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« France moche » : comment réinventer les entrées de ville ?

Publié le 24 avril 2025

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La France brille par ses paysages, mais cache aussi des zones les moins reluisantes. À l'entrée de nombreuses villes, la « France moche » persiste : un héritage d’urbanisme fonctionnel qui interroge aujourd’hui les élus, les urbanistes et les citoyens. Faut-il raser ou réenchanter ces zones ? Tour d’horizon d’un sujet qui mêle passé, consommation, et avenir des territoires.
« France moche » : comment réinventer les entrées de ville ? - Batiweb

Avec 100 millions de visiteurs internationaux en 2024, la France reste la première destination mondiale, juste devant l’Espagne. Les touristes du monde entier sont nombreux à venir chaque année profiter des paysages français. Pourtant, il existe une France que l’on se garderait bien de présenter aux visiteurs étrangers. On parle ici de la « France moche ».

Cette expression trouve son origine dans la publication par Télérama en 2010 d’une enquête sur les effets de l’étalement urbain intitulée « Comment la France est devenue moche ». À travers ce reportage, le magazine voulait « dénoncer le développement tentaculaire, anti-écologique de zones commerciales et pavillonnaires qui sont toutes les mêmes », comme l’ont expliqué les journalistes Vincent Remy et Xavier de Jarcy, à l’origine de ce papier, au quotidien Sud-Ouest.

Des zones sujettes à modifications et plébiscitées par les Français

 

Cette « France moche », on la retrouve principalement à l’entrée et à la périphérie des villes. Ce sont ces grandes zones commerciales où des dizaines d’enseignes pullulent, formant ainsi un paysage composé d’immenses hangars, qualifiés de « boîtes à chaussures ». Les panneaux publicitaires y sont également légion. « Dans le langage commun, j’ai l’impression que l’expression “France moche” s’applique à tout ce qui a trait au périurbain », nous explique Élodie Bitsindou, doctorante en histoire de l’architecture contemporaine.

Bien que peu reluisantes, ces zones restent particulièrement appréciées des Français. En 2023, ces derniers y réalisaient 72 % de leurs dépenses. Malgré tout, de nombreux élus ont en tête de réenchanter et de transformer ces entrées de ville.

Pour Sylvain, chargé de plaidoyer à Paysage de France, une association qui s’est promis de préserver les paysages de l’Hexagone, cette prise de conscience de la part des élus s’explique avant tout par leur volonté d’attirer les touristes. « Pour rendre sa ville attractive, il faut y consacrer du budget. Et forcément, quand les entrées de ville ne sont pas très jolies, ça ne donne pas trop envie de s’y aventurer », estime le chargé de plaidoyer. « Il y aussi les habitants des centres ville qui ont davantage de conscience écologique et un attrait plus important pour l’esthétique », ajoute-t-il.

Élodie Bitsindou justifie davantage cette volonté de transformation par une motivation financière : « Dans ces zones, il y a une forme d’obsolescence et de vacance qui commence à apparaître. La volonté des élus et des communes de redynamiser leur territoire est réelle, mais le vrai moteur est économique. Les propriétaires veulent maintenir la valeur de leur investissement, qui pâtit de la vacance ».

« Le modèle actuel est obsolète car nous avons changé notre façon de consommer, notamment avec l’arrivée du e-commerce. Son émergence contribue au fait que les achats non alimentaires se font de moins en moins dans les zones commerciales. Le ZAN a également accéléré les choses. Tous ces hangars vacants représentent du foncier qui peut potentiellement être exploité pour la construction de logements par exemple », ajoute la doctorante.

Différents leviers à disposition des élus pour réenchanter les lieux

 

Pour enjoliver les entrées de ville, les élus disposent de plusieurs leviers. S’il s’agit de s’atteler au problème des dispositifs publicitaires, qui peuvent parfois dénaturer complètement le paysage, Sylvain et l’association Paysage de France ont plusieurs angles d’attaques.

Le principal, et certainement le plus efficace, est de faire jouer la loi. Beaucoup de panneaux publicitaires ne la respectent pas, parce que trop grands, situés hors des agglomérations ou encore parce qu’ils dépassent l’égout du toit des habitations environnantes.

« Au sein de l’association Paysage de France, notre rôle consiste à alerter les mairies de la présence de panneaux qui ne sont pas conformes à la réglementation. Malheureusement, un récent changement nous a causé beaucoup de problèmes. Avant, la police de publicités se trouvait au sein des préfectures. Elle se trouve désormais au sein des mairies. Le problème étant que les maires, et notamment ceux des petites villes, n’ont pas une bonne maîtrise de ces lois. C’est donc à nous de les aider juridiquement. Et si nous faisons face à des villes qui décident de fermer les yeux sur la présence d’affiches publicitaires illégales, nous pouvons les confronter en justice afin qu’elles agissent et respectent la loi », déclare le chargé de plaidoyer à Paysage de France.

Autre pouvoir qu’ont les maires et qu’ils ignorent pour la plupart : leur possibilité de dire ce qui peut être construit ou ce qui ne peut pas l’être. La voix d’un maire compte pour ce qui est de l’harmonisation de la ville. « C’est un droit qui est peu connu, car très subjectif donc peu utilisé. Mais théoriquement, le maire a le droit de dire qu’il refuse tel type de couleur, de logo etc, pour un panneau publicitaire », explique Sylvain.

Comme alternative à ces panneaux publicitaires, l’association Paysage de France plaide pour l’utilisation de SIL (Signalisation d’Informations Locales). « Celle-ci pourrait venir remplacer les préenseignes, considérées comme des publicités sur le plan juridique. Pour faire simple, il faut privilégier des panneaux plus sobres », résume le chargé de plaidoyer.

Selon Élodie Bitsindou, pour transformer ces zones, le premier levier est réglementaire. « Nous sommes sur des orientations d’aménagement réservées en général à de l’activité économique. Il faut donc dans un premier temps modifier les PLU afin que l’on puisse construire autre chose en lieu et place », avance la doctorante.

Petit retour dans le passé

 

Si ces zones peuvent aujourd’hui paraître obsolètes, elles ont pourtant répondu à une logique d’aménagement bien précise à l’époque. Pour la comprendre, il faut remonter en 1958, année au cours de laquelle la commune de Rueil-Malmaison (92) accueillait le premier modèle de grande surface en libre-service de France.

« Ce premier centre commercial a véritablement bousculé les habitudes de consommation à Rueil-Malmaison. Nous étions alors sur une forme un peu primitive, avec un complexe situé dans un nouveau quartier de la ville, en rez d’immeuble et entouré de tours éparses. On pouvait également y trouver quelques places de parking autour », souligne Élodie Bitsindou.

Après cette date, les centres commerciaux de ce type se sont multipliés. Et la bascule s’est véritablement opérée au moment où les hangars de ces zones commerciales ne se limitaient plus uniquement à de l’alimentaire.

Les terrains agricoles ont reculé au profit des lotissements. « Ces opérations de généralisation étalées naissent notamment du démantèlement de propriétés aristocratiques. Ce sont de riches propriétaires qui ont décidé de vendre une partie de leurs domaines à des promoteurs, qui vont ensuite les exploiter pour la création de logements. Les familles nobles propriétaires terriennes ont beaucoup joué dans le développement de ces zones périphériques », note Mme Bitsindou.

Plus qu’une « France moche », des lieux remplis de souvenirs

 

Ces entrées de ville, cette « France moche », comme nombreux aiment à l’appeler, sont donc remplies d’histoires. Des histoires qui continuent de s’écrire aujourd’hui, comme le rappelle Élodie Bitsindou : « Ces zones, qui n’ont pas été conçues pour être belles, se révèlent être de véritables lieux emplis de souvenirs, de vie quotidienne, d’événements sociaux spontanés… ».

Pour la doctorante, le moche n’existe pas. La beauté est subjective. Élodie Bitsindou n’est pas de l’avis de ceux qui souhaitent raser purement et simplement ces zones qui deviennent peu à peu obsolètes. « De dire qu’il faut tout raser pour repartir d’une page blanche, ça me dérange. Ce n’est pas une page blanche, puisque ce sont des lieux gorgés d’histoires », insiste-t-elle.

Afin de conserver ces zones, la végétalisation apparaît comme la solution idéale aux yeux de la doctorante en histoire de l’architecture contemporaine : « Je pense que c’est la bonne solution, à la fois pour les gens qui souhaitent voir ces zones commerciales disparaître, et pour ceux qui souhaitent voir ces paysages perdurer. La désartificialisation et la végétalisation sont, selon moi, les deux choses dont ces lieux ont besoin pour évoluer dans une perspective durable ».

 

Propos recueillis par Jérémy Leduc

Photo de Une : Adobe Stock

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