Quel avenir pour la couverture en chaume ?
Au sein de la famille des matériaux biosourcés, la couverture en chaume peut parfois être confondue avec la filière paille. Mais en quoi consiste exactement le chaume ? Quels sont ses avantages et inconvénients ?
« Il faut rappeler que la couverture chaume, c’est l’appellation générique de toutes les couvertures végétales. Donc la toiture peut être couverte de roseaux, de paille de blé, de paille de seigle, de joncs ou de genêts. Mais aujourd’hui, en Europe, 95 % des maisons à toiture végétale sont couvertes de roseaux», introduit Agnès Bougeard, présidente de l’Association Nationale des Couvreurs Chaumiers (ANCC) et co-gérante de l’entreprise de couverture Bougeard, située à Pleurtuit, en Ille-et-Vilaine (35).
« Nous ne sommes pas intégrés à la filière paille car dans cette filière la paille est broyée ou mise en botte, alors que dans notre filière, elle est mise en gerbe. Il faut trouver un agriculteur qui fasse de la paille haute et qui sache l’abattre pour enlever les grains et pouvoir la poser en toiture », explique-t-elle.
Du roseau pas majoritairement français
Si aujourd’hui l’immense majorité des toitures en chaume sont conçues à partir de roseaux, d’où proviennent ces derniers ? D’après les deux chaumiers que nous avons interrogés, ces roseaux viendraient majoritairement des pays de l’Est (Turquie, Roumanie, Hongrie), voire de Chine.
Mais pourquoi ne pas privilégier des filières locales en circuits-courts ?
À l’échelle de la France, il y aurait un manque de disponibilité, s’expliquant par un désintérêt des instances politiques, selon la présidente de l’ANCC.
Si le roseau français pousse bien dans les zones de bord de mer, le système de concessions ne fonctionnerait pas de façon optimale : « Le coupeur n’est pas propriétaire du terrain. Il va avoir une concession pour 4, 5 ou 6 ans par exemple. Mais parfois certaines concessions ne sont pas mises en exploitation, par exemple parce qu’il y a la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) qui intervient et qu’il faut laisser se reposer les oiseaux », explique Agnès Bougeard.
Sébastien Mahieu, gérant de l’entreprise « Les Chaumiers Hauts-Normands », avance une autre explication : selon lui, les roseaux français seraient « trop petits » et donc pas adaptés pour la technique de pose « hollandaise », que son entreprise pratique. De fait, il préfère importer des roseaux des Pays-Bas.
Mais quelle différence entre la méthode hollandaise et celle à la française ? « Il y a la méthode qu'on appelle "à la poignée", méthode cauchoise. Pour schématiser, c'est vraiment posé en bottes. Alors que nous, on travaille avec des barres galvanisées, fils galvanisés. Une fois qu’elle est étalée, la botte de roseaux est prise trois fois. Pour un toit de 200 m2, il faut compter en moyenne 1 mois. À la poignée, c’est plutôt 3 mois », nous détaille-t-il.
Chaumier, un métier qui s’apprend principalement « sur le tas »
Peu importe la technique, le chaumier est la plupart du temps formé « sur le tas », en entreprise, grâce à la pratique.
« Sinon, il existe un certificat de qualification professionnelle (CQP) au niveau national. Il y aura une prochaine session qui va démarrer en septembre 2025 », nous indique la présidente de l’ANCC. Selon elle, il faudrait entre 3 et 5 ans pour former un bon chaumier totalement autonome.
Quid du recrutement ? « J’ai autant de mal à trouver des couvreurs ardoisiers que des couvreurs chaumiers », nous répond la co-gérante de la SARL Bougeard. « Le seul inconvénient, c'est que le chaumier, on va le payer "plein pot" dès le départ, comme il n'existe pas d'apprentissage. On va le prendre en contrat de travail de droit commun, donc il doit être payé au SMIC, sans avoir d'aide de l'État », précise-t-elle.
Outre la couverture en chaume, en ardoise, en zinc et en métal, son entreprise pratique également la couverture en tavaillon – des ardoises en bois.
« Nous, on travaille uniquement avec du châtaignier ou du chêne. Ce sont des ardoises qui sont fendues. Une partie du Mont-Saint-Michel est faite comme ça. Et les moulins étaient souvent faits comme ça. C’est esthétique, et cela reste des matériaux locaux. Une toiture en tavaillons a également une très grande longévité puisqu’elle dure un siècle à peu près», explique Agnès Bougeard.
Par comparaison, la durée de vie moyenne d’une toiture en chaume est d’environ 50 ans, à condition qu’elle soit bien entretenue.
« Une fois que c’est neuf, je conseille aux clients le premier démoussage au bout de 12 à 15 ans, et après tous les 5 ans pour que le chaume soit bien entretenu », nous indique le gérant des Chaumiers Hauts-Normands. « On démousse à la batte, donc sans produits chimiques. La batte, c’est l’outil du chaumier pour retaper le roseau », détaille-t-il.
En matière de performances énergétiques, une toiture en chaume offre un bon confort thermique, hiver comme été, avec un bon déphasage. « Avec 40 centimètres d’épaisseur de roseaux, on a un coefficient thermique de 6,16 », précise la présidente de l’ANCC.
« En-dessous de l’ardoise ou de la tuile, on va mettre de la laine de verre ou de roche, alors que nous, on ne met rien. Le chaume est un isolant naturel, donc au niveau tarif, on est équivalent, parce que les isolants comme la laine de verre ou de roche coûtent très cher en ce moment », avance également Sébastien Mahieu.
Un intérêt croissant pour les matériaux biosourcés
Interrogée sur l’avenir de la couverture en matériaux biosourcés, la présidente de l’ANCC rappelle qu’un jour, les ressources en ardoises ne seront plus suffisantes. « Le bassin quasi-unique de production en Europe, c'est l'Espagne. Le jour où il n'y aura plus d'ardoise en Espagne, il faudra bien trouver d'autres alternatives. Donc l'avantage du biosourcé – que ce soit le roseau, la paille de blé, la paille de seigle, etc. – c’est que cela reste des ressources inépuisables et locales », souligne-t-elle.
« Depuis quelques années, on a plus de municipalités ou de collectivités qui se tournent vers les toitures en chaume. L'obligation d'utilisation de matériaux biosourcés dans les constructions neuves incite les maîtres d'ouvrage à se tourner vers ces alternatives », constate Agnès Bougeard.
Autre avantage du roseau : en fin de vie, il peut être composté, séché pour être brûlé dans des chaudières biomasse, voire réutilisé pour des panneaux d’isolation.
Existe-t-il une plus forte demande en couverture chaume dans certaines régions françaises ?
« Il y a des régions qui ont historiquement plus de chaumières, comme la Vendée, la Basse-Bretagne ou la Normandie. Ce sont des régions qui s’étaient opposées à un décret royal. Il y avait eu une interdiction de reconstruire en chaume une chaumière brûlée. Deux populations s’y sont opposées : les Chouans et les Normands. C'est la raison pour laquelle la Bretagne et la Normandie sont les deux régions où il y a le plus de toiture végétale qui sont restées. Parce qu'avant, toutes les toitures étaient couvertes en chaume, sauf celle du riche qui voulait avoir une toiture en ardoises comme les châtelains », raconte la spécialiste.
En termes de conjoncture, la demande en couverture chaume reste forte : « En moyenne, notre agenda est plein pour 2 ans », nous indique Sébastien Mahieu. Son entreprise est même sollicitée en dehors de l’Hexagone, pour des chantiers en Suisse ou au Luxembourg par exemple.
Il faut dire que les chaumiers ne sont pas très nombreux, avec environ 80 entreprises en France, selon Agnès Bougeard.
De l’importance des règles professionnelles
Pour défendre leur métier, les chaumiers souhaiteraient désormais publier officiellement leurs règles professionnelles afin de passer en « technique courante » : « C’est un des métiers qui n’a pas de document technique unifié (DTU), qui définit ce qu’il est correct ou pas de faire dans un métier. On est ce qu’on appelle en "technique non courante" », explique Mme Bougeard.
« Dans le cadre de France 2030, nous avons répondu à un appel à projets en partenariat avec le Parc naturel régional de Brière (44), et notre dossier a été lauréat. Cette aide de l'ADEME va permettre la promotion de la filière chaume et la finalisation des règles professionnelles. Ces dernières permettront de passer à une technique courante », se réjouit la présidente de l’ANCC.
La filière paille, elle, a publié ses règles professionnelles en 2012, comme nous l’explique Benoît Rougelot, architecte au sein de l’agence Landfabrik et co-président du Réseau Français de la Construction Paille (RFCP) :
« Le tournant quand même assez important pour la construction paille, c’est la publication des règles professionnelles, qui a fait qu'il y avait une assurabilité des bâtiments en construction paille, dont les architectes, les ingénieurs et les maîtrises d'ouvrage étaient assurés et rassurés de pouvoir construire avec ce matériau, parce que cela devenait un isolant comme un autre, qui était codifié avec la même réglementation et l'assurance décennale des entreprises », se rappelle le spécialiste.
Ce dernier souligne les vertus de l’isolation en paille, qui présente un excellent bilan carbone : « Évidemment, la laine de verre est un petit peu plus efficace et le polyuréthane est bien meilleur en termes de lambda. Après si on regarde la question du carbone, ça n'a rien à voir puisque la paille stocke du carbone, contrairement aux autres matériaux qui sont transformés. C'est-à-dire que la paille sort directement du tracteur, qui a fait cette manipulation aussi pour le blé. Même la laine de bois nécessite de la transformation. On transforme des copeaux de bois en laine de bois dans une usine. Là, il n'y a pas d'usine qui transforme», conclut-il.
Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock