Bâti et risques naturels, quelles solutions architecturales ?
L'architecture vise à fournir confort et bien-être à tous mais surtout aux plus vulnérables. Pour répondre aux différents besoins d’une population sinistrée, les architectes cherchent des solutions à la fois économiques, solidaires et durables. En France comme ailleurs, certains architectes se sont spécialisés dans la construction des abris de secours en cas de catastrophes naturelles. Par ailleurs, plusieurs organisations ainsi que des associations développent des options pour des logements ambulants et temporaires.
Structure parasismique et para cyclonique construite par les étudiants du DSA ARM. Crédit photo : ENSAPB
Les risques naturels, dès l’école d’architecture
Depuis 2006, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Belleville propose aux élèves, mais aussi à des architectes et professionnels confirmés, le cursus du DSA Architecture et Risques Majeurs, qui forme des architectes pour faire face à la prévention des risques majeurs et à se spécialiser dans la reconstruction ainsi que dans le déploiement en situation de crise.
De ce fait, après quatre semestres alternant cours, ateliers, projets et voyage d’étude, les étudiants acquièrent des connaissances solides qui les aident dans la gestion architecturale et urbaine de tous les types de situations à risques. Cette formation est gérée par l’architecte Cyrille Hanappe, directeur pédagogique et cofondateur de l’agence d’architecture établie à Paris et à Mayotte, AIR Architectures. L’architecte Pascal Chombart de Lauwe, le fondateur de l’agence d’architecture parisienne Tectône, est quant à lui, le directeur scientifique de cette formation. « Le DSA Risques majeurs c’est le seul diplôme spécifiquement dédié aux risques majeurs dans une école d’architecture, même s’il y a un PFE (Projet de Fin d’Étude) dédié aux risques majeurs à l’École d’architecture Paris La Villette, sous la direction de l’architecte Éric Daniel Lacombe », précise Cyrille Hanappe, qui accompagne ses élèves dans des pays où ils peuvent parfaire leur formation et mettre en application leurs études liées aux risques majeurs. Toujours dans la recherche d’améliorer les différents processus, l’architecte précise : « Ce qui est assez fascinant, c’est ce savoir entre le risque et l’architecture, qui est en constante progression et avec les questions de développement durable, il y a une espèce de conjonction qui se crée. La question de la gestion architecturale des risques est une extension du développement durable, c’est pourquoi ce savoir doit être central pour les acquis des étudiants ».
Pour aller plus loin et maîtriser mieux les questions des risques, nous pouvons nous poser la question suivante : Faut-il une formation spécifique pour devenir architecte du risque comme on devient architecte du patrimoine ? L’architecte et docteur en architecture Sarra Kasri, qui a consolidé sa formation par un Master Professionnel d’ingénierie et un master d’études comparatives d’aide au développement (EHESS), est actuellement enseignante à l’École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville au Diplôme de Spécialisation et d’Approfondissement en architecture (DSA) « Architecture et Risques Majeurs ». Elle précise que le risque zéro n’existant pas, l’architecte ne peut pas prendre seul la responsabilité, tout comme il ne peut pas garantir le fait qu’un bâtiment ne subira jamais de catastrophe. C’est pourquoi, selon l’architecte, il faut de la résilience et pour ce faire, il faut une expertise qui vienne en aide à la maîtrise d’ouvrage ou à la collectivité. De plus, il est indispensable de sensibiliser et consolider le socle de connaissances de tous les architectes. En attendant, l’Ordre des Architectes met à disposition plusieurs formations et ressources pour intégrer les aléas climatiques.
Sécurisation et aménagement bidonville Mahabourini. Crédit photo : AIR Architectures
Et au quotidien
Même si certains professionnels trouvent qu’il est intéressant que les architectes aient une grande connaissance concernant les divers risques naturels frappant le bâti, la plupart des architectes préfèrent déléguer ce rôle aux ingénieurs et aux bureaux techniques censés mieux maîtriser le sujet et possédant des connaissances poussées dans ce domaine. Cyrille Hanappe souligne qu’il est très important que les architectes se penchent sur les questions de risques du bâti. Il donne l’exemple du Pas de Calais, où ont eu lieu en 2023 des inondations majeures successives, dans un contexte inopiné et non prévu par l’urbanisme et l’architecture. Il s’agit pour l’architecte d’une résilience à prendre en compte pour ne plus subir de telles pertes. « Pendant très longtemps les risques majeurs ont été traités par des ouvrages d’ingénieries exclusivement vus de manière dissociée par rapport à l’architecture. Pour caricaturer, on faisait des grosses digues pour contrer les inondations. Depuis, de nouvelles philosophies sont apparues, selon lesquelles il était plus bénéfique d’introduire des réflexions urbaines et territoriales pour que la gestion des risques urbains se développe au niveau d’un territoire. Cela renvoie à des questions éminemment architecturales ». En effet, selon l’architecte, dès qu’on intègre la réflexion sur les risques naturels, qu’ils soient climatiques, géophysiques ou gravitaires, l’architecture est redéfinie de manière différente et à divers niveaux. Le rôle de l’architecte est donc primordial et dès le début d’un projet. « L’équation de base des risques naturels : une catastrophe c’est un aléa qui vient croiser une vulnérabilité. Les architectes agissent sur le point de la fragilité c’est-à-dire baisser la vulnérabilité pour que la catastrophe ait le plus faible effet possible », résume Cyrille Hanappe.
Sarra Kasri, souligne que, selon elle, l’architecture est à l’interface de la technique et du social dans un contexte culturel sociétal et géographique. C’est pourquoi, dans sa thèse, sa pratique et son enseignement, mais aussi dans son approche architecturale du risque, l’architecte essaie de ne pas effectuer une approche centrée sur la technique mais de la croiser avec la flexibilité d’usage et la notion de culture du risque. « Pour intervenir sur un terrain mouvementé on doit s’entourer de bons experts, faire appel à un hydrologue, à un sismologue. L’architecte sait traduire les normes, comprendre les territoires, combiner avec les usages. Cela demande un état d’esprit humble et d’avoir une pluralité de programmes qui répondent à plusieurs situations avant catastrophe, pendant la crise et après catastrophe », spécifie l’architecte.
Quelles solutions face aux risques naturels ?
Une catastrophe naturelle peut avoir diverses origines. À chaque catastrophe sa solution. Dans une zone inondable et même s’il est très rare d’accorder un permis de construire, les bâtiments sont par exemple surélevés et les ouvertures renforcées. Quelques architectes conçoivent des nouvelles habitations prenant en compte le risque d’inondation plutôt que de devoir y faire face.
À l’instar des maisons flottantes d’Ijburg à Amsterdam, nous assistons à la prolifération d’une architecture flottante qui prouve la volonté de s’adapter aux aléas de l’environnement et non pas l’inverse. De même, construire pour résister aux cyclones et aux tremblements de terre est devenu un enjeu dans certains territoires à risques.
Sur l’île de Saint-Martin par exemple, les constructions paracycloniques concernant les habitations ainsi que les équipements sont conçus pour résister à des vents violents dépassant 210km/h.
De même, la construction parasismique se développe dans le monde. Le Japon, pays habituellement touché par les activités sismiques, ne cesse d’inventer. L’une des dernières solutions trouvées étant la lévitation. Cela concerne les maisons équipées d’un détecteur de tremblement de terre. À chaque fois qu’une secousse est détectée, de l’air est pulsé sous la construction à travers un compresseur, ce qui soulève de quelques centimètres l’ensemble au-dessus des fondations, permettant aussi à la maison de ne subir aucun dégât.
Soulignons que depuis 2010, la France est divisée en cinq zones de sismicité. Si la France métropolitaine n’est pas considérée comme à haut risque, la Guadeloupe et la Martinique, situées toutes les deux dans une zone de risque sismique fort, investissent dans la construction de bâtiments parasismiques. Par ailleurs, rappelons que, l’impact des catastrophes sur les budgets des territoires est énorme. Cela est dû à l’absence de certaines constructions adaptées selon Cyrille Hanappe, ce qui fait que les conséquences des inondations, des cyclones et des ouragans sont de plus en plus importantes.
Une architecture d’urgence
En 1995 a eu lieu le tremblement de terre de Kobe. Au Japon, l’architecte Shigeru Ban a fondé, suite à cette catastrophe naturelle de grande ampleur, Voluntary Architects' Network, une ONG pour concevoir des abris d'urgence. D'autres organisations existent à travers le monde comme l’ONG ONU-Habitat. Actuellement présente dans plus de 70 pays l’organisation gère un large éventail de projets, allant de programmes de reconstruction consécutifs destinées à lutter contre la croissance des bidonvilles aux problèmes de logement.
En France, la fondation Architectes de l'urgence et l'Association française du génie parasismique agissent dans les jours suivant une catastrophe naturelle en diagnostiquant l'état du bâti et en accompagnant les populations touchées ou en leur apportant conseils et assistances.
Mairie de Mairie de Koungou. Crédit photo : AIR Architectures
Quelques exemples et références
L’agence AIR Architectures possède plusieurs projets situés dans des zones à risques, comme par exemple la réhabilitation-extension de l’hôtel de ville de Koungou, à Mayotte, un bâtiment qui, grâce à l’intervention des architectes, se dote d’un étage supplémentaire en bois et d’une nouvelle toiture. Le forme de cette dernière a été calculée et dessinée de manière paracyclonique. Elle permet de mettre en place une meilleure ventilation naturelle du bâtiment. Symbole de la République Française à Mayotte, la mairie rénovée de Koungou est capable, grâce aux nouveaux procédés, de s’adapter aux divers risques cycloniques.
Sécurisation et aménagement bidonville Mahabourini. Crédit photo : AIR Architectures
Donnons l’exemple d’un autre projet représentatif de l’agence, en cours de réalisation. Il s’agit de l’aménagement de cheminements et d’espaces publics refuges dans le quartier de Mahabourini, à Kaweni, à Mayotte. Forts de leur maîtrise des projets de sécurisation des bidonvilles, les architectes mettent en place des cheminements ainsi que des lieux de rencontres. À travers un travail d’analyse, de relevés, de croquis mais aussi d’enquêtes, les architectes ont engendré un projet allant dans le sens de l’amélioration du cadre de vie tout en adaptant l’ensemble aux aléas naturels. Le cofondateur d’AIR Architectures précise que certains lieux de rencontres ouverts sont destinés à se refermer en cas de cyclone. Des idées mises en place avec l’ingénieur Jacques Anglade. « La question des risques se pose partout et tout le temps », rappelle l’architecte.
Et pour finir, citons l’exceptionnel ouvrage de Milan Zacek intitulé « Traité de construction parasismique ». Il s’agit d’un véritable recueil offrant une prospective de la protection parasismique des bâtiments, dans lequel l’auteur insiste sur l’impact même de la conception architecturale sur la ténacité et la solidité des constructions face aux séismes. Destiné à tous les professionnels de la construction et particulièrement aux architectes, ce recueil constitue un condensé d’informations, de normes mais aussi de règles parasismiques en vigueur en France, en Europe et aux Antilles françaises.
Un autre ouvrage qui vient de voir le jour est aussi à parcourir, « Vers une architecture pour la santé du vivant » d’Éric Daniel-Lacombe, reconnu pour son travail sur l'architecture respectueuse de l'environnement, en zones à risques, et particulièrement sur l'habitat en zone inondable. L’auteur propose un ensemble de principes de conception inédits en s’appuyant sur de courts récits issus de son propre travail et sur une lecture de réalisations et de paysages par des créateurs américains, européens et japonais prestigieux.
Enfin, précisons que l’architecture qui agit contre les risques naturels fait partie du quotidien de tous les professionnels car il s’agit d’une problématique d’intérêt général qui devrait être traitée et accompagnée avec précaution mais sans hésitation.
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Sipane Hoh
Photo de une : Sécurisation et aménagement bidonville Mahabourini – ©AIR Architectures