Quand les architectes évoquent le futur quinquennat
Logement, bâtiment et architecture : des sujets suffisamment abordés ?
De nombreux architectes s’expriment pour dire que, la place donnée au logement, au bâtiment et à l’architecture n’est pas suffisante.
« J’ai largement entendu parler des présidentielles, mais de débats, beaucoup beaucoup moins. Quant à ces sujets, encore moins. Place nulle, donc ! » s’exclame l’architecte Thomas Richez, l’associé-président de Richez_Associés, architecture, urbanisme, paysage.
Même constat du côté des architectes Olivier Leclercq et Cyrille Hanappe. « Il manque 700 000 logements en France, or nous devons lutter contre l’étalement urbain et nos concitoyens ne tolèrent plus la densité. Nous devons construire plus tout en minimisant notre impact environnemental. Mais dans le débat actuel, nous entendons surtout parler de réduire les normes pour libérer la construction. Mais comme nous l’avons vu par le passé, le choc de simplification s’est transformé en bourbier normatif qui n’a rien amélioré. Pis encore, on voit aujourd’hui de plus en plus d’élus locaux geler les nouvelles constructions de peur de mécontenter leur électorat. Aucun programme des présidentielles ne remet en question la manière de faire les villes. Pourtant, la crise des gilets jaunes, la crise des banlieues ou le rejet des métropoles nous ont montré que la ville dense et l’étalement urbain sont parmi les causes des grandes tensions sociales actuelles », abondent les deux gérants de l’agence d’architecture parisienne Air architectures.
Anne-Flore Guinée, de l’agence d’architecture nantaise Guinée*Potin, après avoir décortiqué point par point la majorité des programmes, arrive au constat suivant : « In fine, chaque programme décrit des intentions précises pour les programmes de logement, avec en corollaire des attentes environnementales. Les verts, la gauche, En Marche "semblent" au plus près des problématiques de revenus, et des situations tendues dans les territoires, au regard de la précarité et de l'accès aux logements des plus jeunes ».
L’architecte Vincent Lavergne, gérant de l’agence d’architecture VLAU (Vincent Lavergne Architecture Urbanisme) estime que « ces questions sont particulièrement absentes des débats comme tous les sujets qui nécessitent un minimum de réflexion et ne peuvent s’exposer brièvement entre deux polémiques. Pas de changement de la droite à l’extrême-droite, dont les propositions en termes de logement sont d’une pauvreté absolue et tournent autour de la transmission de patrimoine et des frais de notaire. Les différents candidats de gauche et du centre se rejoignent en formulant des propositions similaires sur les enjeux de rénovation énergétique des bâtiments et d’augmentation de la construction de logements sociaux ou abordables ».
Il ajoute : « Ce qui est plus étonnant en revanche c’est la pauvreté des propositions des écologistes qui se résument en un mystérieux droit à la rénovation gratuite, la mise en place d’une assurance loyers impayés et l’évolution des règles de copropriété pour faciliter les travaux de rénovation énergétique. L’incapacité des écologistes à se saisir des enjeux d’aménagement et de logement est proprement sidérante et certainement assez symptomatique de leurs difficultés à se positionner sur un certain nombre de sujets complexes comme le logement. Bien qu’issue de la prise de conscience collective d’enjeux globaux, notamment climatiques, où l’on peut voir le signe d’un indéniable progressisme, l’écologie politique ne semble pas vraiment aspirer au progressisme social dont l’accès au logement est un levier majeur. Dans les villes, l’écologie est de plus en plus utilisée comme instrument de conservation du cadre de vie des classes privilégiées. Elle défend le droit d’un nombre limité d’habitants à pouvoir jouir des aménités. Ainsi, de valeur universelle, l’écologie se trouve instrumentalisée pour la sauvegarde d’intérêts très particuliers. Elle sert à lutter contre la densification des villes alors que celle-ci est nécessaire pour contenir les bassins d’urbanisation, optimiser les infrastructures de transport et limiter l’étalement urbain. L’absence de propositions réelles provient peut-être de ces contradictions ».
Que retenir de ce quinquennat en matière d’architecture et de logement ?
Parmi les mesures-clés retenues par les architectes en matière de logement et d’architecture, beaucoup citent la loi ELAN.
« Le plus fort impact de la loi ELAN a été la réorganisation massive des bailleurs sociaux qui éloigne encore plus le logement social de sa population. Par la quasi-totalité de ces aspects, elle a marqué un vrai recul pour l'architecture et le logement partout en France, jusque dans les DOM-TOM où elle a contribué à mettre des milliers de familles à la rue. Enfin, la loi ALUR a, quant à elle, été piétinée de toutes parts. Certains maires ne veulent pas ou ne peuvent pas construire davantage de logements sociaux, et aucune solution n’est apportée. Mis à part des effets d’annonces, force est de constater que rien n’a été fait concrètement pour le logement pendant ce quinquennat, laissant la crise s’aggraver », conclut l’architecte Olivier Leclercq.
Même constat du côté de l’architecte Anne-Flore Guinée qui cite, cependant, quelques points positifs : « Les points négatifs selon moi, sont : la loi ELAN et la relance du nucléaire, tandis que les points positifs sont : la RE2020, l’ambition du ZAN (zéro artificialisation nette) et la loi Climat et résilience», énumère-t-il.
« Pas de progrès notable sur le rythme de construction - nous attendons encore le choc d’offre - renouvellement urbain en rythme de croisière tout à fait modéré, pas de grands travaux hors la poursuite du Grand Paris Express, une loi ELAN discutable sur la maîtrise d’ouvrage du logement social. Mais deux grands progrès, peut-être dus à la technostructure plus qu’au politique, mais qui méritent d’être salués : le déploiement de la RE2020, et l’orientation ZAN », oppose de son côté Thomas Richez.
Et Vincent Lavergne de souligner : « Pour ce qui est du logement, et si l’on en croit le rapport de la fondation Abbé Pierre, la situation est critique et les choses se seraient aggravées au cours de ce quinquennat. Bien sur la crise sanitaire a jeté une lumière crue sur le mal-logement sans forcément apporter d’alternative. La pénurie de matériaux et l’instabilité géopolitique font qu’on se retrouve à devoir faire mieux avec des moyens dégradés. L’ère des présidents bâtisseurs est révolue depuis longtemps maintenant. Les choses ont commencé à bouger un peu avant. Depuis la COP21 de décembre 2015 et les engagements pris par les Etats de réduire leurs émissions de carbone, le secteur du bâtiment, secteur fortement émetteur de carbone et traditionnellement peu innovant vit un profond et laborieux bouleversement encouragé par les pouvoirs publics autour de la construction bas-carbone. Avec l’essor des appels à projets urbains innovants, l’innovation au service de la transition écologique est devenu le maitre-mot des politiques publiques et l’axe central des communications des opérateurs. Si l’on écarte les effets cosmétiques tels que le green-washing souvent supprimé des projets avant même d’avoir eu le temps de faner, l’innovation la plus notable ces dernières années sur de nombreux plans est le retour massif de la construction en bois et notamment en ville, de bâtiments de grandes dimensions ».
Quels enjeux contre le mal-logement ?
Par ailleurs, les propositions des architectes pour les cinq années à venir sont nombreuses. Celles-ci portent surtout sur la réhabilitation et propose de trouver des solutions concernant le logement vacant comme le propose Olivier Leclercq : « Le premier enjeu doit être la lutte contre le mal-logement. Chaque année, la fondation Abbé Pierre annonce 4 millions de mal-logés. Or le logement est un droit. Les politiques changent mais les exclus restent. Certes nous pourrions créer plus de logements, plus écologiques, plus flexibles. Nous ne manquons pas d’idées. Mais avec seulement 1 % de renouvellement urbain par an, la solution n’est pas dans la production de logements neufs, elle est dans la transformation du parc existant. (…) De plus, le parcours résidentiel est grippé. C’est l’une des causes des 3 millions de logements vacants ».
Et de détailler : « En facilitant le parcours résidentiel, on pourrait libérer probablement les centaines de milliers de logements dont la France a besoin. Le plan national de lutte contre le logement vacant, qui a été mis en place par le ministre de l’Ecologie, est tout aussi timide qu’inopérant. L’Etat devrait agir plus activement en aidant le financement de travaux simples pour faciliter les changements de logements en les adaptant à des usages souvent atypiques : loger des familles monoparentales ou recomposées, travailler à domicile, bien vieillir en ville, loger les étudiants et les saisonniers, s’adapter à un handicap, créer une chambre en plus, modifier une salle de bain, diviser ou réunir deux appartements ou toute autre sorte d’adaptation. Ces aides permettront de faciliter la mobilité et d’huiler le parcours résidentiel, ce qui libérera une part importante des logements pour ceux qui en sont exclus. Cela devrait être l’un des projets phares pour améliorer la vie des français dans le prochain quinquennat ».
Sur le même sujet, l’architecte Anne-Flore Guinée appelle notamment à, « pour l'approvisionnement en énergie, renforcer l'autonomie et les énergies renouvelables, (éolien, hydrogène, biomasse). Accélérer et aider la recherche dans ces domaines de pointe, par des rémunérations correctes et un hébergement pris en charge par l’Etat, pour éviter que les chercheurs partent en Californie à Palo Alto... Définir des - vrais budgets - qui s’appliquent à une construction de bâtiments vertueux, par exemple la construction bois-paille, l’isolant bio-sourcé, etc… »
L’architecte Thomas Richez, évoque aussi d’autres axes : « Sur les cinq prochaines années : poursuivre ces deux mouvements RE2020 et ZAN sans faiblir sera déjà une fort belle feuille de route. Poursuivre le renouvellement urbain de façon plus diligente, et améliorer la qualité d’usage des logements nouveaux - sans doute en jouant sur la charge foncière - sont les deux autres axes à travailler avec ardeur ! »
Vincent Lavergne renchérit : « Soutenir la transition énergétique de l’industrie de la construction. Structurer les filières alternatives au béton afin d’élargir la palette de dispositif constructifs, de réduire sa dimension de monopole, adapter l’arsenal règlementaire à la recherche d’innovation et donner de la souplesse, libérer et encourager l’expérimentation. Utiliser les opérations de rénovation thermique comme des opportunités d’adapter les bâtiments existants aux nouveaux impératifs sociaux, écologique, etc.»
Quelle direction doit prendre le métier d’architecte ?
Et finalement, quand nous évoquons les évolutions pour le statut d’architecte, les avis sont nombreux et certaines expériences personnelles nourrissent le débat. « Surtout, qu’on ne touche à rien ! L’architecte bénéficie en France d’un statut qui identifie et protège son intervention spécifique. A lui de prendre appui sur ce domaine réservé pour exercer pleinement son métier et les responsabilités qu’il lui confère, à lui de faire la preuve de sa pertinence sur l’ensemble de l’acte de concevoir et à lui de proposer et porter les projets que l’époque et nos concitoyens attendent ! », défend Thomas Richez.
Anne-Flore Guinée, de son côté, aborde les diverses difficultés des agences d’architecture, dont la « disjonction entre honoraires et les études de logement/ERP avec la RE2020. Il y a une réelle complexité des études, avec de nombreux paramètres, couplé à temps -long- d'études, des moteurs de calcul à faire tourner. C'est actuellement complètement sous-payé, le taux de complexité est à revaloriser. Idem pour les concours d'architecture, beaucoup (trop) d'éléments demandés par les MOA, AMO, programmistes ; notices complexes, ERP, énergie, 3D, images... Et le tout est payé au lance-pierre. Sur les 10 derniers concours de l'agence, dont la plupart avec des attentes environnementales, 9 concours étaient déficitaires pour l'agence à raison de - 1000 € à - 6000 €. L'architecte a toujours tendance à être la 3ème roue du carrosse, et il n'est pas au centre des problématiques de construction, alors qu'il est sachant »
Par ailleurs, Olivier Leclerq met en avant, la nécessité du conseil en architecture : « Avec l’aide de l’État, notre profession, plus proche des gens, peut participer à l’effort national pour lutter contre le mal-logement. Par ailleurs, l’architecte doit être en amont des projets immobiliers. Actuellement, les promoteurs sont les premiers à négocier, et les architectes rament derrière pour faire entrer une constructibilité maximale au service de la spéculation immobilière, souvent au détriment de la qualité urbaine. Les architectes doivent plutôt être aux côtés des maires, des aménageurs, des foncières, des urbanistes pour définir en amont les capacité constructives des bâtiments qui sont régies à la fois par les règles écrites (PLU, Risques majeurs, ABF, etc), mais aussi par les règles implicites qui peuvent gréver les futures constructions, comme la conservation de certains bâtis ou la limitation de densité par une analyse fine de la géographie et des contraintes du lieu avec la participation des riverains… »
« L’architecte est encore trop considéré comme un artiste dans la société, alors que la dimension sociale du métier est aujourd’hui prépondérante dans nos pratiques et que la dimension artistique est par nature beaucoup plus subjective. Les modes de pratique de l’architecture se sont énormément diversifiés et les architectes sont présents dans l’ensemble de la chaine de production, chez les maîtres d’ouvrage comme chez les promoteurs et les entreprises générales. Nous sommes les agents d’un organisme vivant, la ville, l’environnement en général, qui évolue en permanence en cherchant à produire les conditions de sa propre résilience et non plus des artistes produisant des objets au gré de leurs inspirations et des opportunités de la commande. L’architecture n’est pas une discipline de revendication, c’est à nous architectes de construire les conditions de l’évolution de notre rôle dans le processus par une remobilisation générale autour d’aspects économiques et techniques que l’on avait un peu délaissés », conclut Vincent Lavergne.
Propos recueillis par Sipane Hoh
Photo de Une : Adobe Stock