Réinventer Paris : « la ville ne peut se créer avec le porte-monnaie des architectes » (Unsfa)
Batiweb : Qu'est-ce qui pose problème avec l'appel à projets Réinventer Paris ?
Régis Chaumont : La ville de Paris présente cet appel à projets comme une vitrine pour les architectes, presque une chance pour eux. On lui donne de l'éclat, comme si ce qu'on allait faire à Paris était une chose exemplaire.
On s’étonnera tout d’abord de l’intitulé : « réinventons Paris ». Le projet du Grand Paris veut faire une grande métropole. Toute initiative d’envergure aurait dû s’inscrire dans ce projet de grande ambition. Aujourd’hui, la Ville de Paris ne réinvente pas Paris, elle fait une opération de communication sur une opération marchande qui s’alimente du travail de centaines d’architectes et ne respecte pas les règles applicables aux collectivités.
Soyons lucides : Paris vend 23 immeubles, fait travailler 372 équipes, retient 75 lauréats et obtient par la même une formidable production architecturale que la ville met au service de son image médiatique. M. Missika, adjoint à l’urbanisme de Mme Hidalgo nous dit : « nous aurions très bien pu vendre ces immeubles aux enchères et nous aurions été gagnants sur le plan financier ». Non, si la ville de Paris veut garder la maîtrise de l’aménagement urbain, elle doit le faire en respectant les règles applicables aux collectivités publiques.
De plus, la ville ne peut se créer à bon compte, et encore moins sur le dos et avec le porte-monnaie des architectes, taillables et corvéables à merci. Il ne s'agit pas non plus de réduire la contestation à la seule indemnisation des intervenants. Cela va plus loin, nous contestons la philosophie même de l'action de Paris, qui fait entrer les architectes dans un jeu d'asservissement. Nous avons un rôle et une fonction dans la création architecturale, avec une qualité que nous voulons et que nous devons mettre au service de tous. Dans le cadre d’une profession qui aujourd’hui survit et exige de la collectivité le droit de vivre pour assumer ce service.
La loi du 3 janvier 1977 précise que la création architecturale est d'intérêt public, qu'elle doit être assumée par les architectes. Encore faut-il leur permettre de le faire dans les règles.
Trouvez-vous tout de même des points positifs à ce concours ?
R.C : Nous ne nous prononcerons pas sur la qualité des projets retenus. En revanche, il est intéressant de voir la diversité des propositions qui offrent une vision plus large de l'urbanisme. Malheureusement, cela n'a pas été fait dans les règles de l'art. Il aurait fallu un appel d'offres publics pour définir des contours plus précis.
Quelles sont vos revendications suite à ce concours ?
R.C : Nous n'acceptons pas que « Réinventer Paris » devienne prétexte à détourner le code des marchés publics et soit le fossoyeur de notre profession et annonce l'abandon de la pensée et du pouvoir de la puissance publique aux marchands de l'immobilier.
Or, ce n'est pas la première fois que le problème se présente. De plus en plus de collectivités détournent le Code des Marchés Publics, en organisant des concours d'opérations : aménageurs + architecte et/ou urbaniste, ou de promoteurs + architectes. Les rapports entre ceux-ci relèvent ainsi des règles de marchés privés, au détriment des architectes, de la qualité du projet et des garanties qui s’y attachent.
Dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, nous proposons depuis plusieurs mois déjà, que toute mise en concurrence lancée par une collectivité ou bénéficiant de subventions publiques sous forme de promotion/conception, se fasse uniquement sous forme de concours et ouvre droit à une indemnisation de la maîtrise d’œuvre. Cette indemnisation doit être établie sur la base de celles prévues dans les concours publics.
Concernant plus précisément l'appel à projets « Réinventer Paris », nous demandons la tenue d'un moratoire, avec plus de transparence sur les coûts, les gains et les pertes assumées par les intervenants. Nous demandons qu’aucune autre procédure ne soit engagée avant que le bilan soit établi et que les leçons en soient tirées.
Pourtant, une seconde opération est déjà prévue « Réinventer la Seine », associant Rouen, Le Havre et Paris pour réaménager les berges du fleuve...
R.C : Nous avons rencontré M. Missika le 25 février dernier. Il nous a informé de ce nouveau projet, sans en préciser le calendrier. On s'inquiète de savoir s'il n'y a pas là récidive. Nous attendons le 14 mars prochain pour connaître les modalités de ce second concours. Si nous nous rendons compte que M. Missika a volontairement occulté les contours de « Réinventer la Seine », nous n'hésiterons pas à mobiliser les architectes, notamment parisiens, qui sont pour la seconde fois sollicités dans cette dérive.
Propos recueillis par Claire Thibault