Industries de l’habitat : comment The Shift Project voit leur décarbonation
Ce jeudi, l’association des Industriels du nouvel habitat (Inoha) tenait sa rencontre annuelle entre tous les professionnels du secteur. Inaugurée par le président d’Inoha, Jean-Luc Guéry, la journée a débuté avec une intervention vidéo du ministre des Industries, Roland Lescure.
L’intéressé a tenu à exposer les trois piliers importants de planification écologique de la construction : l’évolution des modes constructifs - soulignant l’importance des biosourcés -, l’accent sur les technologies - notamment sur la structure et l’enveloppe du bâtiment - ainsi que l’économie circulaire, avec l’application prochaine de la REP.
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L'intervention a été suivie de celle de Jean-Marc Jancovici. L’ingénieur et co-directeur du think tank Shift Project, en faveur d’« une économie libérée de la contrainte carbone », a présenté les mesures et réflexions que peut suivre l’industrie du bâtiment, en particulier du nouvel habitat, en ce sens. Sont-elles proches des mesures présentées par l'association Inoha en début d'année 2022 ?
Une productivité des industries étroitement liée à la consommation énergétique
Se déroule d’abord une frise chronologique de l’histoire des consommations énergétiques, de l’âge des « convertisseurs » à taille humaine, munis d’une charrette à boeufs, au Moyen-Âge et celui de l’« explosion des machines », à la révolution industrielle. Tout un parcours par lequel la consommation énergétique est devenue une donnée économique, dont la productivité des entreprises - y compris du bâtiment - est devenue dépendante.
Mais à l’heure du réchauffement climatique, il convient de conserver l’appareil de production en limitant l’empreinte carbone. Une économie durable donc, compatible par exemple avec -5 % d’émissions de CO2 par an, comme l’expose Jean-Marc Jancovici.
Une ambition belle sur le papier. Cependant, « dans un monde avec moins en moins de machines, la productivité et l’emploi vont baisser, parce que ce qui a fait la productivité du travail c’est les machines. Un ouvrier ne produit pas plus de tonnes de ciments parce qu’il a poussé des bras et des jambes et que sa bouche est capable de souffler à 1 000 °C », commente l’intéressé, soulignant la prépondérance des cimenteries fossiles dans le processus.
Moins de construction neuve et de la rénovation à bon escient
Or, utopistes, les équipes de Shift Project ont dessiné - dans l’hypothèse où la productivité se maintiendrait sans machines fortement émissives - un plan de préconisations. D’abord la division par deux de la construction neuve, « parce qu’aujourd’hui on construit chaque année deux fois plus de m2 qu’on crée de nouveaux ménages », relève Jean-Marc Jancovici. Compliqué, quand on sait que la crise du logement se fait de plus en plus sentir et trouve une solution dans la construction.
Autre solution à la crise du logement évoquée : améliorer la performance thermique de l’enveloppe du bâtiment existant. Toutefois, attaché à ses convictions, Jean-Marc Jancovici ne peut s’empêcher de se demander si « tout le bâti existant a encore sa fonction dans un monde sans énergie fossile. Étant entendu que l’Île-de-France a 10 millions d’habitants, on ne peut pas se nourrir de la superficie de l'Île-de-France. Donc, si on en revient à la charrette à boeufs, une partie des habitants d’Île-de-France meurent ou alors déménagent. S’ils déménagent, il n’y a plus de besoin de leurs bâtiments. S’il n’y a plus besoin de leurs bâtiments : faut-il consacrer des ressources à les rénover ? »
Au-delà de la question du bon matériau au bon endroit, se dessine alors la question de la bonne rénovation au bon endroit, mais également au bon moment : « J’insiste sur le fait qu’une partie du bâti existant, notamment celui qu’on construit depuis la dernière guerre, c’est-à-dire dans un contexte d’explosion de l’approvisionnement pétrolier par personne, une partie de bâti n’aura plus de fonction sans combustible fossile », rappelle Jean-Marc Jancovici. Se dégage donc l’idée de miser sur des énergies moins carbonées (PAC, bois etc.) et d’abandonner le fossile (fioul et gaz).
Des matériaux et des transports moins émissifs…
Vient ensuite la baisse des émissions sur les matériaux produits. « Quand on regarde l’industrie française on un quatre-quart : un quart des émissions c’est de la scierie, un quart des émissions c’est de la cimenterie, un quart des émissions c’est de la chimie, et un quart des émissions c’est tout le reste », observe Jean-Marc Jancovici, avant de se pencher sur le cas des industriels de l’habitat : « Or, vous, vous utilisez de la métallurgie - puisqu’il y a de l’acier dans les construction, vous utilisez à l’évidence du ciment, et vous utilisez de la chimie basse, puisqu’une bonne partie du plastique sert à faire des éléments de construction : des goulottes pour faire passer des chiffres électriques, des éléments de fenêtres, des revêtements de toit avec du bitume. Vous avez des produits pétroliers absolument concernés par trois-quarts des émissions directes de l’industrie française ».
En réponse, le co-directeur de Shift Project préconise notamment le recours à l’hydrogène dans la production d’acier ou bien la récupération de liants hydrauliques ou l’usage de gypse et moins de ciment pour le béton. « À chaque fois vous arrivez à une réduction de 5 à 10 % des émissions d’ici 2050 », estime-t-il, sans pour autant parvenir à une neutralité carbone fixée par l’Europe. « Nous, on se fait pas faire ! », précise-t-il.
Côté fret, il conviendrait selon lui de baisser les volumes, électrifier tant les camions que les axes routiers, et passer à des modes très sobres sur les derniers kilomètres. Bien que Jean-Marc Jancovici reconnaisse : « des tonnes de ciment sur chantier ça va être un peu compliqué ». D’autant que la livraison en utilitaire électrique, lancée par exemple en 2021 par Point.P, en est encore à ses balbutiements.
Virginie Kroun
Photo de Une : V.K