature), [indice permettant de déterminer si une personne est capable de travailler dans une ambiance donnée sur une durée de 8 heures, NDLR].
Grossièrement, cet équipement est une sonde qu’il faut déplacer sur le chantier. L’idée, c’est d’avoir des outils, des applications qui permettent de donner des valeurs facilitant les prises de décisions des encadrants afin de mieux apprécier les difficultés pour cet effet de stress thermique. Pour ce qui est de l’organisation des chantiers à venir, je pense qu’il est primordial d’impliquer davantage l’ensemble des acteurs, que ce soit la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre, le CSPS, les entreprises et travailleurs. Il ne peut pas y avoir d’actions isolées, les risques doivent être pris en compte à grande échelle.
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Propos recueillis par Jérémy Leduc
Photo de une : Adobe Stock