Le Grand Paris, un accélérateur de projet pour l’économie circulaire dans le bâtiment
Qui de la poule ou de l’œuf était là en premier... il est toujours difficile de répondre à cette question. Et ça l’est tout autant quand on interroge un grand industriel sur l’évolution de ses pratiques dans le domaine du développement durable et de l’économie circulaire. L’exemple de Lafarge est de ce point de vue tout à fait intéressant. Et comme on dit, c’est finalement le résultat qui compte.
Catherine Greder est Directrice de l’activité de recyclage et de valorisation des déchets de chantier France pour Lafarge Holcim pilote l’activité Lafarge aggneo© en France. Elle nous explique comment les bonnes pratiques de l’économie circulaire se sont diffusées progressivement sur les chantiers sur lesquels intervient l’industriel.
Et elle nous explique comment les chantiers du Grand Paris ont constitué un accélérateur de ces bonnes pratiques, notamment sur le premier marché de la construction en France, la région parisienne.
Comment l’économie circulaire est-elle devenue une des priorités stratégiques de Lafarge Holcim ?
C.G. Il y a 4 ou 5 ans la direction de Lafarge a souhaité mettre l’accent sur la déconstruction et en devenir un vrai acteur, en développant des activités liées à ces métiers, la gestion des terres excavées, la réhabilitation d’anciennes carrières ou de carrières en activité, le réemploi de tous les matériaux valorisables.
Ces activités existaient bien sûr déjà depuis longtemps, mais avec beaucoup de disparités régionales et sans pilotage centralisé. Un programme de développement accéléré a donc été lancé afin d’en faire un véritable relais de croissance pour Lafarge.
Et le Grand Paris dans ce programme ?
C.G. Dans le cadre du Grand Paris il s’est agi de positionner Lafarge sur la récupération des déblais des chantiers, essentiellement par voie d’eau.
Il faut savoir que sur cette région (Île-de-France et bassin aval de la Seine) Lafarge a des sites « branchés eau » et que la société est de longue date le plus gros affréteurs de la Seine. Lafarge pouvait donc se positionner à la fois sur la fourniture des matériaux, granulats, ciment, béton, tout en répondant à la problématique cruciale des clients qui est la gestion des déblais.
La Société du Grand Paris en amont, mais surtout les « génie-civilistes » Bouygues, Vinci, Eiffage, Demathieu et Bard, etc. et les groupements adjudicateurs des principaux lots, étaient en attente de solutions professionnelles, vu les volumes à traiter qui sortaient des schémas classiques. Ces sociétés ont lancé des appels d’offres pour la fourniture des matériaux et la gestion des déblais.
Mais il y a pourtant des travaux de nature différente sur les chantiers du Grand Paris
C.G.Il y a effectivement des lots différents, celui des gares, parkings, puits d’un côté, et celui des tunnels, car les matériaux ont une consistance assez différente dans les deux cas.
Parlez-nous des tunnels justement, car ce sont des chantiers plutôt exceptionnels
C.G.Sur le principe, un tunnelier va creuser dans la roche et le produit va être transformé, mais il y a deux types de tunneliers.
Les tunneliers à pression de terre sortent, suivant les sections géologiques rencontrées, des matériaux assez fins avec un taux d’humidité important (par exemple la craie va ressembler un peu à de la pâte à dentifrice, suite à l’injection de fluide de forage, type bentonite). C’est différent des simples « coups de pelle » dans des matériaux qui peuvent être réemployés assez facilement.
Il y a une technicité particulière pour le développement et le transport de ces matériaux en toute sécurité, et pouvoir les valoriser et les réemployer d’une façon ou d’une autre.
Il y a aussi deux tunneliers à pression de boue sur le GP, un sur la prolongation d’Eole-RER E et un sur le T2A, ligne 15 sud. Dans ce cas, c’est un produit assez liquide qui sort du tunnel. Les boues qui en sont issues passent par un long tapis roulant et arrivent dans une très grosse installation de lavage, qui réalise une séparation densimétrique entre les sables et les graviers d’un côté et les fines. Celles-ci sont compressées dans des filtres à presse pour être littéralement essorées et vidées de leur eau.
Les sables et graviers, tout autant qu’ils respectent les spécifications techniques, peuvent être réemployés et revalorisés en application béton.
Et donc en pratique ?
C.G. Pour Lafarge Holcim, les chantiers du Grand Paris ont été l’occasion de développer des offres de service sur des lots très importants, allant de 400 000 à plus de 1 million de tonnes sur certains tronçons.
C’est une première de pouvoir se positionner sur des lots aussi importants, cela constitue une opportunité de développer les outils spécifiques pour montrer au marché que Lafarge Holcim est aussi un acteur des déblais et pas uniquement un producteur de matériaux. Cela inscrit la marque dans la boucle de l’économie circulaire, en proposant une offre transport par voie d’eau avec l’optimisation des barges(1), qui leur permet de revenir chargées avec des granulats.
Cela met en valeur la densité du dispositif Lafarge Holcim en matière de carrières et d’installations, avec de grosses capacités d’accueil de matériaux valorisables ou non valorisables en Seine aval.
Cela rend aussi Lafarge Holcim presque complètement autonome sur la gestion des déblais, ce qui permet d’être l’interlocuteur direct et quasiment unique de l’entreprise cliente, pour traiter tous les volumes qui sortent des tunneliers et des travaux de génie civil connexes.
Les marchés de gestion des déblais et de fourniture des matériaux sont-ils liés ?
C.G. Ce sont des marchés qui sont indépendants les uns des autres, mais qui positionnent Lafarge Holcim comme un fournisseur global.
Au démarrage du projet du Grand Paris, les volumes qui allaient sortir des ouvrages ont été sous-estimés, et les délais de réalisation ont été resserrés. Tout cela a mis les grands acteurs devant de véritables difficultés. Ça a permis à Lafarge Holcim de positionner son offre, son savoir-faire et sa filiale de gestion et de valorisation des déchets de chantier, aggneo©.
Par exemple, la stabilisation des déblais non valorisables permet de les utiliser pour combler les carrières, remettre en état les sites avant de les restituer pour d’autres activités, agricoles, paysagères ou autres.
Cela a nécessité de faire autoriser les sites pour accueillir les quelques millions de tonnes (3,7 à ce jour, dont 3,4 millions par voie d’eau) des lots du Grand Paris qu’il va falloir traiter jusqu’en 2021.
Alors le Grand Paris a été le point de départ de cette démarche ?
C.G.Non, le tournant économie circulaire de recyclage et valorisation des déchets avait été pris avant le Grand Paris, partout en France, mais la grande région Île-de-France n’était pas particulièrement en avance, pour des raisons historiques. Les pratiques pouvaient être assez disparates d’une région à une autre et il n’y n’avait pas vraiment eu de réflexion et de travail central sur le sujet.
Pourtant Lafarge n’a pas « inventé » ce marché...
C.G. Les carriers, les routiers, d’autres gros acteurs indépendants sont déjà présents depuis un moment... Lafarge Holcim est face à des acteurs dont c’est le métier central depuis très longtemps, par exemple le groupe ECT en IdF.
La France est-elle le seul pays à développer ces pratiques ?
C.G. Dans le groupe Lafarge Holcim, deux pays sont leaders sur le sujet, la Suisse et la France avec pour objectifs :
- de bien comprendre l’ensemble des process et autres impératifs réglementaires et techniques,
- d’apporter ces compétences aux équipes opérationnelles des différents métiers de la société,
- de développer les valeurs en terme économique, en termes d’image et en termes de préservation de la ressource minérale,
Qu’est-ce qui fait avancer Lafarge Holcim sur ces sujets ?
C.G. La conscience écologique d’abord ; quand on produit des matériaux de construction, on est aussi responsable des matériaux de déconstruction, avec leur recyclage et leur valorisation, sinon on passe à côté de l’histoire. C’est tout à la fois un relais de croissance et une nécessité sociétale.
Lafarge Holcim a tous les outils à disposition pour mettre cela en œuvre, un maillage géographique important près des grands centres urbains (dépôts, plateformes, carrières...) qui permet de rester sur une boucle courte d’approvisionnement des matériaux et de la récupération des déchets. C’est la notion de double fret : fournir des matériaux et revenir à charge = optimisation des transports.
Le marché global au-delà du Grand Paris est de 250 millions de tonnes de déchets par an. C’est un marché qui répond de plus en plus à des normes réglementaires, depuis une dizaine d’années et c’est donc une demande forte des maîtrises d’ouvrage.
Mais il faut aussi faire changer les mentalités pour que les différents intervenants et décideurs acceptent de passer des matériaux « nobles » aux matériaux que j’appellerai « secondaires » pour ne pas employer le mot de déchet.
En conclusion ?
C.G. En 2018, 150 000 tonnes de béton ont été produites avec des matériaux recyclés, dans le respect complet des normes appliquées au béton. Il faut changer les habitudes des producteurs, pour leur assurer et les rassurer sur le fait que cela n’affectera pas la qualité du béton livré aux clients. Mais cette transformation des mentalités est très avancée, et c’est finalement très valorisant d’être acteurs du recyclage et de la valorisation des déchets.
Interview Régis Bourdot
Images copyright Lafarge Holcim
(1) Il est couramment admis qu’un convoi de deux barges tractées peut contenir l’équivalent de plus de 200 camions. C'est donc autant de poids lourds évités sur les routes.
aggneo© est une marque déposée il y a quelques années par Lafarge Holcim. Ce nom « raccourci » de « new agregate » signe un projet qui a pour objectif de favoriser l’accélération des actions et des projets autour de l’économie circulaire et de la valorisation des déchets de chantier. Lafarge France a une volonté forte de se positionner sur ces activités, car la société n’était pas encore très présente au début des années 2000, et surtout les actions n’étaient pas uniformisées au niveau national. Les missions de l’équipe de 20 personnes autour de Catherine Greder sont les suivantes :
En résumé, Lafarge Holcim ne veut pas être uniquement un « simple » fournisseur de matériaux, mais aussi un véritable acteur de la déconstruction, de recyclage et de la valorisation des déchets de chantier. |