Construction du Grand Paris : des leçons à recevoir de personne
J’ai pris des positions critiques sur le texte en cours d’examen, notamment sur la Métropole du Grand Paris. Celles-ci ne devraient étonner ni choquer personne, et ce pour diverses raisons.
Tout d’abord parce que je porte depuis de nombreuses années les mêmes valeurs et défends la même vision de la métropole. Celle d’un développement polycentrique, solidaire, à partir des dynamiques de territoires. Cette position, je l’ai portée, et parfois à contre-courant de la pensée dominante, à des moments clés de la construction métropolitaine : lors de la création de la conférence métropolitaine en 2001, lors de la préfiguration du syndicat mixte Paris Métropole en 2007 et 2008, à la publication du rapport Dallier en 2008 ou du rapport Balladur en 2009, en réaction à la présentation par le Président Sarkozy de sa vision du Grand Paris.
Je renvoie chacun, y compris Madame Pécresse qui, lors des débats parlementaires, ne se prive pas de faire référence à mon opposition au texte actuel, à mes nombreuses interventions contre le Grand Paris de Dallier / Sarkozy dont j’ai ardemment combattu la vision, y compris au sein de l’hémicycle avec mes collègues socialistes lorsque nous étions dans l’opposition.
Des leçons à recevoir de personne
Je pense n’avoir de leçon à recevoir de personne concernant mon implication à construire le Grand Paris. La « révolution métropolitaine », ce ne sont pas forcément ceux qui en parlent le plus, qui la font effectivement.
Nul n’ignore la position que j’ai toujours portée autour du scénario « de la marguerite » puis du polycentrisme. Alors permettez-moi de faire œuvre de constance et de protester aujourd‘hui avec vigueur contre un texte qui rompt avec les conclusions des travaux que Paris Métropole a portés durant 5 ans et des points de consensus qui ont été dégagés par plus de 200 collectivités adhérentes, dans un esprit de respect et de recherche de l’intérêt général pour nos concitoyens. Nous avons pris au pied de la lettre la parole du Président de la République qui, à la Sorbonne le 9 octobre 2012, nous invitait à l’innovation pour la métropole de Paris.
Permettez ma colère, alors que ce qui nous a animés durant des années au sein de cette instance démocratique est foulé aux pieds, alors que Paris Métropole est renvoyé à son « échec » pour ne pas avoir réussi à écrire la loi. Et si c’était tout simplement l’inverse ? Si Paris Métropole avait justement un peu trop bousculé les lignes, portant une vision de la métropole polycentrique, multipolaire et solidaire, vision partagée par des élus de toutes tendances politiques, perturbant ainsi les dessins de ceux qui, depuis longtemps, souhaitent construire une métropole intégrée, concentrique et qui aujourd’hui se trouvent peut-être satisfaits.
Aucun texte de loi n’aurait pu émerger si Paris Métropole n’avait mené le plus large débat démocratique jamais connu sur le Grand Paris, n’avait permis de faire prendre conscience du fait métropolitain et de la nécessité de construire la Métropole dans une logique ascendante à partir des visions et des expériences locales, n’avait élaboré un socle commun.
J’ai été parmi les premiers à regretter le rejet du texte par le Sénat et l’ai fait savoir publiquement. Cependant, je déplore tout autant que suite au rejet du Sénat, ce soit un tout autre texte qui ait été déposé à l’assemblée via la Commission des lois.
Un « putsch parlementaire » ?
Que ceux qui se sont émus que j’emploie le terme de « putsch parlementaire » dans ma première réaction, s’émeuvent tout autant que l’un de leurs collègues député ait revendiqué publiquement un tel putsch après l’adoption de l’amendement par la Commission des lois !
Force est de constater que la rapidité et la précipitation avec laquelle ce texte a été écrit n’ont pas permis la nécessaire concertation avec les élus locaux, et en particulier ceux des EPCI que l’on prétend supprimer, contrairement aux présidents des conseils généraux qui ont été consultés au préalable.
Cela pourrait être perçu comme du mépris à l’égard des élus locaux qui ont construit pierre après pierre l’intercommunalité pour promouvoir le développement de leur territoire, qui ont su dépasser les intérêts particuliers pour construire un projet commun. Espérons que la raison l’emportera et que l’examen en deuxième lecture du texte permettra cette nécessaire concertation.
Car c’est bien sur le fond que nous divergeons. Nous ne sommes pas convaincus que les conseils de territoire, tels qu’ils sont proposés, réduits à des subdivisions administratives, permettront l’efficacité recherchée. Le dispositif proposé conduit à une centralisation des pouvoirs vers un monstre bureaucratique et technocratique, coupé des réalités territoriales. Tout le monde s’entend pour reconnaitre qu’en l’état, avec des territoires sans personnalité juridique et sans moyens, cela ne pourra pas fonctionner. Nous contribuerons concrètement à proposer lors de l’examen de ce projet de loi au Sénat un statut pour les conseils de territoire.
Il ne suffit pas de vouloir « alléger le mille-feuille » d’une couche comme en son temps on cherchait à « dégraisser le mammouth ». Encore faut-il savoir si cette « simplification » aura les résultats escomptés, si l’action publique sera plus efficace au service de nos concitoyens.
Débattre avec les élus et les habitants
J’invite les parlementaires porteurs de ce texte à venir débattre avec les élus, salariés, habitants de Plaine Commune, avec nos partenaires associatifs et économiques autour des enjeux du Grand Paris, à venir découvrir les projets novateurs et partenariaux autour de la création d’emploi, du développement local, de l’aménagement mais aussi de la lecture publique etc. que nous portons ensemble. Cela permettrait sans doute de nourrir leur réflexion et de donner réellement corps aux conseils de territoire qui pour, l’heure, ne nous paraissent pas opérants.
Plaine Commune est le territoire qui construit le plus de logements en Ile-de-France. Le contrat de développement territorial que nous nous apprêtons à signer avec l’Etat fin 2013 nous engage à construire 4 200 logements par an. Les ententes et coopérations que nous avons créées avec l’ensemble des communautés d’agglomération voisines (CAVAM, Val de France, Argenteuil Bezons, Est Ensemble) et avec la ville de Paris, pour traiter à l’échelle la plus pertinente des enjeux métropolitains, font de notre territoire comme bien d’autres des préfigurateurs de la Métropole.
Bien sûr, nous ne souhaitons pas la page blanche, ce ne serait pas à la hauteur des enjeux posés et des attentes de nos habitants. Ce n’est pas un hasard si des communautés d’agglomération comme Plaine Commune et Est Ensemble, toutes deux situées en Seine-Saint-Denis, devant affronter des problématiques sociales similaires, revendiquent depuis plusieurs années haut et fort leur appartenance au Grand Paris et le fait que celui-ci se construit à partir des territoires populaires de banlieue, des territoires où se concentrent les inégalités, la crise du logement, le chômage, les fractures sociale et écologique, etc. Nous sommes les premiers concernés par les chantiers prioritaires que la Métropole devra engager sans tarder pour le droit au logement, à la mobilité, à l’emploi, à des services publics de qualité et pour tous.
Alors de grâce, pour que ce projet de loi permette un réel bond en avant de la métropole que nous appelons de nos vœux, ne cassons pas les dynamiques existantes et appuyons nous sur ce qui existe et qui fait déjà métropole. Nous avons à notre disposition des outils qui fonctionnent, les intercommunalités, qui une fois généralisés à l’échelle de la petite couronne, seraient un point d’appui essentiel à la Métropole du Grand Paris. Ne cultivons pas le paradoxe de supprimer les bonnes pratiques au lieu de s’appuyer sur elles et de les généraliser.
Pour paraphraser Paul Eluard, « une autre métropole est possible » mais il est nécessaire de la construire en partant de ce qui existe.
Patrick Braouezec, président de Plaine Commune
Crédit photo : AFP/S.de Sakutin