Le Lean Construction « est un absorbeur d’aléas importants », Yves Chassagne
Le nouvel ouvrage de l’OPPBTP « Lean Construction : une démarche favorable à la prévention » était attendu par le secteur du bâtiment. « Il y avait un besoin d’approfondir la connaissance du Lean construction, d’avoir des repères, des observations et surtout des premiers résultats parce que la profession voulait avoir un avis objectif sur le sujet », nous révèle Yves Chassagne. Il évoque en effet les inquiétudes de la profession vis-à-vis du Lean « qui voulait s’assurer que le Lean favorise la prévention des risques et évite une détérioration des conditions de travail ».
Une démarche collaborative
Pendant 5 ans, l’organisme de prévention a mené des études sur plusieurs chantiers expérimentaux, notamment auprès de la FFB Nouvelle Aquitaine, qui avait édité, en 2018, le rapport « Lean Construction – démarche d’optimisation de la production et de réduction des gaspillages sur chantier ».
« Nos expérimentations consistaient à mettre en œuvre progressivement des aspects du Lean en respectant les principes pour en observer les influences sur les aspects performance globale et de prévention des risques ».Les conclusions ont démontré le rôle majeur du Lean pour permettre d’allier prévention et performance.
En quoi consiste le Lean ?
Dans un premier temps, l’OPPBTP revient sur ce qu’est le Lean, à savoir « une approche de travail collaborative qui permet de profiter de tous les dysfonctionnements pour en faire des leviers d’amélioration, qui renforce le caractère d’anticipation des chantiers et de fonctionnement des entreprises », explique Yves Chassagne. « Toutes les professions et toutes les tailles d’entreprises peuvent être concernées par le Lean parce que c’est une méthode de travail », poursuit-il. Et c’est bien là le but de l’OPPBTP : faciliter l’appropriation et la mise en œuvre du Lean Construction par tous les acteurs d’un chantier.
« Au niveau méthode, ce qu’on a pu découvrir, c’est que le Lean est un absorbeur d’aléas importants mais sans stress, et surtout, c’est un ressort de créativité très important parce que toute problématique devient une opportunité d’amélioration ». « Nous avons eu l’occasion de mettre en place des techniques innovantes sur la gestion des travaux modificatifs acquéreurs, sur le tri des déchets, sur la planification, et nous avons pu proposer des méthodes pour faciliter les relations entre avec les entreprises, maitres d’œuvre, OPC pour mieux gérer le chantier », détaille Yves Chassagne.
Une amélioration continue
Pour chaque domaine d’activité, « il s’agit d’anticiper le plus possible, et de se fixer des points d’engagement. Pour renforcer l’équilibre et étayer une démarche qui soit stable et pérenne, on s’est proposé de donner des méthodes pédagogiques aux entreprises pour déployer leur démarche notamment à travers des principes ». Ces principes s’accompagnent d’un certain nombre d’outils parmi lesquels, le planning géo-temporel. Cette « innovation majeure donne à travers 4 notions majeures (progression des travaux, tempo du chantier, micro-zonage, tâches à accomplir) une vision spatiale du chantier », permettant à tous les intervenants de visualiser les événements à venir.
L’ouvrage fournit aussi une liste de 13 déterminants fondamentaux couvrant la chronologie d’une opération. « Ces déterminants permettent de balayer à peu près tous les secteurs, et d’appliquer des outils qui correspondent aux besoins ». Parmi eux, la gestion des chantiers en flux qui permet de concilier performance, diminution des risques et amélioration des conditions de travail.
Un triple bénéfice
L’ouvrage de l’OPPBTP révèle que 80% des chantiers expérimentaux ont été rendus dans les temps, le Lean présentant ainsi des bénéfices en termes de délais et de coûts. La démarche a également un impact sur la qualité : « les réserves étaient à peu près divisées par deux ».
Les entreprises sont-elles prêtes à s’engager dans la démarche ? Si le Lean peut profiter à tous, les acteurs doivent pouvoir changer leurs habitudes, anticiper plus, investir du temps pour expérimenter, et « savoir mesurer leur capacité de changement en évitant à la fois de se sous-estimer et de se surestimer », souligne Yves Chassagne. « Nous avons essayé d’établir une sorte de prérequis pour guider les entreprises. C’est vraiment la notion de juste à temps et de flux constants qui émergent. C’est tout en équilibre, et à partir de là, l’entreprise peut se lancer avec sérénité ».
Les réglementations à venir et les enjeux auxquels doit faire face le bâtiment pourrait bien accélérer le développement du Lean. « La commande publique veut que l’on construise mieux, plus vite, moins cher. Les assureurs se plaignent des hausses de prix sur les pathologies d’ouvrage, les acteurs de la construction souhaitent de meilleures réalisations et un meilleur équilibre coût-qualité-délai (…). Le Lean est l’innovation de rupture susceptible de surpasser toutes ces difficultés qui nous poussent à construire différemment ». A noter également que le Lean peut venir en complément d’autres technologies. Il peut notamment soutenir le BIM « pour anticiper plus, mettre des jalons et repérer les revues de projets, les difficultés de conception ou de réalisation ».
De nouvelles actions à venir
L’ouvrage de l’OPPBTP est un « point de passage » vers d’autres actions, nous indique Yves Chassagne. L’organisme de prévention réfléchit par exemple à une application qui permettra d’évaluer le Lean, d’analyser des causes et qui proposera une base de remédiation des solutions.
L’OPPBTP met également à disposition un certain nombre d’outils et de formations qui peuvent aider au déploiement du Lean et favoriser les partages entre les différents pôles de l’entreprise, des échanges qui sont la base de cette méthodologie de travail. Enfin, des partenariats se nouent entre la profession et le monde scolaire pour diffuser les bonnes pratiques, et les notions de Lean.
L'ouvrage est disponible ici.
Propos recueillis par Rose Colombel