Que pensent les architectes de la climatisation ?
Dès qu’il fait chaud, la climatisation devient l'une des premières exigences du consommateur. Indubitablement, l’air conditionné apporte de la fraîcheur. Mais c’est au détriment du voisinage. Pour que le processus soit efficace, une chaleur supplémentaire est générée, sans oublier le côté nuisible des fluides nocifs pour l’environnement. Un bon nombre d’architectes sont d’accord pour affirmer que des solutions architecturales couplées à des techniques de construction adaptées, comme une bonne aération et un brassage de l’air efficace, permettent de régler le problème de la surchauffe dans le bâti. Pourtant, la climatisation n’a jamais été et n’est pas une fatalité.
La climatisation d'hier
La climatisation ne date pas d’hier, mais les techniques ont considérablement changé au fil des années. Bien avant l’apparition de la climatisation actuelle, les patios ont été un outil de refroidissement passif très efficace, et largement répandu dans les pays chauds. Pourtant leur fonctionnement est simple. Lorsque le vent souffle sur une habitation, il entre par l’ouverture et descend à travers les murs jusqu’aux parties inférieures, remplaçant l’air intérieur chaud par un flux d’air nouveau. Dans certains pays, les patios possèdent des fontaines qui favorisent le refroidissement par évaporation, rafraîchissant à son tour l’air chaud.
Le puits canadien, également appelé puits provençal, est une forme de climatisation écologique qui se sert de l’inertie thermique du sol pour réchauffer ou rafraîchir l’air, avant de l’introduire dans la maison. Un autre exemple significatif et millénaire, c’est celui de la ville de Yazd, située dans le désert iranien, où des petites cheminées de formes et de tailles diverses surplombent de nombreux bâtiments. Appelés bâdgirs, ou attrape-vents en persan, il s’agit de climatiseurs écologiques adaptés au climat désertique. Le mode de fonctionnement est pourtant simple, le vent s’engouffre à la verticale par les ouvertures de la tourelle, pour descendre jusqu’à la partie la plus basse qui est fraîche. L’air chaud, qui est plus léger, remonte dans le sens inverse et emprunte un deuxième conduit, rafraîchissant au passage toute la maison.
Parfois, ce système a été complété avec l’ajout d’un bassin d’eau ou une fontaine située à la base de la tour, contribuant à baisser davantage la température de l’air. L’architecte égyptien Hassan Fathy (1900-1989) a réinventé plusieurs dispositifs architecturaux ancestraux qui régulent les températures intérieures, telles que la cour et le capteur de vent. Depuis une cinquantaine d’années, plusieurs architectes expriment à leur tour un intérêt grandissant pour les tours à vent. Appelés « bâdgir » en Iran, « malqaf » en Egypte ou encore « mangh » au Pakistan, tous ces procédés participent au refroidissement passif des édifices. Et tous les résultats prouvent que le mouvement d’air passif à l’intérieur du bâtiment améliore la qualité de l’air et réduit les températures internes.
...jusqu'à nos jours
Au Royaume-Uni, nous pouvons trouver des capteurs de vent sur les toits des supermarchés comme à Manchester ou sur le toit de l’hôpital Royal Chelsea à Londres. De même, dans le nord-ouest du Kenya, en s'inspirant des grandes termitières trouvées dans la région, Kéré Architecture a conçu la Startup Lions Campus. Il s’agit de l’élaboration de plusieurs structures en forme de cheminée, qui agissent comme de hautes tours à vent refroidissant naturellement les zones de travail, lorsque l'air chaud est extrait vers le haut.
En France, si les tours à vent ne sont pas encore intégrées à l’architecture, d’autres procédés et astuces garantissant la fraîcheur sans climatisation sont mis en application. Les exemples sont nombreux et les réalisations variées. Donnons l’exemple de la résidence Ginkgo de Grenoble, un projet réalisé par l’agence d’architecture Petitdidierprioux architectes et labellisé PassivHaus. Aucune climatisation mais en cas de besoin, les habitants peuvent avoir recours à la géothermie pour refroidir l’édifice, le tout avec une bonne orientation des logements traversants, des espaces extérieurs et divers procédés qui hissent l’ensemble vers la durabilité.
On peut citer un bâtiment périscolaire situé à Nozay, à côté de Nantes, que les architectes de Belenfant Daubas ont conçu. Les architectes préconisent une utilisation minimale de la climatisation et en fonction du contexte. Dans cet ensemble, où la ventilation naturelle a été privilégiée, il a été décidé d’introduire une seule salle avec climatisation. Il s’agit également d’un espace utilisé par l’Ehpad - qui se trouve à côté -, en cas de forte chaleur. Par ailleurs, les professionnels sont conscients que la climatisation doit être utilisée dans des projets spécifiques, comme les cabinets dentaires, mais sont contre toute utilisation excessive.
Les architectes de l’agence nantaise Guinée*Potin ont réalisé une coopérative d’habitants, située sur la commune de La Montagne. Baptisée « Le Pré Commun », il s’agit non seulement d’une réalisation solidaire, qui met en avant le vivre-ensemble intergénérationnel mais également d’une conception bioclimatique, sans climatisation, où la compacité de l’enveloppe est maîtrisée. L’orientation est étudiée et l’utilisation de la filière sèche privilégiée. Autant d’ingrédients qui participent à l’élaboration d’une construction vertueuse.
Mais les astuces des architectes ne sont pas toujours les bienvenues. Donnons l’exemple d’une maison de santé réhabilitée par l’agence Belenfant Daubas, à Redon. Il s'agit d'un projet situé dans un immeuble du 18ème et 19ème où les usagers, des médecins, se plaignaient de la chaleur. Au lieu de la climatisation, les architectes ont proposé des stores en textiles à la fois discrets et élégants, qui viendraient couvrir les surfaces exposées. La proposition a été refusée car les stores extérieurs ne sont pas permis sur les façades dans un périmètre classé. La climatisation devient ainsi inévitable.
Entre intention et complexité de mise en œuvre
Cependant, certaines solutions architecturales demandent des moyens conséquents que les architectes ne peuvent pas complètement assurer. Loïc Daubas, l’un des fondateurs de l’agence Belenfant Daubas établie à Nozay, raconte son expérience : « Nous avons construit des bâtiments avec une surventilation la nuit. Malheureusement, cette technique n’est pas efficiente pour plusieurs raisons. Évacuer l’air chaud demande une augmentation des débits, donc plus de diamètre, et des gaines plus spacieuses. Une ventilation plus importante techniquement implique un surcoût ainsi qu’un certain paramétrage du free cooling avec des sondes. Le paramétrage ne marche pas toujours, c’est du réglage et personne ne peut le suivre la nuit s’il tombe en panne. De même, il n’existe pas de suivi à postériori sur la vie du bâtiment. À chaque fois, il faut revenir vers l’ingénieur pour vérifier si le scénario marche toujours. C’est compliqué et c’est une solution difficilement opérante ».
L’architecte préconise, dans sa pratique, d’appliquer la ventilation naturelle générée par le renouvellement d’air la nuit, mais uniquement par la maîtrise des ouvrants. Encore une fois, l’idée semble très séduisante mais est-ce bien applicable ? La réponse du fondateur de Belenfant Daubas est immédiate : « Les bâtiments, s’ils ne sont pas occupés, il y a risque d’intrusion quand il faut laisser les fenêtres ouvertes. Nous avons trouvé des dispositifs avec des alarmes ainsi que des détecteurs, mais il faut malgré tout ouvrir les fenêtres. Nous avons même fait des tests avec des ouvertures automatiques. C’est très coûteux car il s’agit de la domotique, et pour un centre de loisirs périscolaire, le budget ne pouvait pas suivre. Ainsi, nous avons privilégié l’idée d’accompagner les usagers pour ouvrir les fenêtres et les stores, et bien mettre les protections solaires en journée. Le lieu est utilisé par deux entités de personnes qui ne se croisent jamais. Cela fait deux ans que le projet est réalisé. Tout le monde a compris le principe et l’applique chez soi mais beaucoup plus difficilement dans un bâtiment public ». Et comme solution, l’architecte recommande un accompagnement à la suite de la livraison du bâtiment, porté par la maîtrise d’ouvrage ou les bureaux techniques. Une solution qui peut porter ses fruits.
De son côté, Marie-Jeanne Jouveau, fondatrice de Capla Architecture, déclare : « Nous avons pas mal de logements qui sont mal conçus pour être bioclimatiques. La question serait : est-ce qu’on les laisse souffrir de la chaleur ou on essaye de trouver une solution pour les rafraîchir ? » Aux États-Unis, dans les États à fortes chaleurs, le taux dépasse les 80 % de climatisation, comme la région PACA en France. L’architecte recommande donc d’anticiper la demande et faire un vrai travail sur les réseaux de froid urbains.
Par ailleurs, à l’instar de ses confrères, la femme de l’art précise : « On essaye de faire de la ventilation naturelle, mais il existe des contradictions et c’est très compliqué de trouver la bonne équation. Les usagers ne sont pas forcément formés et les normes vont contre. La plupart des PAC trouvées sur le marché sont réversibles et ne consomment pas énormément d’électricité selon des analyses de consommation sur un pavillon. C’est plus performant qu’un chauffage électrique ou du gaz, il vaut mieux, selon moi, avoir une consommation raisonnée et commencer à les utiliser par exemple au-delà de 30 degrés ».
Quid du futur ?
Depuis plusieurs années, l’architecte italien Mario Cucinella, inspiré par la « sphère bioclimatique » conçue lors de l’exposition de 1992 à Séville, expérimente l’utilisation des systèmes passifs de rafraîchissement de l’air par brumisation. Le principe consiste à répartir plusieurs tours à brumisation dans un bâtiment, dont le but est de garantir le rafraîchissement d’une partie du plancher de chaque étage.
Et finalement, évoquons l’exposition « Énergies Légères » découverte au Pavillon de l’Arsenal, à Paris, qui démontre comment, grâce à une requalification subtile des toits et à une adaptation des cheminées existantes, nos villes pourraient se transformer. Dans l'un des six paysages post-carbone présentés ("les toits"), on distingue d'anciens conduits transformés en cheminées solaires, intégrant des panneaux photovoltaïques bifaces. Ces excroissances permettent également d'accroître la ventilation naturelle des logements par effet de tirage thermique. Ainsi, ces cheminées solaires renforcent le bioclimatisme des bâtiments rénovés. Des variantes peuvent aussi intégrer des pompes à chaleur. Ces recherches ne s’arrêteront probablement pas là, et d’autres idées viendront étayer le vaste sujet de l'adaptation.
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Sipane Hoh
Crédit photo : ©Stéphane Chalmeau