Après le cyclone Chido, la complexe reconstruction de Mayotte

Le 13 février dernier, le Parlement a définitivement adopté la loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte. Plus de trois mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, peut-on parler d’un chantier bien organisé ?
« Il y a eu une forte mobilisation de nombreux architectes sur la question des diagnostics », nous confie Cyrille Hanappe, co-fondateur de l’agence Air Architectures, dont l’une des antennes se situe sur l’archipel, à Chiconi.
Lesdits diagnostics concernent notamment des toitures envolées, sur des maisons souvent au niveau de la norme en termes de résistance au vent. « Suivant l'endroit où votre maison est positionnée, si elle est en haut d'une butte, dans le fond d'une vallée, dans des endroits très particuliers, il peut y avoir des accélérations de vent. Donc cela, augmente encore les dégâts », souligne l’architecte.
« Il y a un besoin de coordination »
Sans compter le coût de diagnostics, alors que sur l’archipel « la plupart des maisons ne sont pas tellement assurées voire ne le sont pas en général », évoque M. Hanappe.
Il se remémore d’ailleurs sa participation au concours « Un toit pour tous en Outre-mer », organisé par le ministère du Logement, le ministère des Outre-mer et le Plan urbanisme, construction et architecture.
« Des maisons ont été mises au point et il devait y avoir un financement public. Mais pour ce financement, une assurance dommage d'ouvrage était exigée. Or, aucun assureur français n'accepte d’indemniser les sinistres à Mayotte», nous raconte-t-il.
Sur ce département ultramarin, les habitants vivent d’économie grise et dans des logements précaires. Un défi difficile à démêler pour les acteurs de sa construction.
« Tous autant qu'on est, on se retrouve rattrapés par le réel, à savoir qu'il y a une maîtrise d'ouvrage désorganisée par le cyclone, des entreprises surchargées et de manière générale, peu armées pour répondre à des marchés publics », déplore Cyrille Hanappe.
L’expérience de Jipé Réunion, entreprise de construction modulaire opérant à la Réunion et à Mayotte, le confirme. Selon son directeur opérationnel, Guillaume Lamy, le responsable à Mayotte a assisté à la reconstruction à base de bâches voire de tôles, quand celles-ci ne manquent chez les entreprises.
Pour la société, « il ne s'est pas passé grand-chose à Mayotte », à part un chantier afin de loger des magistrats et des premières prises de contact sans suite. De plus, les moyens d’hébergement manquent sur l’archipel, pouvant freiner l’envoi d’équipes sur le terrain.
Du côté de l’Association des Constructions Industrialisées et Modulaires (ACIM), « on attend avec impatience la mise en place de l'établissement public mais on a le sentiment que tout n'est pas très clair, et que le ministère du Logement travaille d'un côté, celui des collectivités locales de l’autre, etc. Il y a un besoin de coordination », nous confie son président, Éric Aurenche.
Du pragmatisme quant aux normes et aux bidonvilles
« Il manque environ entre 30 000 et 50 000 logements à Mayotte. Il manque 52 000 logements correspondant aux normes minimales de décence et de dignité dans le logement. Les deux bailleurs publics de l’archipel, Action Logement et la Société immobilière de Mayotte, en ont programmé 10 000 d'ici 10 ans », nous dénombre Cyrille Hanappe.
En attendant, l’architecte et d’autres confrères misent sur le pragmatisme. En particulier concernant les bidonvilles, dans le viseur la loi d’urgence, car dangereuses en cas de cyclone ou intempéries.
« Il faut repenser les questions de sécurité, parce qu'on n'aura jamais les moyens à Mayotte de payer de la construction parfaitement aux normes», pense M. Hanappe. D’autant que d’un point de vue foncier, viabiliser les emprises des bidonvilles rajouteraient entre 30 000 et 40 000 euros de budget, pour une maison de 100 000 euros, estime l’architecte.
Pour protéger la population mahoraise en cas de catastrophe naturelle, le co-fondateur d’Air Architectures préconise la mise en place d’un réseau d’espaces de refuge dédiés ou au sein des bâtiments publics, comme c’est le cas en Martinique.
À plus long-terme, de tels espaces peuvent être prévus dans les maisons. « Dans les maisons que nous sommes en train de construire à Kawéni, les structures sont en bois et briques de terre compressées et prévus pour résister selon la norme, c'est-à-dire aux 230 km/heure de vent à Mayotte. En plus, dans le logement, la salle de bain est un bloc en béton, pensé comme un blockhaus », développe M. Hanappe.
Des méthodes urbanistiques, déjà éprouvées au Kenya, au Sénégal, et même en Martinique pourraient inspirer la suite de la reconstruction de Mayotte. « On l’appelle la méthode incrémentale : on prend le bidonville parce qu'il est là, il offre une réponse sociale, foncière et architecturale à la moitié de la population », décrit l’architecte.
Il ajoute : « On ne dit pas que c'est une bonne solution, mais on constate qu’en l’état, c'est la moins mauvaise pour tous les habitants. La question est, dans l’attente de meilleures solutions, d'améliorer ces lieux de vie, d'aller vers la diminution des risques et à terme, l'habitabilité et la transformation progressive en un quartier de la ville ».
Pourquoi pas, mais encore faut-il que la VRD soit déjà en place, comme l’explique Guillaume Lamy de Jipé Réunion : « Le réseau d'adduction d'eau potable est tel que, parfois, les Mahorais n'ont de l'eau que deux heures par jour ».
L’agence Air Architectures collabore justement avec l’association Actes et Cités, sur une expérimentation financée à Mahabourini. Trois collaborateurs seront d’ailleurs envoyés pour travailler sur la diminution des risques dans les bidonvilles, aménager des espaces publics et acheminer des réseaux.

La construction modulaire, une solution appropriée ?
«Faire croire qu'on pourra faire vite, pas cher, beau, cela ne marche pas. Il y a des compromis à trouver. Le bâtiment modulaire, c'est du compromis. Et reconstruire en béton, ça prend plus de temps. Donc à un moment donné, il va falloir combiner », avance de son côté Éric Aurenche de l’ACIM.
Le syndicat a déjà défendu l’intérêt du modulaire pour la reconstruction de Mayotte, et la capacité de livrer près de 30 000 m2 de structures par mois. Et ce pour une diversité de bâtiments, à condition qu’ils ne dépassent pas les R+2.
Ces ouvrages sont d'ailleurs superposables, personnalisables, évolutifs, et salubres car « conformes à toutes les exigences du Code de la construction et de l'habitat, que ce soit en métropole ou dans les Outre-mer ».
En revanche, « la construction modulaire ne peut pas tout », reconnaît M. Aurenche, tout en citant, à Mayotte, des crèches en bâtiment modulaires livrées par Atemco. Les structures sont restées intactes après Chido, « parce qu’elles avaient été calculées pour le cyclonique et le sismique. Il y avait un système de double panneautage, ce qui fait que les murs ont tenu ».
Même son de cloche pour la société Jipé Réunion, dont les ouvrages n’ont connu aucun sinistre, ni à Mayotte, ni à La Réunion, frappée fin février par le cyclone Garance. Il faut dire que « Jipé Réunion a tropicalisé son module et l'a rendu conforme au climat de l'Océan Indien. Les épaisseurs d'acier sont plutôt élevées par rapport à la moyenne, donc la structure est costaude ».

Le premier chantier mahorais de l’entreprise de construction modulaire remonte à 2013, et concernait l’extension du collège de Kawéni. Depuis d’autres projets ont défilé : des écoles dans le sud de l'archipel, des bureaux de gendarmerie à Pamandzi, un centre de dialyse à Mramadoudou…
Guillaume Lamy avait même imaginé un prototype d’habitation en monobloc, « avec un espace sanitaire, cuisine et chambre ». L’activité demeure parallèle chez Jipé Réunion et « demande à croître ». « Surtout à la Réunion, ou l’image du modulaire est parfois entachée par l’importation de kits modulaires bons marchés, inadaptés à notre territoire », relève M. Lamy.
Dans le cas de la reconstruction de Mayotte, même s’il y avait les moyens et solutions techniques, nos trois experts pointeraient toujours du doigt un manque de main d’œuvre. « Le niveau de formation est relativement moyen, d'autant que le risque cyclonique avait été largement oublié à Mayotte, puisque le dernier cyclone remontait en 1984 », observe Cyrille Hanappe d’Air Architectures, admettant des efforts menés, malgré la difficulté de recruter des enseignants.
Eric Aurenche, de l’ACIM, nous partage d’ailleurs l’idée de « travailler avec le tissu local mahorais, voire réunionnais, pour aider dans un premier temps à l'amorçage, puis le développement d’une filière. Un cursus de formation est en train de se monter sur place, spécifique à la construction modulaire ».
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une :Air Architectures