Sur Maurice, c’est l’architecture qu’on assassine
Comme d’autres architectes, Ajit Teeluck pense que le problème vient du fait que la plupart des gens ne consultent pas un architecte avant de construire leur maison. « Ils croient que ça coûte trop cher, ce qui est faux, car il y a des architectes qui pratiquent des tarifs abordables. » Ce qui manque surtout, c’est un point commun dans l’architecture, souligne-t-il. « Une toiture, une taille, une couleur quelque chose qui puisse donner un style. Voilà ce qu’il faut. Ici on est trop individualiste, ce qui explique cette dysharmonie entre les bâtiments. En plus les maisons sont trop près les unes des autres. » Jean-François Adam observe, quant à lui, que les villes s’étendent jusqu’aux champs de canne. « Quatre-Bornes rejoint Vacoas, les résidences se transforment en commerce, notre town planning est complètement dépassé. »
Comment y remédier ? Dinesh Ramphul propose de mettre cartes sur table : si les gens n’arrivent pas à réaliser qu’ils enlaidissent le pays, il faut instaurer des règlements. Shailesh Padya est d’avis qu’il faut expliquer aux gens que s’ils s’occupent mieux de leur environnement extérieur, ça ne peut qu’améliorer leur qualité de vie. « Il faut les sensibiliser à l’esthétisme, à penser collectif, mais on ne peut rien imposer. Je crois que ça viendra naturellement. » Pour Ajit Teeluck, il faut déjà oser dire que quelque chose est horrible. « On a trop peur de décevoir les gens, et pourtant, on devrait pouvoir dire aux mauvais dessinateurs et architectes de revoir leurs conceptions. »
Qui dit architecture dit aussi témoignage culturel. Certes, elle renseigne sur l’évolution de l’homme à travers les âges, mais aussi sur son mode de vie, sa conception du monde, ses valeurs, ses croyances, sa manière d’être. Peut-on alors parler d’une architecture mauricienne ? « Nous avons quelque chose de mauricien dans notre architecture, c’est difficile de le nommer mais nous l’avons en subtilité », explique Dinesh Ramphul.
Il affirme que les architectes doivent garder en tête l’aspect historique du pays, « mais en même temps on ne peut pas faire dix étages avec des bardeaux comme à l’époque coloniale ». Il faut dire que nous sommes envahis par la technologie des matériaux, qu’il y a de plus en plus une uniformisation, et qu’on a du mal à distinguer les architectures des différents pays.
« Garder les formes et les ambiances »
Pour pallier cela, Jean-François préconise qu’on revienne vers nos bases, vers l’ancien Port-Louis, le vieux Mahebourg, et ces boutiques de style victorien. « On peut les utiliser comme modèles pour garder les formes, et surtout les ambiances. On peut aussi créer une harmonie grâce à la végétation. » Pour nos villes, l’urbaniste Gilbert Orlando, a un idéal : « Que chaque ville puisse avoir une identité, trouver les caractéristiques qui reflètent une région. À Rose-Hill, on veut aller dans ce sens, incorporer plus d’espaces verts, avoir un centre-ville piéton. »
Est-ce une utopie ? Il est d’accord qu’il y a dans nos lois une lacune en matière d’esthétisme. « On ne veille qu’à la viabilité des constructions, j’ai peur que ça soit difficile aujourd’hui de venir réglementer tout ça. » Quant au skyline de Port-Louis, qui n’arrête pas de pousser, « il y a le corporate prestige. D’un point de vue économique, c’est bien, ça donne confiance aux investisseurs, ça reflète que le pays bouge », avance Dinesh Ramphul.
En fin de compte, la création architecturale a encore des défis à relever. Il y a certes de beaux gratte-ciel, des maisons charmantes ici et là. Il reste tout de même le fait que les Mauriciens doivent arrêter de se dire que la construction de leur maison ne concerne qu’eux et qu’ils comprennent que budget et esthétisme peuvent aller de pair.
Pour clore le débat, alors que Dinesh Ramphul considère que donner aux autres le spectacle d’une maison laide devrait être un délit, que Jean-François Adam pense que c’est un manque de respect pour son voisin que de lui faire subir une maison mal fagotée, Shailesh Padya prône l’optimisme. « Je crois qu’il faut être positif sinon on ne trouve pas de solutions. » [...]
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