« La France possède un patrimoine verrier unique au monde »
Le livre fait plus de 600 pages. Il comporte des centaines d’exemples. Quel était l’objectif poursuivi ?
Christine Blanchet : Il existe de nombreux ouvrages sur l’architecture ou les arts sacrés, mais ils ne s’intéressent généralement qu’aux exemples les plus connus. Le parti pris était d’offrir une vision d’ensemble. Pierre Vérot, qui s’est illustré en 1993 avec un livre intitulé « Urbanisme et art sacré », a choisi de montrer comment des églises parfois anodines s’inscrivent plus largement dans l’histoire de l’architecture. Polyglotte, il a constitué un corpus qui va au-delà de nos frontières, jusque dans les pays de l’Est. Pour les arts sacrés, je me suis attaché à un nombre d’exemples plus restreint. Au travers du programme de relance des vitraux dans les années 80 auquel - lassés de s’exprimer dans les « white cubes » des salles d’exposition - les plus grands artistes ont participé, j’ai notamment tenté de démontrer que l’art et le spirituel restent intimement liés.
Pierre Vérot définit trois grandes périodes architecturales depuis 1945. Quelles sont-elles ?
C.B. : Ces trois séquences s’articulent autour du Concile Vatican II (1962-1965). À partir de 1945, c’est la reconstruction. L’édifice religieux reste une référence pour la plupart, un bâtiment visible que nul n’ignore. Après le Concile et Mai 68, l’église disparaît presque complètement du paysage. Elle se fait discrète, banale, parfois indiscernable. Au terme de ce parcours, au début du XXIe siècle, elle retrouve une certaine visibilité et redevient identifiable. Les Chantiers du cardinal, par exemple, ont élaboré un programme de construction qui, en référence au Grand Paris, se nomme « Le chantier du grand diocèse. » Il y a aujourd’hui une réelle volonté de rétablir une présence chrétienne dans le tissu urbain.
Peut-on également définir de grandes périodes pour l’art sacré ?
L’histoire du vitrail n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Que s’est-il passé à Nevers ?
C.B. : La cathédrale de Nevers est un cas compliqué. Il y a eu un premier projet dans les années 60 qui n’a jamais abouti. Il a fallu attendre 1981 pour que l’entreprise de remplacement des vitraux soit relancée grâce à François Mitterrand, ancien député de la Nièvre. Le programme était ambitieux et concernait 1052 m2 de verrière. 34 artistes d’envergure internationale qui n’avaient jamais fait de vitraux ont été consultés, mais tous les projets, vivement critiqués, ont échoué. Finalement, le choix s’est resserré en 1987 autour de quatre artistes (Alberola, Honegger, Rouan et Viallat). Mais Nevers reste considéré comme un exemple à ne pas suivre : il y a des œuvres de sensibilité tellement différente que le public reproche un manque d’harmonie à l’ensemble. Ce sont les projets individuels qui, par la suite, seront privilégiés, comme à Conques avec Pierre Soulage, à Digne-les-Bains avec Rabinowitch ou à l’abbaye de Silvacane avec Sarkis.
Dans votre livre, vous soulignez que de nombreuses commandes étaient sous l’influence de la revue L’Art sacré…
C.B. : La revue L’Art sacré a été fondée par Joseph Pichard en 1935. De 1937 à 1954, elle était dirigée par deux dominicains, Marie-Alain Couturier et Pie-Raymond Régamey. Le père Couturier est le plus connu des deux car il s’est fait photographier avec les plus grands artistes. Il est resté célèbre en affirmant qu’il était plus sûr de faire appel « à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent. » C’est grâce à son intervention que la construction du couvent de la Tourette a été confiée à Le Corbusier. Le père Régamey, pour sa part, était un historien de l’art reconnu qui a notamment fait parti de la commission d’achat du musée d’art moderne de Paris. Tous deux ont été des militants pour réconcilier l’art de leur temps avec l’Église. Et leur influence a effectivement été décisive. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont toujours été suivis : le Christ commandé à Germaine Richier pour le plateau d’Assy, par exemple, a fini par être retiré en 1951 sous la pression du Vatican. Il n’a retrouvé sa place sur l’autel de l’église qu’en 1969.
Vous concluez votre partie sur les arts sacrés par cinq expériences inédites. Parmi elles, on trouve celle de l’église de Saint-Prim. Claude Rutault n’est-il pas allé au-delà de ce qu’il est possible de faire dans un espace sacré ?
C.B. : Claude Rutault a gardé la statue de Saint-Prim et les sculptures en bois doré de la Sainte-Famille qui datent du XVIIIe siècle. Mais il a drapé toute la statuaire saint-sulpicienne qui, selon lui, ne présentait pas d’intérêt. Il a disposé des stores de couleur devant les baies. Il a repeint le Chemin de croix, les murs, le sol, les bancs, etc. Il est même intervenu dans l’aménagement extérieur de l’édifice, procédant à la suppression des places de parking et créant une petite place avec du mobilier urbain et des arbres. Son œuvre d’art est totale. Mais est-elle pour autant si iconoclaste que cela ? À Saint-Prim, il n’y a jamais eu autant d’images qu’aujourd’hui. L’ancien Chemin de croix reste présent par sa photographie mise en légende et, sur les piliers de la nef, la statuaire a été remplacée par différentes représentations de saints (photographies de peintures anciennes, de sculptures, d’extraits de films). L’artiste invite à réfléchir sur l’image, en signifiant qu’il est plus intéressant de prier devant des reproductions de Caravage que devant des œuvres sulpiciennes de piètre qualité. Étonnamment, tout le monde veut se marier et organiser ses baptêmes dans cette église. Cela est sans doute lié à la présence de la couleur. Mais cela montre aussi l’extraordinaire pouvoir de l’art…
Photo de une : Claude Rutault, église Saint-Prim, Saint-Prim. 1999-2006. Commande publique.