Notre-Dame de Paris : le chantier de la discorde
Gérard de Nerval, poète du XIXème siècle, écrivait d’elle « Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ; Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde, Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde Rongera tristement ses vieux os de rocher ! ». Le temps lui a donné raison, et l’incendie qui endommagea sérieusement l’édifice parisien le 16 avril 2019, doit aujourd’hui être reconstruit, mais quel matériau utiliser ?
Interrogé le 8 janvier 2020 lors d’une « mission d’information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris », Éric Wirth, Vice-président du Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA), a clairement précisé sa préférence pour le bois : « si l’ouvrage avait été en acier, il n’y aurait plus de cathédrale ».
Cette remarque est loin d’être tombée dans les oreilles d’un sourd. Construiracier tient à démentir ces « allégations sur l’acier ». Envoyé en première ligne, Michel Julien-Vauzelle, Président de Construiracier a répondu à ces accusations « La filière acier construction ne s’est jamais prévalue d’une quelconque autorité sur l’avenir architectural de Notre-Dame. Mais elle ne peut en revanche laisser passer les allégations de M. Eric Wirth. C’est parce que Construiracier reconnait la légitimité du CNOA qu’il lui semble important de pouvoir échanger sur les propos infondés et préjudiciables tenus par M.Wirth ».
La contre-attaque de l’industrie de l’acier
Le représentant de la filière acier de la construction précise « qu’il n’est pas question de faire jouer un matériau contre l’autre ». Cependant l’acier est un matériau « incombustible ». Il contredit ainsi les propos tenus par Éric Wirth selon lequel « une charpente acier ne serait pas » déformée au bout d’une demi-heure et n’aurait pas tiré sur les parois ».
Construiracier va même plus loin dans son communiqué, quitte à froisser le CNOA « le seul matériau combustible, nécessaire au développement du feu, était la charpente en bois ». La guérilla entre l’acier et le bois se prépare, à savoir : Quelle filière aura le privilège de restaurer ce que Libération avait si justement nommée « Notre Drame » ?
Après la question de la combustion des matériaux intervient celle du poids. Éric Wirth en parlait lors de la mission d’information « l’on peut poser le problème de la légèreté : ces cathédrales, ne tenant structurellement que parce qu’il y aurait une masse sur une voûte (…) Ça ne fonctionne que parce que c’est lourd ». Construiracier ironise cette affirmation : « On peut se demander comment la Cathédrale de Chartres (….) depuis 1841 et sa reconstitution en acier, tient encore debout ».
Cependant, le CNOA tient à calmer le jeu et déclare, en réponse à Construiracier, qu’ « une nouvelle polémique n’est vraiment pas souhaitable car elle viendrait troubler un climat qui doit nécessairement être apaisé autour de la restauration de la cathédrale Notre Dame ».
Il précise que cette audition de la mission parlementaire a été l’occasion « d’affirmer son soutien aux services du Ministère de la Culture, en charge du patrimoine et surtout à M. Philippe Villeneuve, Architecte en Chef des Monuments historiques (…) ». Le vice président du conseil national de l’ordre des architectes, Eric Wirth, indique que la préférence de Philippe Villeneuve « est de restituer la cathédrale dans l’état perçu avant l’incendie, en cohérence avec la Charte de Venise, sous réserve bien sûr que l’on dispose des informations nécessaires, ce qui est largement le cas pour la cathédrale Notre-Dame ».
Le CNOA est-il neutre dans sa démarche ?
C’est la question posée par Construiracier : « Le CNOA n’est-il pas soumis à un devoir de neutralité quant à la prescription de la matérialité des ouvrages et de leurs principes constructifs ? » Construiracier en vient même à parler de « remise en cause du principe de libre concurrence ».
L’association s’interroge aussi sur la valeur de la parole du Conseil National de l’Ordre des Architectes : « la préconisation d’un matériau unique constitue-t-elle la position officielle du CNOA, quitte à émettre des contre-vérités sur les autres matériaux ? ».
Le CNOA, qui a « émis un avis, mais bien sûr aucune prescription », soutient que le choix final du mode constructif dépend fortement du diagnostic général de l’état actuel de Notre-Dame de Paris après le sinistre « et aucune solution technique ni matériau n’est bien sûr à écarter, ni écartée ». « Philippe Villeneuve et ses collaborateurs aviseront et feront des propositions et prescriptions en temps utile », précise Eric Wirth l’Ordre des Architectes.
Dans sa réponse, le CNOA écrit que son avis émis pour l’utilisation du bois est dû à « une préférence pour les qualités écologiques du matériau bois, en cohérence avec la feuille de route du mandat en cours, préférence qui n’engage que lui ».
Le CNOA explique par ailleurs davantage sa démarche, en expliquant que les architectes ont régulièrement recours à l’acier. « L’acier est un matériau exceptionnel, dont les qualités sont démontrées quotidiennement par les architectes du monde entier, que ce soit en construction neuve ou en intervention sur l’existant. Le CNOA partage l’idée qu’il faut le bon matériau au bon endroit. Le choix est toujours contextuel, en fonction d’une multitude de critères. Pour Notre-Dame, ce choix reviendra à la maîtrise d’œuvre en charge de la restauration, et non au CNOA bien entendu ».
Le CNOA et Éric Wirth répondront certainement aux accusations de Construiracier. Pour le moment, Notre-Dame de Paris est toujours en plein chantier pour le grand malheur des touristes, toutefois, comme l’écrivait Gérard de Nerval dans Odelettes : « Bien des hommes, de tous les pays de la terre Viendront, pour contempler cette ruine austère, Rêveurs, et relisant le livre de Victor : Alors ils croiront voir la vieille basilique, Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique, Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! ». Une belle façon de s’imaginer la cathédrale d’antan avant de la retrouver quelques années plus tard, sous un nouveau jour.
J.B
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