Les réseaux de chaleur se verdissent… à un rythme encore trop lent
Les réseaux de chaleur ont un rôle « essentiel » à jouer dans l’atteinte des objectifs de transition énergétique, et il est nécessaire de soutenir plus amplement leur développement si la France souhaite tenir ses objectifs climatiques. C’est l’idée défendue par l’association AMORCE et le Syndicat national du chauffage urbain (SNCU).
A ce jour, on compte 798 réseaux de chaleur, d’une longueur cumulée de 5 964 km (contre 3 321 km en 2009). « Les réseaux de chaleur alimentent 2,37 millions équivalents-logements. C’est quand même assez conséquent. Un grand nombre de citoyens français sont concernés et sont parfois livrés sans le savoir », a dévoilé Aurélie Lehéricy, présidente du SNCU.
Les réseaux de froid ont également progressé même s’ils restent peu représentatifs avec 0,96 TWh de froid livré net en 2019 (contre 0,93 TWh en 2009), et 239 km de longueurs desservies contre 131 km il y a 10 ans, pour 1 339 bâtiments raccordés. « Le refroidissement urbain est une préoccupation grandissante pour l’ensemble des citoyens. On le voit bien, nous avons eu des records de température qui se sont succédé en France ces trois dernières années. Nous passons d’un froid confort à un froid sanitaire ». Reste à structurer la filière pour que les installations ne se multiplient pas en ville d’une manière désorganisée, et ainsi lutter efficacement contre les ilots de chaleur.
Les réseaux de chaleur pour réussir la transition énergétique
Se référant à la chaleur, elle a évoqué le verdissement des réseaux. « La chaleur représente en France 677 TWh, c’est 40% de la consommation finale d’énergie ». Elle est principalement issue du gaz, les énergies renouvelables et de récupération étant le deuxième contributeur avec 155 TWh (21%). A noter que la chaleur issue des réseaux est à 60% renouvelable (contre 31% en 2009). Dans une récente étude, l’association AMORCE et le SNCU révèle que le gaz naturel est la principale source d’énergie des réseaux de chaleur (35,2%), une part qui a fortement baissé depuis 2009 (44%). La biomasse a connu une forte progression (passant de 3% à 23,8%). Le fioul et le charbon ont eux respectivement reculé de 8,5 points et de 4,3 points.
« Nous avons sur tous les territoires, des ressources renouvelables à portée de main. Les réseaux sont de loin le meilleur moyen de les exploiter », a avancé Aurélie Lehéricy. Les réseaux se présentent ainsi comme une opportunité pour atteindre les objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Mais « c’est une solution pérenne qui est encore insuffisamment exploitée ». En effet, sur les 155 TWh de chaleur renouvelable en France, les réseaux ne contribuent qu’à hauteur de 15 TWh.
Développer les réseaux de chaleur présente aussi un fort intérêt au niveau local. « 98% des réseaux de chaleur sont publics et appartiennent aux collectivités territoriales, donc la filière et les opérateurs ne sont, quelque part, que les exploitants pendant une certaine durée. Cela signifie que tous les investissements réalisés dans la filière, reviennent à la collectivité. C’est un héritage pérenne, non délocalisable, qui génère des emplois locaux et sert tous les territoires », a insisté la Présidente du SNCU.
Des réseaux plus verts
Le verdissement des réseaux a été permis grâce au soutien « essentiel » du Fonds chaleur, a indiqué Aurélie Lehéricy. « Nous avons doublé les volumes de chaleur renouvelable pour atteindre aujourd’hui 15 TWh. Nous étions à moins de 8 TWh en 2009, donc évidemment, il y a de la fierté sur le chemin parcouru », a-t-elle dit ajoutant que les émissions de CO2 au sein des réseaux de chaleur ont diminué de plus de 40% en 10 ans. « Mais nous sommes très réalistes, il y a encore tant à faire. Les volumes produits par les réseaux de chaleur plafonnent. Ils ont augmenté de 9% en dix ans. Il y a une raison très positive, c’est que les bâtiments sont moins énergivores, mieux isolés, et ça c’est une excellente nouvelle ». Le point négatif, c’est le prix des énergies fossiles « qui est extrêmement bas » et « qui n’est pas suffisamment taxé ». C’est « un frein au développement de la chaleur renouvelable ».
Le prix de vente moyen de la chaleur distribuée par réseau s’établit à près de 75 € HT/MWh en 2019 (+ 1,2% par rapport à 2018). La TVA à taux réduit rend les réseaux vertueux compétitifs, souligne un communiqué. Les Syndicats estiment que les réseaux de chaleur restent compétitifs par rapport aux solutions de chauffage électrique et au gaz. A titre d’exemple, ils indiquent : « Chauffer un logement moyen alimenté par un réseau de chaleur avec un taux d’EnR&R supérieur à 50% coûte 1 238 € par an », contre 1 443 € pour un logement similaire alimenté en gaz collectif, et 2 028 € pour un logement alimenté par une pompe à chaleur.
Comment accélérer leur développement ?
Via le Fonds de chaleur tout d’abord qui apporte des aides aux maîtres d’ouvrage, qu’ils soient publics ou privés, souhaitant s’engager dans un projet de production et d’utilisation de chaleur renouvelable. En 10 ans, le Fonds Chaleur a été doté de deux milliards d’euros, et a soutenu plus de 5 000 installations, a détaillé Fabrice Boissier, directeur délégué de l’Ademe. Il a précisé « Il y a une augmentation des fonds alloués », de 200 millions d’euros par an en moyenne, à 350 millions d’euros. Ce qui devrait permettre d’accélérer les aides, rattraper le retard et atteindre un taux minimum de 65% d’EnR&R, a-t-il déclaré.
S’agissant du dit-retard, les intervenants ont expliqué que la vitesse de développement des réseaux est deux fois inférieure à celle prévue par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La filière est mobilisée pour atteindre les objectifs. Parmi les actions engagées, celle portée par AMORCE, le Cerema et l’Ademe auprès des villes de plus de 10 000 habitants ne bénéficiant pas encore des avantages d’un réseau de chaleur. Une initiative qui « donne déjà des premiers résultats ».
Bien sûr le développement des réseaux de chaleur va dépendre des réglementations à venir. S’agissant du décret tertiaire, Aurélie Lehéricy a évoqué l’importance de « modifier la méthodologie pour prendre en compte la consommation totale d’énergie. Pas uniquement ce qui est à l’intérieur du bâtiment ». C’est bien le « tout électrique » qui est pointé du doigt. Un réseau de froid « consomme deux fois moins d’électricité pour fonctionner, émet deux fois moins de CO2 et utilise dix fois moins de fluides frigorigènes », a-t-elle souligné.
Nicolas Garnier, délégué général d’AMORCE, s’est lui aussi référé au décret tertiaire, annonçant que l’association demanderait très certainement un report des échéances voire de la mise en œuvre « parce que nous avons l’impression que nous sommes en train de prendre une direction qui pourrait être mortifère pour la rénovation énergétique ». Pourquoi ne pas créer une instance indépendante de suivi, s’est-il interrogé, « pour s’assurer de la bonne évaluation environnementale ». « Il faut quand même que ce cadre réglementaire de la transition énergétique fasse consensus ». Citant la RE2020, et notamment les modes de calcul, il s’est dit craindre, là encore, un recours massif au chauffage électrique. « Nous avons des solutions industrielles intéressantes » qui vont « être mises en difficulté par ces réglementations ».
Rose Colombel
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