Déconstruction sélective : le bâtiment doit être considéré comme une ressource
Le secteur de la construction dans sa globalité est responsable de 75% des déchets produits en France, dont 15% (environ 50 millions de tonnes) proviennent du bâtiment. Parmi ces déchets, 65% sont issus de la déconstruction, 28% de la réhabilitation et 7% de la construction.
Alors que la loi de transition énergétique pour la croissance fixe un objectif de 70% de valorisation des déchets de chantier d’ici 2020, les filières se mobilisent. On peut citer le projet Recybéton qui durant 6 ans, a travaillé à l’élaboration de préconisations pour la réutilisation intégrale des matériaux issus des bétons déconstruits ; Isover, qui a lancé il y a un an, son propre centre de revalorisation de laine verre ; ou encore l’AFIPEB dont les membres ont signé, dès 2012, une charte de gestion des déchets issus de leurs produits.
A l’occasion du BIM World 2019, Bouygues Bâtiment France Europe est revenue sur sa politique de recyclage et de réemploi des matériaux. Guillaume Carlier, Directeur RSE de Bouygues Bâtiment France Europe, rappelle que le parc français se renouvelle à la vitesse de 1% par an. « Autrement dit, on se revoit pour le BIM 2119 pour avoir des ouvrages au standard de 2019. Pour la lutte contre le changement climatique, l’enjeu ce n’est pas la construction, c’est la rénovation. Or, rénover, c’est générer beaucoup de déchets, beaucoup de ressources ».
Bouygues propose ainsi sa démarche « zéro déchets ». En quoi ça consiste ? « C’est le Saint Graal. C’est par exemple se dire, je vais construire hors site, c’est la notion de préfabrication. On se dit, un déchet de déconstruction peut très bien servir de ressource à un autre, c’est la notion d’écologie industriel. C’est aussi l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire qu’un ouvrage à un temps donné peut changer de fonctions », explique Guillaume Carlier.
Chez Bouygues, l’ouvrage n’est plus considéré « comme un ensemble d’externalités un peu négatives mais comme un bâtiment hybride, un ouvrage sobre, adaptable et adapté pour ses utilisateurs, connecté, désirable et créateur de valeurs ».
En termes de déconstruction, il souligne : « 25%, c’est le coût des matériaux engagés dans la construction. On en récupère en fin de vie uniquement 0,5%. Les enjeux d’économie circulaire sont très importants ». S’inscrire dans une logique de réemploi et de réutilisation, c’est avant tout « un changement de paradigme », estime-t-il. C’est « bannir » le mot démolition et préférer « déconstruction ».
Déconstruire intelligemment
Qu’est qu’une « smart déconstruction » ? « C’est beaucoup de bon sens, c’est conserver l’existant ». C’est également concevoir en amont la déconstruction. « Le curage doit être sélectif. Il est le nœud pour le réemploi et la réutilisation. C’est là où les usages numériques peuvent intervenir ». C’est aussi « prendre son temps » pour auditer le site, et étudier le potentiel de réemploi. Dernière étape fondamentale avant la certification, l’accompagnement opérationnel de l’ensemble des hommes du terrain.
Un outil BIM pour accompagner les maîtres d’ouvrage dans la déconstruction
Lors de sa présentation, Guillaume Carlier s’est aussi référé à un outil développé avec Suez pour créer une maquette BIM destinée à la déconstruction. Un outil qui a rapidement évolué grâce notamment à l’intervention de Resolving. batiRIM permet de voir le bâtiment comme « une somme de ressources », indique Philippe Maillard, Directeur général adjoint France de Suez.
« L’outil cartographie le bâtiment et permet d’identifier ce qui mérite d’être déconstruit de façon plus ou moins sélective » pour le réorienter « vers des filières de recyclage ou de réutilisation appropriées », explique-t-il. C’est un « BIM inversé », ajoute Cyriaque Rios, président de Resolving. « A tous les étages de l’économie circulaire, le travail est extrêmement fastidieux ». Avec batiRIM, « on va rendre simple le fait d’être responsable et de faire des efforts pour aller très vite ». C’est aussi « participer à l’économie circulaire », et en faire quelque chose de « totalement naturel ».
Cyriaque Rios détaille qu’auparavant, pour cartographier un bâtiment, la personne devait se déplacer, faire des métrés, prendre quelques photos, retourner au bureau, reporter les métrés sur Excel, sortir des tableaux, faire un rapport et le délivrer au maître d’ouvrage qui le donnait ensuite à l’entreprise. batiRIM permet de faire toutes ces étapes « en une seule fois ». « On va faire la même chose sur la partie collaborative », dit-il puisque le travail sera fait à plusieurs simultanément « pour créer encore plus de valeur en encore moins de temps. Vous allez avoir ensuite des possibilités de connexion, puisque si vous avez pris de la ressource, on va la partager en, live sur des plateformes de retransmission ou autre, à partir de ce qui a été saisi. Et ensuite il va y avoir des missions d’accompagnement sur la déconstruction sélective » via la création d’un plan de démontage.
Il résume ainsi le process en quatre étapes : relevé d’informations sur site, consolidation de l’information, reporting et préconisations. « Moins on passe de temps à qualifier l’information au départ, plus on passe de temps à l’analyser, c’est là où on va créer de la valeur ».
Mais si l’outil permet de grandes choses, il reconnaît que l’information n’est pas toujours disponible sur site. « Ce qu’il faut savoir, c’est que la déconstruction, c’est un peu la dernière roue du carrosse. Il n’y a pas de plan. Ou alors, il y a le plan d’évacuation sur le mur. » C’est d’ailleurs à partir de ce plan que Resolving travaille parfois. « On le remet à l’échelle et à partir de là, on va qualifier le plan avec une approche objets (BIM) ».
Peut-on envisager de scanner le bâtiment en 3D pour faire face au manque d’informations ? Cyriaque Rios estime que ce n’est pas nécessaire dans l’immédiat. Il souligne non seulement le coût d’une telle opération mais également « la perte de temps ». « Aujourd’hui quand on scan, on doit recomposer l’immeuble à la main derrière. Ça créé une intervention humaine importante qu’il faut ensuite requalifier sur le nuage de points, et les technologies avancent beaucoup. Je dirai que dans quelque temps, quand on va rentrer dans une réelle requalification des matériaux et un recollement automatique des nuages de points, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, on pourra imaginer passer dans cette démarche ».
Certifier la démarche
Selon l’ambition du maître d’ouvrage et gestionnaire de patrimoine immobilier, il va exister différents niveaux de certification de la déconstruction. Anne-Laure de Chamard, président de Bureau Veritas Construction a révélé avoir développé avec batiRIM la certification5R. Pour l’entreprise, « l’économie circulaire ce n’est pas une ambition, c’est une nécessité avec la raréfaction des ressources, les enjeux environnementaux liés au traitement des déchets. C’est une vraie priorité ». « On intervient dans tout le processus d’économie circulaire dès le démarrage, que ce soit l’identification des produits avant la déconstruction, le suivi du chantier de déconstruction (sensibilisation des équipes pour déconstruire correctement), le choix des filiales de valorisation et la validation des produits réemployés dans les nouveaux projets. L’idée est d’avoir une action globale pour pouvoir valoriser la démarche et en attester la performance ».
« Ce certificat se décline en plusieurs niveaux, du good au oustanding, et c’est le potentiel d’économie circulaire et des filières de valorisation qui est retenu ». « On accompagne le client dans le diagnostic avec une vision technico-économique et une vision de coût global ».
Concernant la maquette BIM pour la déconstruction, « Il faut qu’elle soit as-built, qu’elle soit la vraie image de ce qui a été construit, puisse apporter toutes les informations des matériaux qui sont rattachés dès la phase de construction pour permettre leur remploi futur lors de la transformation ou déconstruction du bâtiment. On envisage même dans un futur pas si lointain que cela, tout le sujet de la blockchain pour pouvoir tracer ces matériaux ».
Quant au coût du réemploi et recyclage ? « Plus on va en faire, plus on va gagner en efficacité de process. Plus on va travailler intelligemment en réseau, plus la demande va être importante ». A ce moment-là, une baisse des coûts pourrait être observée, avance M. Carlier. Pour M. Maillard, « le domaine du recyclage s’installe de façon industriel, filière par filière au fur et à mesure du temps (…). » Une tendance qui devrait s’accélérer à travers l’évolution de la demande en produit recyclé et la pression réglementaire.
« Dès lors que la démarche de déconstruction sélective se met en place, elle envoie les éléments dans les bonnes filières, et cette filière-là, elle créé de la valeur officielle. C’est-à-dire que le prix de la déconstruction devrait diminuer et faire du cash back. En tous cas, c’est tout l’objectif d’une démarche complètement responsable et complètement transparente: des coûts de déconstruction négatifs car on arrivera à mettre dans chaque filière les bons éléments », ajoute enfin Cyriaque Rios.
Rose Colombel
Photo de une : ©RC