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Comment faire reculer la pénibilité sur les travaux routiers ?

Publié le 26 février 2024

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Malgré l'importance de leur travail, les métiers des TP riment avec pénibilité. En particulier ceux spécialisés dans les travaux routiers. Comment y remédier ? Quelles avancées pour la faire reculer ? Éléments de réponse.
Comment faire reculer la pénibilité sur les travaux routiers ? - Batiweb

Le BTP n’est pas étranger à la pénibilité. Rien que pour les précédentes réformes des retraites, le sujet revenait constamment, notamment à propos du compte pénibilité en 2017 - qui ne faisait pas l’unanimité - et dont le sujet été relancé lors de la réforme des retraites de 2023.

« Le compte pénibilité aujourd’hui ne comprend que six facteurs sur les dix qui avaient été inclus dans la loi. Et les facteurs les plus importants pour le BTP - postures pénibles, port de charges lourdes, vibrations et expositions à des matières chimiques dangereuses - ne figurent pas parmi ces six », nous rappelait Paul Duphil, directeur général de l’OPPBTP, dans une interview.  

En février 2018, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) s’était emparée du sujet à travers un référentiel sur ses métiers. L'objectif : « en demander l’homologation, tel que prévu par l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention ». 

Ledit référentiel se concentrait sur deux facteurs de risques professionnels dans les travaux publics : des expositions au bruit et aux températures extrêmes. Et parmi les professionnels concernés, on retrouve les acteurs du secteur des travaux routiers. 

En plus de l’usure physique, l’usure mentale à surveiller 

 

Ehsan*, ancien contrôleur de chantiers routiers se souvient du «bruit, et de la nuit aussi, car tu te retrouves seul en pleine nature, tu ne sais pas toujours où tu vas. Et puis du froid, de la neige, du verglas, de la pluie... Des conditions météo très très difficiles ».

Sans compter le stress et l’anxiété générés par ces conditions de travail périlleuses. C’est ce sur quoi insiste notamment Julien Vick, délégué général du Syndicat des Équipements de la Route (SER). 

«Il y a malheureusement aussi de plus en plus de violences routières, de violence à l'égard des salariés, parfois même des agents des collectivités publiques. Cela peut aller de l'insulte aux violences physiques. Sans compter effectivement les usagers qui s'introduisent dans ces zones de chantiers, malgré le fait qu'il y ait une signalisation adaptée », précise-t-il.

Si la santé mentale est de plus en plus prise en compte dans les travaux publics, et plus largement dans le bâtiment, le stress et l’appréhension ne faisaient pas partie du quotidien d’Ehsan, dans les années 1980.

« Après, on faisait peut-être beaucoup plus attention, et c'est vrai que les gens étaient quand même un peu plus prudents à l'époque. Il y avait plus de respect sur la circulation, les limitations de vitesse étaient respectées. Et puis quand on avait de gros chantiers avec un besoin des services de police pour contrôler la circulation, ils étaient plus présents qu’actuellement », estime l’ancien responsable de chantiers. 

Des innovations à autoriser sur les chantiers routiers 

 

Il n’empêche que quand les ouvriers des travaux routiers « sont sous circulation et qu'on ne peut pas faire de basculement de voie, ou qu’on ne peut pas fermer une route ou une autoroute, il faut avoir un balisage qui soit de qualité, qui soit sécurisé pour éviter que ce soit accidentogène, même anxiogène », défend Julien Vick. 

Et le SER en sait quelque chose, car il fédère 90 % du secteur français des équipements de la route. Soit 120 équipementiers, répartis sous six familles produits, dont celui de la signalisation temporaire et du balisage. Une catégorie d’équipements essentiels dans le cadre de chantiers routiers. 

« On a du marquage et des panneaux, des barrières, des cônes et des blocs béton, des feux tricolores, par exemple. Il y a aussi tout l'univers de protection des salariés, cela va à la fois de l'équipement rétro-réfléchissant à l’équipement pour protéger les chantiers, comme les séparateurs modulaires de voies, qu’ils soient métalliques ou en béton », mentionne notamment son directeur général. 

D’autres innovations méritent cependant une place dans le paysage des chantiers routiers. C’est le cas par exemple des atténuateurs de chocs (TMA), montés sur camion ou sur remorque. Autorisés en Italie, en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg ou en Autriche, les TMA ne demandent qu’à rejoindre les routes françaises. 

« Ils sont réutilisables en cas de choc, et permettent de sécuriser les automobilistes en cas d'arrêt ou de stationnement des véhicules. C’est un dispositif intéressant, pour lequel on a des discussions aujourd'hui avec l'administration de la DGITM [Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, NLDR], le ministère des Transports, pour autoriser ce dispositif sur les routes françaises », nous décrit M. Vick.

Pour le DG du SER, le fait que de tels dispositifs ne soient pas autorisés est incompréhensible. D’autant qu’il s’agit de dispositifs crash-testés au Transpolis, centre d’essai européen, avec qui le SER travaille « pour les barrières de sécurité, les dispositifs de retenue ou les blocs en béton. Il y a des tests grandeur nature qui sont faits, où on envoie un véhicule ou un camion s’y projeter, afin de tester leur résistance », souligne l’intéressé. 

La qualification des ouvriers à renforcer et à valoriser

 

Mais pour Ehsan, ce n’est pas tout d’avoir des innovations. La question est plutôt de savoir si « elles sont bien appliquées, et si le personnel est bien formé pour cela », soulève l’ancien contrôleur de chantiers adjoint. Par ses fonctions, il pouvait intervenir sur des questions de sécurité, tant sur les agents que les entreprises privées de TP sollicitées.

« Il y a plus d’une trentaine d’années, notre directeur était descendu en subdivision. Il circulait sur les routes et il a arrêté une équipe qui n’était pas conforme au travail de la sécurité routière, sans signalisation, sans gilet orange », nous raconte Ehsan, avant de poursuivre : « Cela reste toujours d'actualité parce qu'aujourd'hui, je circule et je m’aperçois que ces professionnels ne travaillent pas dans des conditions conformes. Même vis-à-vis l'usager, qu'il soit piéton, cycliste ou en voiture, il y a des travaux qui sont faits dans les communes et là encore, c'est très mal signalé ».

Le SER, à son échelle, travaille depuis longtemps sur cette sensibilisation des professionnels. « On a mis en place depuis plusieurs années des CQP, des certificats de qualification professionnelle, qui existaient depuis 2009 en signalisation horizontale, et depuis 2019 en dispositif de retenue, puis depuis 2021 pour ce qui est signalisation temporaire », nous indique Julien Vick. 

Autre processus validé au niveau des caisses paritaires nationales de l'emploi : « On a créé deux nouveaux CQP : pour le poseur et pour le chef poseur de signalisation temporaire sur route bidirectionnelle et voirie urbaine. On va faire la première session en 2024 », ajoute-t-il. Ces CQP tendent à être un gage de fiabilité, de sécurité et d’assurance pour les donneurs d’ordre, publics comme privés.

« On est plutôt ravis au SER, parce qu'on a aujourd'hui des collectivités territoriales qui frappent à notre porte, qui ont déjà envoyé des agents passer le CQP. On est les seuls à faire cela et cela correspondait à un vrai besoin, car il n’y a pas d'école pour apprendre ces métiers-là », se réjouit M. Vick. 

En parallèle, le SER collabore avec l’OPPBTP afin de sortir, dans l’année, un référentiel sur les moyens de protection sur chantier sous circulation. « On va mettre en lumière 10 règles d'or pour assurer la sécurité des travailleurs dans les chantiers d'équipements routiers sous circulation. On va aussi fournir des fiches pratiques qui rappelleront l'usage d'équipements, définiront par exemple une zone de travaux et une signalisation temporaire adaptée… », nous décrit le DG du syndicat. Le document tend aussi à expliquer comment installer des zones de chantiers pour signaler la présence des hommes à pied. « Aujourd'hui, il y a des choses qui existent : des radars pédagogiques, un mannequin de signalisation… », mentionne M. Vick.

La sécurité sur les travaux routiers, une « variable d’ajustement » budgétaire

 

En substance, pour réduire la pénibilité parmi les professionnels des chantiers routiers, « il faut du personnel formé, adapté et puis des moyens plus importants », nous résume Ehsan.

Mais c’est sûrement le point qui fâche. Certes, durant sa carrière, l’ancien contrôleur de chantiers adjoint a noté une amélioration des conditions de travail des agents et ouvriers de travaux routiers (plus de cabanes pour manger et assister à des réunions au chaud, plus de systèmes de roulements pour prendre des pauses après des travaux de nuits, les contrôles médicaux plus réguliers...). 

Julien Vick, de son côté, insiste : la signalisation temporaire « est un vrai métier. Et qui dit vrai métier, dit aussi lignes claires en termes financiers. J'entends par là que dans les appels d'offres, il faut qu'il y ait une prise en compte d'un balisage et d'une protection des salariés dignes de ce nom, car malheureusement, ce n’est pas encore le cas. On le voit au niveau des accidents, qu'il y a un vrai sujet là-dessus. Il faut que cette ligne de protection des salariés et aussi des usagers soit clairement identifiée », déplore le DG du SER.

Avant de développer : « Si on veut un balisage de qualité, avec des produits normés, certifiés, posés dans les règles de l'art, et bien cela présuppose des coûts et tout le monde y sera gagnant. Et en termes d'accidentologie et de protection pour les agents, soit des collectivités territoriales, soit des salariés des entreprises du BTP qui exercent ces métiers à haut risque ».

Le manque de main d’oeuvre, un facteur aggravant pour la pénibilité ?

 

Des moyens doivent être développés pour équiper, mais aussi pour mieux rémunérer les professionnels des travaux routiers. Surtout dans un contexte où les travaux publics, comme l’ensemble du BTP, sont exposés à des problématiques de recrutement.

Un problème qui ne date pas d’hier, selon Ehsan. L’ancien responsable de chantiers routiers se souvient d’opérations de déneigement, durant lesquelles les agents et ouvriers enchainaient parfois des nuits et des jours sans dormir. « On était très très peu de personnel pour le faire », constate-t-il. 

Dans la collectivité où il travaillait, « pour les 350 kilomètres de routes nationales et départementales, il n’y avait que sept agents. Et pour les voies communales, il n'y en avait que cinq», dénombre Ehsan. « Puis à l’époque, quand on avait besoin de renfort, la direction nous donnait du budget pour pouvoir passer aux entreprises et combler les manques », précise-t-il.

Et la pénurie touchait également les postes de management à l’époque. « Quand je suis arrivé, mon poste était vacant depuis 3 mois. Mon ex-patron avait été remplacé une semaine avant », nous confie l’ancien contrôleur de chantier adjoint. Un autre facteur aggravant pour la pénibilité dans les travaux publics. Après, comme le dit justement Ehsan : « On peut tout prévoir. On peut tout dire, mais il faut être sur le terrain pour le voir et le comprendre ».

 

> Consulter le dossier spécial Pénibilité dans le BTP

 

*Pour cet article, le prénom de la personne a été modifié

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de une : SER

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