Le secteur des matériaux, point faible de la transition écologique
« 2020 doit être notre super décennie dans l’action sur le climat » commence Steven Tebbe, Directeur Général de CDP Europe. « Nous avons besoin de diviser par deux les émissions pour 2030 pour avoir des chances raisonnables de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, c’est l’objectif le plus ambitieux des accords de Paris. Toutefois, en 2019, les émissions de gaz à effet de serre ont encore augmenté pour atteindre un nouveau record ».
Pessimiste, Steven Tebbe tient pourtant à encourager les efforts et déclare que les sociétés européennes relevant du CDP et analysées dans ce rapport « joueront un rôle énorme pour que l’Union européenne atteigne sa neutralité climatique en 2050 ». Ces entreprises représentent environ 76 % de la capitalisation boursière de l’Europe et ont des émissions équivalentes à 75 % du total de l’Union européenne. Mais qu’en est-il du secteur du BTP et des matériaux ? (Notez ici que nous parlerons du secteur des matériaux regroupant le ciment, la chimie, la sidérurgie et l’exploitation minière).
Le Directeur Général du CDP continue son listing : « le secteur des matériaux représente 5 % d’investissements bas carbone alors qu’il est responsable de 38 % des émissions directes ».
Quels investissements pour le secteur des matériaux ?
Tous secteurs confondus, la France est le 4ème pays à faire le plus d’investissements bas carbone derrière l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Le plus souvent, la CDP, pour le secteur des matériaux, recense des investissements dans ces initiatives :
- efficacité énergétique dans les services de la construction (881 initiatives),
- efficacité énergétique dans les matériaux de construction (176 initiatives).
Dans cette étude, le CDP déclare que le secteur des matériaux émet une importante quantité de CO2 due aux procédés industriels. Il doit alors investir plus pour obtenir de meilleurs résultats. Cependant, si les investissements de ce secteur étaient de 16 milliards d’euros en 2018, le montant des investissements à considérablement diminué en 2019 (-60 %) pour atteindre les 6 milliards d’euros. Le secteur devient ainsi celui qui investit le moins comparé aux transports et à l’énergie. Comment expliquer cette baisse drastique des investissements ?
Le CCUS et les technologies hydrogène
Le CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage) parait être une bonne solution pour le CDP. Le CCUS est une technologie qui capte environ 90 % des émissions d’un site industriel. Le captage de CO2 par solvant est la technique la plus souvent utilisée. Ce procédé est expliqué par Total dans une vidéo Youtube « à l’intérieur d’une colonne, la fumée produite par l’activité industrielle et la production d’énergie est captée. L’ajout d’un solvant permet de séparer le CO 2 du reste des composants. le mélange est chauffé pour récupérer le CO2 comprimé et refroidit, puis liquéfié pour faciliter le transport vers les sites de stockage. Le CO2 peut être utilisé pour produire plus d’hydrocarbures, développer des carburants, des produits chimiques, du ciment et du plastique ».
Pour le moment, seuls 18 CCUS sont déployés dans le monde, ils capturent 33 millions de tonnes de CO2 par an. Mais, car il y a toujours un mais, ce procédé prometteur a un petit défaut qu’explique Lafarge Holcim au CDP : « le CCUS nécessite non seulement de gros investissements pour installer les technologies de capture de carbones dans les opérations directes, mais aussi des investissements significatifs « le long de la chaîne de valeur » avec une collaboration multidisciplinaire, y compris un renforcement des règlements et d’une tarification efficace du carbone ». Deux tiers des investissements de la transformation technologique sont dirigés vers le CCUS « dont 246 millions d’euros d’engagement en 2019 ».
Une autre alternative pouvant être utilisée par le secteur des matériaux est la technologie autour de l’hydrogène. Elle permettrait de remplacer les combustibles fossiles comme « source de chaleur industrielle » et peut être utilisée comme un « agent réducteur à la place du charbon métallurgique ». Salzgitter (groupe autrichien développant l’acier et les technologies) et Arcelor Mittal ont opté pour cette option. Cependant, le développement de ces technologies autour de l’hydrogène est aussi coûteux, Salzgitter a décrit son procédé de fabrication d’acier à base d’hydrogène comme « techniquement faisable mais économiquement non viable ». Pourtant la R&D est bien au coeur des solutions bas carbone.
Les investissements des entreprises du bâtiment dans les « technologies révolutionnaires » concernent principalement le développement de matériaux alternatifs (principalement pour le ciment, du plastique et de l’acier). Ils étaient de 543 millions d’euros en 2019.
Des investissements encourageants ?
Le CDP crée un graphique des secteurs et sous-secteurs les plus polluants. Le ciment émet 12,9 % des émissions de gaz à effet de serre, l’acier 10 %, et les métaux 9,6 %.
Si les investissements dans les alternatives sont couteux, pourraient-ils être rentables ? Dans son rapport, le CDP dresse un bilan de la « Période de récupération moyenne des investissements pour les initiatves de réduction des émissions ». Ainsi, l’industrie cimentière récupérerait ces investissements sur 5,9 ans tout comme les matériaux chimiques, l’acier, et l’industrie métallurgique 3,3 ans.
Se lancer dans le financement du développement des nouveaux matériaux ou de nouvelles technologies peut rendre les entreprises indécises et les inciter à ne pas investir. Le CDP précise que « par exemple, les cimenteries peuvent hésiter à investir dans de nouveaux ciments non seulement parce qu'ils menacent les investissements en amont, mais aussi parce qu'ils manquent d'un signal fort des demandes de l'industrie de la construction ».
J.B
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