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Statut de conjointe-collaboratrice : 40 ans de protection en voie de disparition ?

Publié le 21 février 2025

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Créé en 1982, le statut de conjoint-collaborateur offre une protection sociale et une reconnaissance professionnelle aux conjoints des chefs d’entreprise. Quelles évolutions pour ces conjoints, et surtout les conjointes, travaillant au sein d’entreprises artisanales du bâtiment ? Quels dangers avec la réforme de 2022 ? Décryptage avec la CAPEB.
Statut de conjointe-collaboratrice : 40 ans de protection en voie de disparition ? - Batiweb

10 juillet 1982. La loi relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale, entre en vigueur. Son objectif : reconnaître un statut légal et professionnel du conjoint dans l’entreprise. 

« Depuis la loi de 1982, il y a bien des choses qui se sont mises en place, mais le drame c’est que les femmes elles-mêmes n’en ont pas pris conscience », témoignait, en 1987 et auprès de la chaîne télé FR3, Michèle Barreau, qui partageait, avec son mari artisan-menuisier, la gestion de leur entreprise familiale dans le Gers. 

« Il est certain qu’elle aide beaucoup dans l’entreprise pour le développement, du point de vue [recrutement] des salariés (…), parce que ça coûte beaucoup de temps », reconnaissait son époux Laurent Barreau. 

À côté, Mme Barreau assurait la vie de foyer et l’éducation de ses deux filles. Double casquette que devaient porter « des milliers » de conjointes, selon le reportage. 

 

Une protection sociale, un rôle reconnu dans l’entreprise…

 

Heureusement, la loi de juillet 1982 est venue apporter « protection sociale, parce beaucoup de femmes à une autre époque travaillaient au bureau, dans l'ombre de leur mari», contextualise Corine Postel, vice-présidente en charge des questions sociales à la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB). « Elles n'étaient pas déclarées et n’avaient officiellement pas de profession. Du coup, au moment de la retraite, elles n'avaient jamais cotisé. Elles se retrouvaient "aux crochets" de leur mari », développe-t-elle. 

Le statut de conjoint collaborateur assure en plus une protection sociale en cas de grossesse ou d’arrêt maladie. Il protège également en situation de veuvage ou de divorce, pouvant impacter l’activité et la stabilité.

« Il faut savoir qu'il n'y a pas de salaire dans le statut du conjoint collaborateur. On partage les revenus avec le conjoint », insiste Mme Postel. Et d’ajouter : « La conjointe n'est pas en situation de précarité, parce qu'elle a la possibilité de cotiser sur des assiettes importantes, voire autant que celles de son mari », selon les possibilités financières par l’entreprise.

La vice-présidente en charge des questions sociales de la CAPEB est elle-même conjointe collaboratrice au sein de Postel Couverture, à Chaufour-les-Bonnières (Yvelines). Elle y gère la comptabilité, la paie, les factures, les devis, « tout ce qui est administratif ». 

« Au début, j'ai cotisé pour ma retraite, mais sans statut puisque mon mari était en EURL [entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, NDLR] à l'époque, ce n'était pas possible. En 2006, j'ai pu avoir ce statut et depuis, je m'en trouve très bien », nous raconte Corine Postel. 

« En plus, ce statut permet d'avoir un mandat de gestion. C'est-à-dire que j'ai la signature à la banque, je peux signer les devis, exactement comme mon mari. C'est une souplesse dans la gestion », abonde-t-elle. 

Être conjoint collaborateur offre également un pouvoir de représentation syndicale. Michèle Barreau pouvait ainsi représenter son mari dans tous les organismes professionnels, durant les années 1980.

Mais revenons plutôt au présent, avec cette question : combien représentent les femmes au statut de conjoint collaborateur ? 85 %, tous domaines confondus.

Le statut mis en danger par la réforme de 2022

 

Mais revenons plutôt au présent, avec cette question : combien représentent les femmes au statut de conjoint collaborateur ? 85 %, tous domaines confondus.

Depuis sa création, le statut de conjoint collaborateur a aussi évolué. Une loi du 2 août 2005 a notamment rendu obligatoire le choix d’un statut pour le conjoint, entre celui de conjoint collaborateur, conjoint salarié ou conjoint associé.

« Le caractère facultatif de ce choix et la lente prise de conscience chez les artisans eux-mêmes rendent la loi [de 1982] peu efficace. En 2004, on estime que 20 % seulement des conjoints d’artisans ont choisi un statut juridique, alors que 80 % des conjoints travaillent dans l’entreprise », restitue Delphine Poques, professeure de lettres, histoire et géographie en lycée professionnel. 

L’obligation est réaffirmée dans une récente réforme, dans le cadre du plan gouvernemental d’action en faveur des travailleurs indépendants et de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022. Appliquée depuis le 1er janvier 2022, elle présente des avantages sur le papier, dont l’extension du statut aux concubins, au-delà des conjoints mariés et partenaires de PACS.

Elle vise également simplifier la vie des micro-entrepreneurs, en proposant aux conjoints collaborateurs de cotiser sur une assiette, calculée en fonction du chiffre d'affaires du chef d'entreprise ou sur une assiette forfaitaire à un-tiers du plafond de la Sécurité Sociale (PASS).

Des mesures de modernisation et simplification saluées par la CAPEB, à l’exception d’une : la limitation de la durée du statut de conjoint collaborateur à cinq ans

Comme expliqué sur le site du service public, ceux devenus bénéficiaires au titre de conjoint collaborateur, entre 2017 et 2022, pourront le rester jusqu’à fin 2026. Les personnes optant pour ce statut à partir de 2022 pourront le conserver uniquement cinq ans. 

L’idée du gouvernement : inciter à « passer en conjoint salarié ou en conjoint associé, si l'entreprise est une société. Mais ce n'est pas le cas de toutes les entreprises », indique Corine Postel. 

Si ces situations sont considérées comme plus protectrices, elles entraîneraient « des charges sociales beaucoup plus élevées, passant de 3 000 à 15 000 euros de cotisations sociales, plus le salaire », estime Cécile Beaudonnat, présidente de la Commission Nationale des Femmes de l'Artisanat à la CAPEB, interrogée sur la réprésentation des femmes dans le secteur. « Les femmes qui ont choisi ce statut l'ont fait pour avoir une liberté de choix, concernant leur statut dans l'entreprise et leur relation avec leur mari », rappelle-t-elle.

«Beaucoup de femmes n'envisagent pas du tout d'être la salariée de leur mari. Moi, je sais que je n'aimerais pas. Même mon mari n’aimerait pas que je sois sa salariée », commente de son côté Corine Postel. 

Une campagne pour interpeller Brigitte Macron 

 

La Commission Nationale des Femmes de l'Artisanat de la CAPEB a pourtant proposé d’augmenter l’assiette de cotisation sociale, afin qu’elle passe du tiers au minimum aux trois quarts du plafond annuel de la Sécurité Sociale (PASS). 

« Cependant, le gouvernement ne semble pas favorable à cette proposition », déplore Cécile Beaudonnat, n’ayant reçu aucun retour sur cette solution.

« Il pourrait y en avoir d'autres, mais notre but est de montrer qu'on est prêts à faire des efforts pour conserver ce statut, et qu’il soit encore plus protecteur qu'il ne l'est actuellement pour les femmes », plaide Corine Postel. 

Selon la vice-présidente en charge des questions sociales à la CAPEB, cette solution signifierait aussi plus « de rentrées dans les caisses de la Sécurité Sociale »

La CAPEB compte défendre cette cause, par une campagne prévue le 8 mars. 20 000 cartes postales seront transmises aux CAPEB départementales, pour qu’elles les fournissent aux femmes adhérentes. Adressée à l’Élysée, la missive est d’office affranchie gratuitement.

Les femmes de l’artisanat du bâtiment pourront donc l’envoyer à Brigitte Macron, lors de la journée internationale des droits de la femme. 

Recto de la carte postale envoyée le 8 mars par les adhérentes de la CAPEB - Crédit image : CAPEB

Verso de la carte postale envoyée le 8 mars par les adhérentes de la CAPEB - Crédit image : CAPEB
Recto-verso de la carte postale envoyée le 8 mars par les adhérentes de la CAPEB - Crédit image : CAPEB

Parmi les parlementaires et ministres chargés de ces questions, la figure de la Première Dame restait la plus symbolique. Le but est de « l’interpeller sur la disparition de ce statut, et puis en insistant sur le fait que les femmes de l’artisanat du bâtiment ont le droit de choisir leur statut », résume Corine Postel.

Virginie Kroun

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