La France boit la tasse à Bruxelles
La France est en infraction depuis deux décennies sur la directive européenne de 1975 limitant le taux de nitrates dans les eaux de surface, et les principaux acteurs doutent qu'elle puisse atteindre le "bon état écologique" de ses eaux d'ici 2015, comme le préconise l'Union européenne.
Pour Marie-Noëlle Lienemann, député européenne et rapporteur en 2000 de la Directive-cadre sur le bon état écologique des eaux, "la majorité des agences de l'eau ne seront pas au rendez-vous de 2015 et elles vont se mettre d'accord pour nous expliquer que ce n'est pas grave". Car si la Bretagne constitue "le point chaud le plus caricatural", "c'est une bonne alerte sur ce qui nous attend demain", estime Pierre Boyer, juriste et spécialiste de l'eau à la fédération France Nature Environnement (environ 3.000 associations).
"Une bonne moitié du territoire national est classée en zones vulnérables aux nitrates d'origine agricole", relève-t-il. "Le bon état écologique en 2015, c'est mission impossible. Les acteurs et milieux politiques s'accordent déjà pour considérer que si on y arrive en 2021 ou 2027 ce sera déjà bien". La Directive de 2000 reprend deux directives antérieures, de 1975 et de 1991, qui réglementent l'assainissement de toutes les collectivités. Le ministère de l'Ecologie ne fanfaronne pas, qui a dû s'incliner bien souvent devant celui de l'Agriculture, comme le remarque la FNE.
"Nous avons un contentieux européen sur les stations d'épuration des collectivités, pour lesquelles nous sommes en retard car elles auraient dû être mises aux normes fin 2005", reconnaît Pascal Berteaux, directeur de l'eau au ministère de l'Ecologie. "Pour les pollutions diffuses, comme les nitrates et les pesticides, on a trouvé 88 substances chimiques dans les rivières; et en matière écologique, on a encore un problème de morphologie des cours d'eau (entretien des rivières, barrages) qui joue sur les espèces et la végétation", ajoute M. Berteaux. "Il faudrait que l'Etat fasse prévaloir les intérêts sanitaires et environnementaux sur les intérêts économiques", prévient Pierre Boyer.
Or, la loi sur l'eau du 30 décembre 2006 a démontré le contraire, estime-t-il: "Ici c'est le principe +pollué-payeur+, application française du principe pollueur-payeur, qui contraint le consommateur à payer des coûts élevés de dépollution à la source, alors qu'il paye aussi l'assainissement". L'association Eau et rivières, en première ligne en Bretagne, a salué mercredi l'attitude de Bruxelles, espérant que cet "électrochoc" permettra "qu'enfin on oriente l'argent de la Politique agricole commune d'une manière juste et efficace, en faveur des agriculteurs respectueux de l'environnement".