Les « quartiers Nord », à Bruxelles ou à Marseille, le même constat … intégration
Derrière les grandes barres d’immeubles, les donzelles à moitié nues de la rue d'Aerschot, qui aligne près d'une centaine de vitrines aguicheuses, côtoient les femmes voilées de la rue de Brabant, dont les échoppes d'épices orientales et de théières argentées exhalent un enivrant parfum de souk. La cohabitation est délicate entre les deux artères et pourtant, elle a lieu.
La rénovation de la voirie, avec la plantation d'arbustes, n'a pas permis d'épurer les lieux. Bien au contraire. Le 17 février dernier, le principal problème à l'ordre du jour d'une réunion entre les habitants du quartier Aerschot et le bourgmestre de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (MR-FDF), se résumait à quatre lettres : pipi !
Depuis l'installation d'un éclairage public bleuté sur le talus de la voie ferrée, les habitués des bordels ne vont plus se soulager le long du mur retenant le talus, mais contre les maisons des rues perpendiculaires. La commune a donc décidé : d'installer deux urinoirs publics et de faire la chasse, à l'aide de caméras, aux pisseurs sauvages. Vingt-deux contrevenants ont été attrapés, en moins de quatre heures, lors d'une première opération nocturne.
Génial ! Un gros problème de moins.
Ne croyez pas que cela soit le seul problème qu’il restait à résoudre dans la cité. Mais les habitants en s’appropriant le lieu, se sont aussi appropriés le droit d’y vivre mieux et en paix.
Au nord de Marseille, le quartier Nord …
Ici, pas de voitures brûlées la nuit de la Saint Sylvestre comme à Strasbourg, pas d'émeute urbaine comme dans la banlieue parisienne ou lyonnaise. Les clichés et les représentations les plus fortes sont utilisés pour expliquer cette particularité.
La réussite marseillaise dans l'intégration (car il y a réussite tant la ville échappe, pour l'instant, aux difficultés des autres villes françaises) ne peut s'expliquer selon certains que par l'histoire, imaginant une cité éternelle ouverte au monde et dont la population ne serait toujours composée que d'enfants d'immigrés.
Mais c’est aussi une conscience fondée sur les solidarités de voisinage et les améliorations concrètes de la vie au quartier, conscience qui a pu réunir des hommes et des femmes venus d’horizons géographiques et ethniques si divers et un territoire communal approprié par ses habitants.
Le territoire communal marseillais a la particularité d'être particulièrement étendu : plus de 24000 hectares avec 800 000 habitants. De fait, lorsque dans les années 60 et 70, sont lancés les grands programmes d'équipements en logements collectifs, la ville bénéficie de grandes réserves foncières. Il n'y a pas de banlieue ni de banlieusards à Marseille et ces termes sont d'ailleurs peu usités par les habitants. Les quartiers populaires sont les quartiers Nord et les quartiers plus aisés les quartiers Sud, mais ils sont des quartiers qui appartiennent à la même collectivité et donc partagent la même identité marseillaise.
De fait, cette particularité joue un rôle essentiel dans l'intégration des populations immigrées. En comparant les pratiques quotidiennes et les représentations d'un groupe de jeunes Français dont les parents ont la nationalité française et un autre dont les parents sont Algériens, les sociologues mettent en avant deux aspects essentiels :
- Les jeunes Marseillais s'identifient très fortement à leur quartier quand celui-ci est composé de petits immeubles et de maisons individuelles et quand la vie y est animée par un marché ou des petits commerces par exemple. Ils en connaissent le nom et le qualifient en priorité comme lieu de résidence : la Belle de Mai par exemple.
- Mais, si le quartier est surtout composé de grands ensembles construits dans les années 60 et 70 et qu'il n' y pas d'atmosphère de quartier comme Ste Marthe, St Barthélemy ou Le Canet, les jeunes se disent davantage de telle ou telle « cité ». Dans l'ensemble, ils se prononcent comme étant des quartiers Nord.
Les lieux fréquentés par les jeunes sont les mêmes, quelle que soit l'origine ethnique et quel que soit le quartier d'habitation. Ainsi, les jeunes des quartiers Nord se retrouvent-ils au Vieux Port, sur la Canebière, la rue St Ferréol, les plages du Prado, le stade Vélodrome et le parc Borély.
Ce sont des espaces ouverts, qui échappent la surveillance étroite des adultes (la présence des vigiles éloigne les jeunes maghrébins du Centre Bourse, par exemple) et qui permettent de donner libre cours aux expressions de la convivialité méditerranéenne comme la tchatche. 100% des jeunes des quartiers Nord fréquentent le centre de la ville et 75% les quartiers Sud ; ils s'approprient tout l'espace urbain.
La configuration du territoire est donc essentielle dans l'intégration des populations ; le centre de Marseille n'est pas confisqué par une classe sociale : il s'y trouve une importante communauté d'immigrés maghrébins, souvent pauvre.
D'ailleurs, les politiques municipales évoquent la nécessité de « reconquérir le centre » dans une expression qui n'identifie jamais contre qui ou contre quoi la reconquête doit se faire mais qu'implicitement, tout Marseillais comprend. Les jeunes des quartiers Nord et les jeunes des quartiers sud n'hésitent pas à se dire du centre.
La ville de Marseille, dans ses moindres recoins, appartient à tous ceux qui y vivent, quelque soit leur ancienneté dans le territoire : au cours du Mondial de 1998, ils proclamaient « Fiers d'être Marseillais » et criaient « Zidane, président !! », enfant de la cité Castellane en plein quartier Nord, dont le maintien du portrait publicitaire dans un quartier bourgeois de la partie Sud de la ville donna lieu à un référendum qui mobilisa une large partie de la population.