Dans le quotidien d'une femme sur chantier
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Le secteur du BTP commence peu à peu à se féminiser. Si en termes d’effectifs, la part de femmes employées est encore loin d’égaler celle des hommes, les choses évoluent dans le bon sens.
En France, il y a une vingtaine d’années, la part des femmes était d’environ 8,6 % dans le secteur. Aujourd’hui, elles sont entre 12 et 13 % à travailler dans le milieu du BTP. Selon la Fédération Française du Bâtiment, la part des femmes était de 12,9 % dans le bâtiment, et environ 11,5 % dans les travaux publics en 2022.
Toutefois, cette répartition varie fortement selon les fonctions. En effet, les femmes sont bien plus nombreuses à occuper des postes administratifs ou de management (environ 20 à 21 %) qu’à occuper une fonction sur les chantiers. Sur le terrain, entre 1,6 et 1,8 % des employés sont des femmes.
Malgré cette hausse progressive de la part des femmes dans le secteur, celles-ci y sont encore largement minoritaires. Pourquoi les métiers du BTP n’octroient pas une place plus grande aux femmes ?
Les femmes davantage présentes dans l’administratif ou le management
Pour Audrey Sauvegrain, directrice de travaux pour l’agence d’architecture Cobe, la dimension physique joue un rôle prépondérant quant à la part des femmes sur les chantiers : « Les ouvriers ont souvent des tâches très physiques. Je pense qu’il est beaucoup plus difficile pour une femme de les remplir, car il est parfois question de porter des charges lourdes toute la journée. Selon moi, cette dimension physique justifie le fait qu’il y ait très peu de femmes sur les chantiers ».
La directrice de travaux souligne toutefois que du côté des architectes ou des directrices de travaux, les femmes occupent une place de plus en plus importante, jusqu’à dépasser en nombre leurs homologues masculins. Des propos qui corroborent avec les données de la FFB : « Le métier d’architecte est tout de même très féminin. Aujourd’hui, quand on regarde les profils dans les écoles d’architecture, il y a beaucoup plus de filles que de garçons ».
Même perception pour Sarah M., maître d’œuvre et assistante à maîtrise d’ouvrage pour une boîte qui a préféré conserver l’anonymat : « Pendant mes études, il y avait une majorité de femmes dans les écoles d'architecture, tandis que les hommes étaient majoritaires en école d’ingénieurs ».
Gagner le respect et la confiance des homologues masculins
Les femmes aux postes d'administratifs et de management sont-elles pour autant respectées par leurs homologues masculins ? Cela dépend des profils auxquels elles vont faire face, comme l’explique Audrey Sauvegrain : « Quand on arrive dans le milieu, le fait de se retrouver face à des hommes plus âgés et plus expérimentés peut impressionner. Mais on peut rencontrer des profils très pédagogues, qui vont nous expliquer ce que l’on ne comprend pas, qui vont essayer de nous accompagner. Et il y a aussi des profils très machos qui vont avoir du mal à nous écouter, d’autant plus si l’on est jeune et que l’on est une femme ».
Une étape par laquelle il faut parfois passer, avant de finir par se faire accepter, non sans avoir passé quelques obstacles. « Il y a parfois des situations où des entreprises, des conducteurs de travaux, nous posent des questions dont ils ont la réponse. Il s’agit en fait d’un test. Les femmes sont comme mises à l’épreuve. Ces derniers veulent juste s’assurer que nous connaissons la réponse. Une fois que l’on a gagné leur confiance, les choses se passent en général très bien », nous explique Audrey Sauvegrain, qui concède toutefois que ces « tests » sont certainement plus réservés aux femmes qu’à leurs homologues masculins.
Les profils féminins appréciés sur chantier
Sarah M. nous explique qu’en tant que maître d’œuvre d’exécution, poste qu’elle occupait anciennement, certains ouvriers se montraient parfois plus motivés quand la consigne leur était transmise par celle-ci. « J’étais quelqu’un d’appréciée sur les chantiers. Et cela pouvait s’avérer avantageux car il arrivait que l’un de mes collègues masculins fasse une demande spécifique à un ouvrier, sans que celle-ci ne soit exécutée. Tandis qu’avec ce même ouvrier, si c’est moi qui lui fait la demande, j’étais tout de suite entendue », témoigne Mme M. « On se fait un peu dragouiller, donc on arrive mieux à nos fins », résume grossièrement Audrey Sauvegrain.
L'intéressée développe : « Certains conducteurs de travaux m’ont dit qu’ils préfèrent avoir affaire à une femme. Ces derniers ont la sensation que lors d’une réunion, le ton augmente beaucoup moins qu’avec des hommes. Les femmes sont davantage dans l’écoute et la compréhension, elles ont plus tendance à chercher des solutions. Les hommes sont davantage dans le conflit, dans l'agressivité », témoigne Mme Sauvegrain.
Ne pas avoir peur de parler
Malheureusement, tout est loin d’être rose pour les femmes du secteur. Certaines font les frais de ce milieu très masculin, jusqu’à faire l’objet de remarques et de comportements déplacés, voire sexistes.
Si ce genre de situation arrive, il est primordial d’en parler, comme l’explique Mme Sauvegrain : « J’ai l’exemple d’une stagiaire qui avait été victime de remarques déplacées de la part d’un ouvrier. Nous n’en savions rien jusqu’à ce qu’elle décide de nous en parler. Avant ça, et quand il était question de la placer sur tel chantier, on constatait un malaise de sa part à l’idée de travailler avec l’ouvrier en question. C’est pour cela que la communication est très importante, cela permet d’éviter ce genre de situation, de se sentir oppressé. Il n’y a surtout aucune honte à parler, car ce n’est pas elle qui est fautive, elle n’a rien fait de mal».
Même son de cloche pour Sarah M. : « Si l’on est victime de sexisme, il ne faut pas avoir peur d’en parler et d’évoquer la chose avec les personnes que l’on a autour de soi. Il faut également être capable de dire à la personne qui nous importune que son comportement ne nous plaît pas. Et cela ne vaut pas uniquement pour les métiers du BTP ».
Quant à savoir si les mentalités peuvent changer dans le secteur, l’optimisme n’est pas vraiment de rigueur du côté d'Audrey Sauvegrain : « Les ouvriers viennent pour la plupart de pays divers et variés, avec des cultures parfois très différentes de la nôtre. La place de la femme dans la société y est parfois tout autre. Voilà pourquoi il va être très compliqué de changer les mentalités selon moi ».
Propos recueillis par Jérémy Leduc
Photo de Une : Adobe Stock