Patrick Coulombel : « il faut reconstruire dans les règles de l’art »
Avec un mois de recul, Quelles sont les grandes observations que vous pouvez faire sur les principales raisons de l'importance du désastre causé par le séisme en Haïti ?
Patrick Coulombel : Plusieurs facteurs ont contribué à un bilan lourd en vies humaines : L’épicentre du tremblement de terre, qui se trouve à quelques dizaines de kilomètres seulement d’un centre urbain dense. La qualité de construction en béton, qui est généralement très mauvaise. Ce sont ces constructions qui ont tué principalement ; mauvais matériaux utilisés et mauvaise mise en œuvre. Beaucoup de bâtiments n’étaient pas conçus de façon parasismique, notamment parmi les bâtiments à étages. Des effets de site ont soumis les bâtiments à de fortes contraintes ; ce qui explique que des bâtiments presque identiques tombent à certains endroits et pas à d’autres. Et la magnitude du séisme très importante
Pouvez-vous analyser précisément les raisons pour lesquelles certaines constructions ont tenu et d'autres, très voisines, se sont écroulées ?
P.C : Il y a 4 grandes familles de bâtiment à Port au Prince. D’abord les maisons en bois, « Ginger bread house », anciennes, plus de cent ans généralement. Ensuite, des bâtiments, type Ambassade de France, qui ont été construits en maçonnerie de briques et moellons. Très souvent le liant utilisé manque de ciment ou s’est détérioré avec le temps. Et puis, nous avons les constructions en béton ; toiture béton très lourde de 20 cm d’épaisseur environ. Enfin, il y a les bidonvilles, habitat informel composé de toutes sortes de matériaux et souvent mal fondés notamment dans les ravines.
Dans un périmètre proche on voit dans Port au Prince des constructions en béton par terre et d’autres en bois les « Ginger bread house » debout, bien que beaucoup plus anciennes. Les constructions en bois tiennent bien parce qu’elles sont légères et ont des structures contreventées.Elles sont parasismiques ! Les maisons en béton, la plupart du temps mal construites, avec de mauvais matériaux, et sans renforts parasismiques, sont tombées, le toit béton écrasant la structure sur certains secteurs. Dans d’autres endroits, c’est le cisaillement du rez-de-chaussée qui à fait s’effondrer le bâtiment par la base. L’explication du comportement de l’habitat informel est plus délicate. Généralement ce type de construction est fait au fur et à mesure des années avec « durcification » de l’habitat précaire et des assemblages de matériaux divers (parpaing, tôles, bois, un peu de béton…)
Globalement, ce sont des constructions assez mal fondées (fondations superficielles, voire non résistantes) et souvent c’est le sol qui a glissé lors du séisme et qui a entraîné les effondrements par paquets. Heureusement, beaucoup de constructions de ce type ont tenu, en partie grâce aux effets de site (bon comportement du sol aux séismes).
Quelles sont les grandes leçons que retient l'architecte de cette catastrophe ?
P.C : Il faut reconstruire dans les règles de l’art. Nos anciens avaient de bonnes techniques ; nous devons reprendre certaines techniques ancestrales de construction pour bien faire aujourd’hui.
ll va falloir déblayer puis reconstruire. Peux-t-on reconstruire sur les ruines ?
P.C : Il le faut, parce que la problématique du foncier est essentielle. S’il y a un propriétaire, on reconstruira. Il n’est pas possible de déplacer des populations, les projets en ce sens ne sont pas réalistes. De plus l’histoire du lieu de vie est très importante, c’est l’histoire des gens, c’est l’histoire des hommes, on ne change pas tout cela d’un trait de crayon, à condition de ne pas reconstruire sur les zones de failles identifiées.
Doit-on et peux-t-on reloger provisoirement dans les alentours les habitants des villes détruites ?
P.C : Non, je pense qu’il faut stabiliser les populations là où elles vivaient dans toute la mesure du possible. Seule la problématique des bidonvilles doit nous inciter à proposer d’autres solutions pour dé-densifier et rendre plus « vivable » cet habitat de misère(assainissement, eau potable, évacuation et traitement des ordures, élargissement des voies, acheminement de l’électricité….).
Comment loger les victimes dignement rapidement ?
P.C : Il faut traiter le problème des haïtiens les plus pauvres en priorité, ceux des bidonvilles. Nous devons les aider à construire de manière pérenne, parasismique, des habitations capables de supporter les cyclones et les fortes pluies. Sur la base d’un foncier à leur attribuer impérativement, il est possible de construire des cellules de vie de 20 m² minimum, beaucoup plus si on a les moyens, et prévoir que les occupants puissent agrandir ultérieurement en fonction de leurs moyens. Cette reconstruction doit se faire en concertation avec les habitants et être accompagnée d’une formation technique, d’une distribution de matériaux, d’un programme financier pour relancer l’économie locale et subvenir aux besoins vitaux de ces familles durant la construction.
Comment organiser le relogement provisoire ?
P.C.- Par des tentes ou des solutions équivalentes, je ne crois pas à l’abri en dur temporaire. Le climat permet de vivre dehors pendant quelques mois encore. Si les tentes ou abris légers sont de qualité, cela suffira, à condition de mettre des moyens tout de suite dans la reconstruction d’urgence durable !
Que préconisez-vous pour la reconstruction? Quels sont les grands principes à respecter ? Comment l'organiser ?
P.C : On commence par l’eau, l’assainissement, les ordures ménagères, l’électricité, le traitement des gravas des destructions. Il faut aussi créer des espaces publics, des espaces verts, des transports en communs, et percer quelques grandes artères pour que la circulation soit plus fluide à Port au Prince. Pour organiser cette reconstruction il faut surtout de l’argent, des milliards et non pas des centaines de millions d’euros. Ensuite, avec l’argent, la compétence viendra. Si l’Etat est organisé, ces « grands travaux » faciliteront également une relance de l’économie.
Comment faire en sorte que des erreurs ne soient pas commises ?
P.C : Nous devons proscrire les gestes architecturaux ou urbanistiques hors d’échelle alors qu’une partie de la population ne se nourrit pas correctement et que les services minimums, eau, assainissement, traitement des ordures, électricité ne sont pas rétablis. Nous devons « construire simple » et mettre en valeur le patrimoine architectural et urbain de Port au Prince. Nous ne devons pas dire que nous allons tout refaire alors que l’on ignore totalement si les moyens financiers seront suffisants. Il faut annoncer très vite les vrais chiffres de la reconstruction.
Est-ce que les Architectes de l'Urgence pourraient prendre des responsabilités dans la reconstruction ?
P.C : Dans la phase d’évaluation qui débute nous somme un des acteurs de la reconstruction, puisque nous allons évaluer. Nos objectifs immédiats sont essentiellement de mettre sur pied des programmes exemplaires de reconstruction pour des centres de santé, des écoles. Nous savons aussi très bien monter des programmes de construction de logements en « cash for work ». Un de nos objectifs majeur, dans ces travaux de construction, est d’aider Haïti en transférant un savoir faire technique. On imagine bien la création d’une grande école d’architecture et d’ingénieurs haïtienne qui serait partenaire de toutes les grandes écoles d’architecture et d’ingénieurs du monde, lesquelles fourniraient des enseignants de grande qualité quelques semaines par an.
Que souhaitez-vous, idéalement, en tant que président de la fondation et architecte vous-même ?
P.C : Que Haïti ne soit plus délaissé comme cela a été le cas pendant des décennies et que l’on loge décemment ces gens, que l’on édifie de vrais écoles pour les enfants, des hôpitaux pour « tous », et que les gens mangent à leur faim. Et puis ensuite qu’ils puissent avoir des loisirs, aller à la plage etc….
Est-il envisageable de monter une coordination internationale efficace pour la reconstruction quand on assiste à la prédominance américaine en Haïti ?
P.C : En théorie, c’est possible mais en réalité, il y a une course à la coordination venant d’un certain nombre d’agences internationales dont le mandat est justement la coordination. Dans la pratique, les choses sont donc beaucoup plus compliquées.
Votre voix est-elle entendue internationalement ? N'est ce pas un désavantage que de ne pas être américain ?
P.C : Nous avons des relais à l’étranger, mais pas suffisamment encore. L’exception Française est un avantage, notre franc-parler choque souvent, mais nous sommes capables de marcher dans Port au Prince, ce que les Américains ne savent pas faire. Dans la mouvance des French’ doctors, nous essayons simplement et humblement de faire le mieux possible.
Quels sont vos besoins financiers et pour faire quoi précisément ?
P.C : Dès qu’il s’agit de reconstruction et de reconstruction pérenne, réfléchie et adaptée aux contraintes techniques locales ainsi qu’au contexte social et environnemental, il faut des moyens pour être efficaces. Pour les abris légers temporaires, il nous faut 1,5 millions d’euros pour fournir des toits adaptés notamment à l’habitat informel touché. Pour construire en dur, il va falloir de l’argent et surtout, il est indispensable régler le problème du foncier. Il est impossible de construire sans avoir identifié le propriétaire d’un terrain.
Une école ou crèche coûte entre 60 000 euros et 200 000 euros pour faire un bâtiment sûr. Nous programmons d’en reconstruire entre 10 et 15 en fonction des moyens financiers estimés aujourd’hui entre 2.5 millions d’euros et 3 millions d’euros. Construire parasismique coûte un peu plus cher. Les centres de santé reviennent au minimum à 250 000 euros. En ajoutant le matériel technique indispensable, le budget s’élève à 300 000 ou 400 000 euros par centre. Pour les logements durables tout va vraiment dépendre des moyens financiers disponibles. Nous avons réalisé ailleurs, en « cash for work » des maisons pour 2000 euros l’unité, mais ce sera difficile à Haïti du fait qu’il n’y a pas de filière matériaux et qu’il faut soit importer, soit créer localement. Calculons 1000 maisons à 3000 euros par unité.
Et quelles sont vos ressources ?
P.C : Les 66 000 euros récoltés à ce jour de la générosité publique nous servent actuellement en partie aux actions de mise en sécurité des bâtiments affectés par le séisme, centres de santé, écoles, bâtiments administratif. Nos interventions permettent que puissent être ré-ouvert rapidement les bâtiments encore sûrs et d’y reprendre une activité.
Nous avons reçu aussi 100 000 euros du Conseil Régional d’Ile de France, 60 000 euros de l’Ordre National des Architectes français et 10 000 euros de la ville d'Amiens. Ces dons nous permettent aussi d’élargir l’évaluation à davantage de zones touchées mais aussi de proposer des solutions transitoires d’abris d’urgence pour les sinistrés. Cette phase d’abris est en cours d’organisation. Toutes ces étapes permettent donc globalement avec le complément d'autres financements en cours, de négociations auprès de différents bailleurs, de travailler sur les phases à venir de reconstruction et de développement d’Haïti.
Avez- vous prévu de participer aux différentes réunions nationales et internationales sur le thème de la reconstruction en Haïti ?
P.C : Quand nous serons invités, nous participerons car nous avons des connaissances techniques de base indispensables, des formations adaptées et une expérience de 8 ans sur les terrains les plus difficiles de la planète. Notre devoir est de faire en sorte que cette somme de savoir-faire soit utilisée au mieux. Tout le monde sait que seuls les chirurgiens peuvent opérer convenablement mais tous les « humanitaires » ne savent pas encore que construire bien relève aussi d’une spécialité.
Vous avez participé activement au secours de la population par votre action technique à côté d'autres organisations. Sont-elles prêtes à vous soutenir de manière efficace dans le deuxième stade de votre intervention ?
P.C : Oui, notamment avec MSF Belgique et Suisse, Médecins du Monde, Handicap international, Pharmaciens Humanitaires etc. Nous devons monter des partenariats de construction d’extension et d’amélioration de centres médicaux avec ces organisations, c’est dans la continuité logique de notre travail de mise en sécurité.
B.P