Les majors du BTP pas assez engagés contre le changement climatique ?
L’association « Notre affaire à tous » commence par décrire l’objectif de sa démarche, en rappelant que la loi « n° 2017-399 relative au devoir de vigilance impose aux sociétés mères de grands groupes transnationaux de prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Au regard des dangers considérables que le réchauffement climatique planétaire fait peser sur les humains et les écosystèmes, il peut être raisonnablement déduit des exigences de cette loi que les entreprises doivent réduire leur impact climatique ». Mais les entreprises françaises, et plus particulièrement les entreprises de la construction, sont-elles en train d’amorcer les premiers efforts en ce sens ?
Dans son Benchmark, Notre affaire à tous commence son rapport en signalant que « 10 entreprises sur 25 n’intègrent toujours pas le climat à leurs plans de vigilance ».
L’association précise que les entreprises ont été sélectionnées par rapport à leur pour impact climatique, « selon les informations dévoilées par les entreprises elles-mêmes, les multinationales évaluées dans ce benchmark ont une empreinte carbone cumulée s’élevant à 1 517 millions de tonnes de CO2 équivalent (Mteq) », soit un montant trois fois et demi supérieur aux émissions territoriales de l’hexagone.
Pour classer ces multinationales, les entreprises se voient attribuer une note selon trois critères :
- Identifier les risques d’atteintes graves liés au climat (30 % de la note),
- Prévenir les atteintes graves liées au climat (60 % de la note),
- Intégrer les informations dans le plan de vigilance (10 % de la note).
Dans ce classement, 20 entreprises sur 25 étudiées n’atteignent pas la moyenne de 39,5 %.
Vinci, meilleure entreprise classée dans la construction
Le groupe Vinci est classé douzième sur vingt-cinq, avec une note de 40/100, soit légèrement plus que la moyenne. Elle est l’entreprise la mieux classée dans le secteur de la construction. Toutefois, comme l’ensemble des multinationales présentées, elle émet des gaz à effet de serre (GES). Ainsi, les « scopes 1 et 2 du périmètre du groupe s’élèvent à 2,7 Mteq », mais les émissions liées au scope 3 ne sont pas précisées pour le secteur de la construction (voir encadré en fin d'article).
Notre affaire à tous se base alors sur les émissions du scope 3 de Vinci Autoroutes, à 17,5 Mteq CO2. L’association précise que « cette empreinte carbone parait faible pour un groupe ayant construit autant d’infrastructures que Vinci ».
Toutefois, la multinationale reconnait sa responsabilité dans le changement climatique « les activités du groupe, comme toute activité économique, émettent des gaz à effet de serre, directement et indirectement, notamment à travers l’utilisation d’énergie pour les bâtiments et infrastructures au sein de leurs projets ou pour les clients finaux ». Vinci reconnait contribuer aux émissions de GES au travers de trois de ses activités :
- la production de matières premières (granulats, enrobés, béton, etc…) nécessaires à la réalisation de projets ;
- les transports des matériaux, des salariés et des clients ;
- l’exploitation de la maintenance des infrastructures et des bâtiments que les entreprises du groupe construisent, occupent ou exploitent.
Toutefois l’association pointe du doigt « une stratégie climatique presque inexistante », avec, pour seul objectif « une baisse de 30% des émissions de GES à horizon 2020 par rapport à 2009 », sans définir une « stratégie de baisse de ses émissions de GES sur le long terme ». Cependant, elle reconnait qu’un certain nombre de mesures sont mises en avant « mais aucune n’est associée à un objectif dévotement des GES ». Pour le bâtiment, Vinci envisage :
- une écoconception sur l’ensemble du cycle de vie des ouvrages, (il est précisé que cela concerne seulement certains programmes, labellisés, et non l’ensemble de l’activité / recouvre plusieurs techniques, choix de variantes de construction, solutions énergétiques innovantes, tracés des infrastructures) ;
- des contrats de performances énergétique pour les villes (optimisation de l’éclairage public / suivi de la consommation des bâtiments) ;
- la mise en place de sources d’énergies renouvelables sur les infrastructures du groupe ou des clients.
En conclusion, Notre affaire à tous attend de Vinci qu'il définisse « rapidement une stratégie de lutte efficace contre les changements climatiques à court, moyen et long terme ».
Eiffage doit mettre en place des actions plus concrètes
En comptabilisant les émissions sur les scopes 1, 2 et 3, Eiffage émet 7,7 Mteq CO2. Classée dix-huitième sur 25, elle obtient une note en dessous de la moyenne, 30/100. Tout comme Vinci, elle reconnait son rôle dans les émissions de GES et les changements climatiques « dans un contexte où le dérèglement climatique devient la réalité, et où le bâtiment, les travaux publics et les transports ont été jusqu’à présent des contributeurs nets aux émissions des gaz à effet de serre, Eiffage a fait depuis 2016 de la transition écologique et de l’innovation deux des pilliers de son plan stratégique ». Toutefois, l’association voit en cette déclaration une « reconnaissance de sa propre responsabilité d’agir demeurant implicite ».
Dans la cas d’Eiffage, Notre affaire à tous déplore tout autant un manque de stratégie. La multinationale indique mettre en oeuvre une « stratégie globale de réduction des ses émissions directes et indirectes et des émissions liées à l’utilisation de ses produits ». Elle travaillerait sur des techniques de construction bas carbone, des matériaux permettant de stocker du carbone comme le bois ou encore des bâtiments passifs ou à énergie positive.
Dans ce cadre d’initiatives, Eiffage à présenté des objectifs jugés « peu ambitieux ». Seul objectif cité dans ce rapport, la réduction des émissions de CO2 pour la production de béton. « Le coût en carbone est passé de 17,25K CO2 par tonne en 2016 à 16,09 en 2017, l’objectif étant de 15,49 ». Alors, pour accélérer la mise en oeuvre des solutions bas carbone, Eiffage propose des mesures :
- un fonds E-face de 2 millions d’euros par an pour financer ces solutions bas carbones plus coûteuses : formations, développement d’outils…
- le développement et le recours aux matériaux bio, la réduction ou la substitution des matières premières, le déploiement de réseaux de chaleur en synergie avec Eiffage Énergie Systèmes.
Avant d’entamer la suite de ces démarches, Notre affaire à tous attend d’Eiffage une réelle définition d’objectifs et une stratégie précise.
Bouygues, dernier classé de la construction
Comme la majorité des entreprises présentes dans ce classement, des informations liées aux émissions du scope 3 sont manquantes. Les émissions reportées montent « seulement à 17 000 ktep CO2 pour 2018 » pour l’ensemble des activité de Bouygues (construction, immobilier, Colas, télécoms, médias). Un chiffre qui parait important d’autant plus que Colas représente 72% des émissions du groupe.
Dans un document du Medef intitulé « French Business Climate Pledge », Bouygues décrit une stratégie de réduction des GES, pourtant, Notre affaire à tous n’a vu en ce document « aucun objectif quantitatif de réduction de GES pour Bouygues ». Cependant, il mentionne « le déploiement d’unestratégie globale de réductions des émissions de GES et d’adaptation au changement climatique de nos offres, en ligne avec les politiques publiques » comme l’une de ses priorités importantes pour ses activités dans l’immobilier et la construction.
Un seul objectif est mentionné pour l’activité construction : l’entreprise vise « 20% de réduction à l’horizon 2030 par rapport à 2015, sur les scopes 1,2 et 3 amonts (jusqu’à la livraison des ouvrages) ». Un objectif permettant en effet de limiter les émissions de GES mais pas à terme de diminuer la température mondiale. Un point regretté par l’association, d’autant plus qu’aucun objectif de diminution des GES n’est annoncé pour Colas, plus gros pollueur du groupe.
Pourtant, plusieurs actions entamées par le groupe pourraient avoir des effets positifs, si des objectifs étaient imposés, comme « la construction de bâtiments bas carbone, la rénovation énergétique des bâtiments, le choix des matériaux éco-variants ». En conclusion de l’attribution de la note de la multinationale, Notre Affaire à tous conclut que « Bouygues éclipse sa propre responsabilité » et que les « actions concrètes proposées sont également trop faibles ».
Dans une cas plus général, l’association ayant publié ce rapport regrette le manque d’actions proposées par les multinationales françaises pour lutter contre la changement climatique. Dans les prochaines années, avec l’établissement de lois et de normes d’écoconstruction pour le bâtiment, de nouveaux objectifs devraient voir le jour et imposer la marche à suivre aux entreprises de la construction.
Qu'est ce qu'un scope ?
Le scope 1 regroupe les émissions de gaz à effet de serre directement liées à la fabrication du produit.
Le scope 2 regroupe les émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d’énergie nécessaires à la fabrication du produit.
Le scope 3 regroupe quant à lui toutes les autres émissions de gaz à effet de serre qui ne sont pas liées directement à la fabrication du produit, mais à d’autres étapes du cycle de vie du produit (approvisionnement, transport, utilisation, fin de vie…). |
J.B
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