Pénuries et isolation PSE : « Il va falloir être créatif » (Afipeb)
Isolant fortement utilisé en France, le polystyrène expansé (PSE) a besoin d’une matière première essentielle pour sa fabrication : le pétrole.
« C’est un dérivé d’un produit pétrolier qui s’appelle le naphtalène, réutilisé pour faire une molécule qu’on appelle le styrène. Et cette molécule est ensuite adjuventée sur du polystyrène blanc de pentane et du graphite », nous rappelle Amaury Omnès, président de l’Association Française de l'Isolation en Polystyrène Expansé dans le Bâtiment (Afipeb), rassemblant les producteurs du matériau.
Des tensions d’approvisionnement liées au marché européen
« On a eu à subir des forces majeures diverses depuis deux ans, que ce soit sur la production de matière de base, le styrène, ou bien aujourd’hui sur la transformation pour produire la bille de polystyrène, qui est la matière que nous on achète, parce que des pannes, parce que pas assez de graphite, parce que pas assez de pentane. Et donc aujourd’hui on se retrouve avec une demande toujours croissante, et en face, une offre qui est réduite, sachant que la production est quasi-exclusivement européenne », poursuit Amaury Omnès.
Selon le président de l’Afipeb, « 95 % du polystyrène vendu en France est produit en France dans l’isolation du bâtiment, et nos matières premières sont d’origine européenne ».
Toutefois, l’offre et la demande européenne de matières premières ont été déséquilibrées par la reprise post-Covid, avec en France une grande quantité de mises en chantiers de maisons individuelles fin 2021, renforçant la demande en isolation des planchers.
Sans compter la volonté de certains pays européens d’améliorer l’efficacité énergétique de leurs bâtiments. En témoigne l’accélération du dispositif MaPrimeRénov’ dans l’Hexagone, ayant soutenu la demande en isolation de façades en PSE, le tout couplé à une capacité de production réduite. Il ne manquait plus que la guerre Ukraine pour aggraver les tensions en approvisionnement, en particulier côté importations de pétrole et gaz russes.
En soit, à l’échelle française, l’impact du conflit n’est pas direct, car le réseau gazier ne dépend qu’à 17 % du gaz russe, alors que l’Allemagne et l’Autriche dépendent respectivement à environ 40 % et 80 % de la ressource. Pareil pour le pétrole, dont la France peut s’approvisionner par les ports auprès de la Norvège et l’Algérie.
Cependant, l’impact la production française d’isolation PSE se fera par ricochet. Si les producteurs européens (Benelux, Pays-Bas, pays de l’Est…) de polystyrène manquent et n’arrivent pas financièrement à se fournir en gaz et pétrole, c’est toute la production de matières premières qui ralentit.
Ainsi, sur le marché européen, le prix du PSE en avril dernier aurait augmenté de 30 % par rapport à avril 2021. « En gros, ce qu’on achetait 100€ il y a deux ans, on l’achetait 180€ l’an dernier, on l’achète 200€ et quelques, voire 230 € cette année, donc ça a plus que doublé », commente Amaury Omnès. Côté délais d’approvisionnement, « historiquement, ce qu’on pouvait livrer sous une semaine, on a des gammes de produits pour lesquels les délais sont très supérieurs à un mois », abonde-t-il.
Une opportunité pour la sobriété énergétique et carbone des industriels ?
Si l’inflation observée durant la première moitié de 2021 sur le PSE et les matériaux de construction s’explique en partie par une hausse réelle de la demande par rapport à la demande, « l’inflation de fin d’année était vraiment liée à cette spéculation offre par rapport à la demande » analyse Amaury Omnès.
L’année 2022, quant à elle, est en grande partie marquée par la spéculation, due à la peur du risque, « et pour le gaz c’est la même chose, puisqu’aujourd’hui, le gaz est toujours présent dans les gazoducs. Et on subit tout ça, on n’a pas les moyens, petits industriels que nous sommes de lutter contre. Evidemment, on engage des mesures à long-terme (…) » ajoute le président de l’Afipeb, qui est aussi directeur général de Hirsch Isolation.
Par « mesures à long-terme », l’intéressé nous expose deux scénarios : « d’un côté ce sera un retour en arrière, avec un retour avec des énergies comme le fioul. Et nous, de notre côté, on envisage des reconversions de chaudières en biomasse. On a certains sites français de l’Afipeb, dont un site Hirsch Isolation qui ont déjà une chaudière biomasse ».
Une façon de reproduire la transformation des matières premières grâce à la vapeur et ainsi s’engager dans l’indépendance énergétique de la France, ambition renforcée dans le plan de résilience. La ressource biomasse privilégiée serait le bois recyclé des industries, répondant d’un autre côté aux enjeux de la REP bâtiment.
Les industriels représentés par l’Afipeb se préparent en parallèle à une éventuelle interruption, l’hiver prochain, des usines, afin de réduire leurs consommations de gaz, si jamais les pénuries et l’inflation continuent de s’empirer.
« Si c’est sur quelques heures, très sincèrement tout le monde s’en remettra. Si c’est sur des jours, ça aura un impact très lourd », craint de son côté Amaury Omnès.
Les professionnels comme les consommateurs finaux dans l’expectative
Si le gouvernement appelle à une sobriété et une efficacité énergétique des bâtiments, qu’ils soient industriels mais aussi résidentiels, qu’en est-il des mesures étatiques déployées face aux tensions d'approvisionnement ? Pour Amaury Omnès, « il va falloir être créatif », mais aussi optimiste, surtout quand on sait que le secteur de l’isolation redoute déjà une baisse des travaux d’isolation face à la baisse de 50 % des CEE consacrés, ce 1er mai.
« Il est difficile de se projeter, et donc on va vite voir si la seule MaPrimeRénov’, et l’aide divisée par deux, suffisent à maintenir le bon rythme des travaux, ou si on va avoir un vrai coup de frein dans l’activité », estime le président de l’Afipeb.
En attendant, producteurs, distributeurs, artisans spécialisés dans l’isolation PSE, comme le consommateur final, appréhendent une inflation en cascade sur ce matériau.
Pour assurer leurs arrières, le président de l’association recommande aux artisans de ne pas s’engager sur des prix dans leurs devis. D’autant que pour l’heure, « la durée de validité d’un prix c’est deux mois», note-t-il. Comment ? En prévoyant notamment des contrats avec des clauses d’indexation, « pour pouvoir répercuter à la hausse comme à la baisse les inflations ou faire bénéficier des déflations, quand il y en a ».
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock