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Les conséquences de la RT 2012 sur la destination des ouvrages (3/3)

Publié le 20 juin 2013

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La nouvelle normalisation des ouvrages, telle qu’imposée par la Réglementation Thermique 2012, va avoir des conséquences importantes sur la destination des ouvrages en ce sens que le non-respect des normes techniques très pointues pourraient conduire le juge à considérer l’impropriété à la destination des ouvrages à basse consommation. Troisième et dernier épisode du texte de Gildas Neger, Docteur en Droit.
 Les conséquences de la RT 2012 sur la destination des ouvrages (3/3) - Batiweb

Episode 3 : de manière plus globale, l'atteinte à la destination peut-elle résulter de l'intégration de la valeur environnementale dans sa définition ?


Il nous apparaît que l'atteinte à la destination de l'ouvrage, ouvrant la voie à l'établissement de la responsabilité décennale, pourrait être acquise, à raison du fait que l'appréciation de la destination d'un ouvrage relève de l'appréciation souveraine du juge et que rien n'interdirait à un tribunal de décider, à l'instar de ce qui a été admis en matière d'isolation phonique, que nonobstant le respect des normes, la responsabilité décennale est établie au regard d'une destination de l'ouvrage qui inclurait le respect de l'environnement érigé au rang de valeur à protéger, au même titre que l'étanchéité ou la sécurité des personnes, pour autant, bien évidemment, que les expertises n'en établissent pas l'origine dans un problème d'utilisation des locaux.

Il en irait ainsi en matière de performance énergétique comme en matière de sécurité. Faut-il rappeler que l’article 1er de la Charte de l’environnement, instaure le droit constitutionnel de chacun à vivre « dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé » [29] ?


Par-delà le respect des normes théoriques mais aussi pourquoi pas, au nom du principe de précaution [30], il sera toujours loisible à un expert judiciaire et à un juge d'estimer que la sécurité des personnes n'est pas qu'affaire de théorie et que lorsqu'elle apparaît matériellement compromise, il y a lieu de considérer qu'il y a atteinte à la destination. De même, ils pourraient décider que la performance énergétique qu'on est en droit d'attendre de tout bâtiment en 2012 ne doit pas être que théorique...

Il est de jurisprudence constante, en application de la loi de 1978 [31], comme sous l’empire de celle de 1967 [32], que les juges du fond apprécient souverainement si le désordre compromet la solidité de l’ouvrage ou le rend impropre à sa destination.


Si la non-conformité aux normes est parfois considérée comme caractérisant une impropriété à la destination d’un ouvrage [33], la troisième chambre de la cour de cassation juge également qu’un désordre peut être de nature décennale bien que les normes soient respectées [34].


Une position similaire est adoptée en ce qui concerne les troubles de jouissance qui peuvent engager la responsabilité du bailleur à l’égard de son locataire bien que les bruits soient inférieurs aux limites réglementaires [35]. Il en est de même pour les troubles de voisinage : le caractère anormal de ces troubles, apprécié souverainement par les juges du fond, peut exister malgré le respect des normes et règlements [36].


Dans la mesure où l’évolution des textes et de la jurisprudence, va, nécessairement, dans le sens d’une meilleure protection de l’usager, une partie des constructeurs redoutent donc cette possible évolution qui les conduirait, pour pouvoir s'affranchir de la présomption de responsabilité, à devoir supporter la charge de la preuve de la faute de la victime, c'est-à-dire établir la mauvaise utilisation de l’ouvrage par ses occupants. D’autant que cette jurisprudence est approuvée en doctrine [37] mais également par la juridiction administrative [38].


On pourrait même imaginer que, malgré le respect des normes réglementaires, les constructeurs pourraient être mis en responsabilité pour manquement à l’obligation de conseil [39] comme cela a été fait en matière de nuisances sonores [40]. L’action étant alors prescrite dans le délai de dix ans [41].


Cette évolution sera sans doute grandement favorisée par le fait que le respect de la norme peut être attesté par l'architecte qui a dirigé le chantier, ce qui fait redouter une appréciation quelque peu optimiste des résultats obtenus et ce, d'autant plus qu'en cas de délivrance d'une attestation de non-conformité, le délit pénal se trouve alors constitué. Là encore, une modification de la législation s’impose en excluant de la liste prévue à l’article L111-9-1 du Code de la construction et de l’habitation les architectes, sauf à préciser qu’en cas d’intervention de ce dernier pour la rédaction de l’attestation prévue, il ne doit pas avoir rempli les fonctions de maître d’oeuvre du projet concerné puisqu’il n'est pas acceptable de mener une mission de construction en étant « juge et partie ».

Il est donc à craindre que demain, ce soit au nom du fait que précisément l’architecte maître d’oeuvre est trop bien placé pour apprécier ladite conformité de manière impartiale, que les tribunaux ne s'en tiennent pas au seul respect de la norme conventionnelle [42] pour juger de l’impropriété ou non de la destination de l'ouvrage et donc quelque part, de la responsabilité civile décennale de l'architecte en question...


Selon le professeur Hugues Périnet-Marquet, l’application très large de l’impropriété à destination a même marginalisé la responsabilité contractuelle de droit commun et érige la décennale comme la responsabilité ordinaire des constructeurs : « Il est devenu banal, pour les assureurs et les constructeurs, de se plaindre de la jurisprudence sur la notion d’atteinte à la solidité et d’impropriété de destination. De nombreux exemples illustrent cette tendance extensive : un parquet qui grince dans une pièce, un écrou qui se desserre et qui cause une inondation… » [43].


« Cependant, le rapport du deuxième groupe de travail sur la GPE, mandaté par le Plan bâtiment durable et déposé le 29 mai 2013, donne des pistes sérieuses qui permettront peut-être de mettre d’accord l’ensemble des acteurs concernés : une définition légale de l’impropriété à destination en matière de performance énergétique, encadrée par des critères tels que la prise en compte de la seule consommation conventionnelle au regard de la RT 2012, la nécessité d’une consommation supérieure à un certain seuil ou l’appréciation par rapport à l’ouvrage dans son ensemble. Mais le débat n’est pas clos… » [44].

Gildas Neger, Docteur en Droit

Episode 1 : Les conséquences de la RT 2012 sur la destination des ouvrages (1/3)
Episode 2 : la notion de « destination » va-t-elle être « grenellisée » par les tribunaux pour ce type de travaux ?

Notes de bas de page

Image credit: ideadiss / 123RF Banque d'images

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