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Loi d’urgence Mayotte : les mesures approuvées par les commissions sénatoriales

Publié le 31 janvier 2025

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En vue d'un examen au Sénat début février, la loi d'urgence pour Mayotte a été passée au crible par les commissions de la Chambre haute du Parlement. Le point sur les mesures importantes liées à la reconstruction de l'archipel.
Loi d’urgence Mayotte : les mesures approuvées par les commissions sénatoriales - Batiweb

Plus d’un mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, l’archipel de Mayotte continue de se reconstruire, sous le signe de l'urgence.

« Le bilan que nous a donné le ministre de l'État et le ministre de l'Outre-mer [Manuel Valls] la semaine dernière fait état d'un bilan encore provisoire de 39 morts et de plus de 4 000 blessés. C’est la plus grande crise de sécurité civile de notre pays depuis la Seconde Guerre mondiale », indique Dominique Estrosi-Sassone, présidente de la Commission des Affaires économiques du Sénat, lors d’un point presse sur le projet de loi d'urgence pour Mayotte, le 29 janvier. 

Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 22 janvier dernier, le texte a ensuite a été amendé et approuvé par la Commission des Affaires économiques de la Chambre Haute. Celle-ci a délégué l’examen de certains articles de la proposition de loi à d’autres commissions et rapporteurs.


Mieux représenter les élus mahorais aux commandes de la reconstruction

 

« Cette catastrophe naturelle est venue, si j'ose dire, exacerber ce sentiment d'abandon et de défiance tout à fait légitime de la population », souligne Mme Dominique Estrosi-Sassone. 

Micheline Jacques, sénatrice du territoire de Saint-Barthélémy, acquiesce. Durant les discussions à l’Assemblée, celle qui préside à la délégation sénatoriale aux Outre-mer, regrette aussi « que la population mahoraise, et particulièrement les élus en première ligne, n'avaient pas été associés ». 

« Il m'a semblé inconcevable qu'on puisse décider ici, à 8 000 kilomètres, de mesures d'urgence, sans s’associer et sans s'adapter aux réalités du territoire », soutient la sénatrice. D’où la décision des sénateurs de voter un amendement sur l’article 1er du texte, afin de changer la gouvernance de l’établissement public pilotant la reconstruction de Mayotte.

Le président du Conseil départemental présiderait au conseil d’administration dudit établissement public. Les représentants des cinq communautés de communes et le président de l'association des maires de Mayotte y siègeraient aussi à égalité avec les représentants gouvernementaux.

« Nous avons créé un comité technique spécialisé dans la reconstruction avec des architectes, des ingénieurs, des professionnels du bâtiment, de manière à venir en soutien à ces dispositifs de reconstruction », souligne Mme Jacques. « Parce qu'il ne faut pas confondre non plus vitesse et précipitation. Il faut reconstruire mieux et adapter les outils aux réalités de Mayotte pour jeter les bases d'une reconstruction, qui se poursuivra après dans le projet de loi de programmation de Mayotte », développe la sénatrice.

Prévue dans les prochains mois, cette autre proposition de loi intègrera de mesures à long-terme. Les commissions regrettent toutefois un examen de la loi d’urgence au Sénat seulement début février 2025, pour une promulgation à fin février.
 « En pleine saison des pluies, alors que près de 90 % des Mahorais sont sans toiture, ces délais paraissent bien peu adaptés à la réalité du terrain », lit-on dans leur compte-rendu. 

La fragilité des hébergements face à l’urgence démographique

Ce qui nous amène à un autre point du projet de loi : l’article 3, portant sur les constructions modulaires à des fins d’hébergement d'urgence.

« Depuis l'ouragan Chido, la crise migratoire s'est accentuée. Chaque jour arrivent à Mayotte entre 20 et 70 réfugiés d’Afrique de l’Est, qui demandent l’asile politique. Donc il faut aussi les gérer sur place. Et bien souvent, ce sont les établissements scolaires qui sont mobilisés, ce qui crée aussi beaucoup de tensions », affirme Micheline Jacques. 

Supprimé à l’Assemblée nationale, l’article 3 a été réécrit, afin de garder les constructions modulaires pour « loger de manière temporaire des personnes qui viennent en renfort pour aider à la reconstruction de Mayotte, mais aussi pour déployer des bureaux et des salles de classe, puisque malheureusement des bâtiments ont été très abîmés », rapporte la sénatrice.

L’amendement prévoit toutefois une installation encadrée, avec l’accord du maire. Les prefabriqués devront également être enlevés au bout de deux ans, avec remise en état du terrain qui les accueille. 

Alors que 20 % du bâti mahorais est régulier, la régularisation des permis a été également scrutée par la Chambre haute. « Le Code de l'urbanisme est en place à Mayotte depuis le 1er juin 2013. Avant, il n'y avait pas de documents officiels obligatoires », rappelle Micheline Jacques. Un amendement a été voté afin de régulariser les constructions édifiées avant le 1er juin 2013. Cela ne concerne cependant pas l’habitat informel, mais les constructions en dur. Les reconstructions à l'identique passeront par une déclaration de travaux. 

L’épineuse problématique du foncier…

 

Point de crispations à l’Assemblée, l’article 10 a été supprimé et n’a pas été réintroduit dans la version sénatoriale. Cette mesure veut faciliter les expropriations sur l’archipel, contre indemnisation des propriétaires, afin d’identifier des terrains constructibles. 

« Même si nous partageons l'idée inscrite dans le texte initial du gouvernement, qui est de pouvoir intervenir de façon urgente sur le foncier, on a également entendu les craintes exprimées », explique Isabelle Florennes, vice-présidente à la Commission des lois constitutionnelles. 

« Il y a des propositions qui pourraient être faites et qui l'ont déjà été auprès de nos sénateurs, notamment la reconstruction de bâtiments endommagés sur les fonciers, sur lesquels certains élus attirent l'attention et qui pourraient être intéressants », mentionne-t-elle.

L’élue poursuit : « C'est notamment le cas de la modification que nous avons apportée en commission sur l'article 2 concernant les écoles publiques, où l'Assemblée nationale avait introduit un avis conforme des collectivités ». Initialement, l’article en question autorisait l’intervention temporaire de l’État dans le champ des compétences communales, jusqu’au 31 décembre 2027, afin de massifier et financer la reconstruction des établissements. 

… comme des constructions en tôle

 

Mme Florennes soulève une autre question houleuse du projet de loi urgence : les constructions en tôle. Inspirées par les bangas, maisons traditionnelles mahoraises, ces constructions sont aujourd’hui associées aux bidonvilles de l’archipel

Lors du passage de Chido, les tôles « ont créé de grosses blessures, la mort de nombreux habitants et ont causé aussi des traumatismes profonds pour ceux qui ont assisté à ce genre de spectacle », observe la vice-présidente à la Commission des lois constitutionnelles. Le gouvernement a ainsi consacré des mesures contre les bidonvilles, qui se reconstruisent très vite. 

Or, par arrêté préfectoral, la vente de ces tôles a été restreinte, tandis que le prix de cette ressource flambe. La commission des lois a conservé l’article 4bis, ajoutée lors de l’examen à l’Assemblée nationale, qui conditionne « l’achat de tôles à la détention d’une autorisation d’urbanisme » et « interdit la revente de tôles aux tiers », est-il détaillé dans le document sénatorial. 

Relancer la construction mahoraise 

 

77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté et 38 % sont au chômage. Le projet loi inclut donc des mesures sociales, comme « le renouvellement automatique des droits à prestations sociales, dans l'article 21, et des revenus de remplacement du travail à l’article 20, ainsi que l'aide sociale apportée aux travailleurs indépendants non agricoles, à l'article 19 », énumère Christine Bonfanti-Dossat, de la commission des Affaires sociales.

Le tout accompagné de mesures pour la reprise des entreprises mahoraises, telles quela suspension du recouvrement des cotisations à l'article 18 ou la mise en place d'un dispositif d'activité partielle, renforcée par l'article 22.

Côté entreprises de construction, les artisans mahorais se montreraient favorables à une collaboration avec les majors, d’après la sénatrice Micheline Jacques. 

« Toutefois, on voit à Mayotte, comme par ailleurs je l'avais vécu à Saint-Barthélemy après Irma, une explosion des prix », observe-t-elle. « Donc la demande des petites entreprises, c'est d'encadrer le prix des matériaux - mais cela ne relève pas de la loi, c'est plutôt réglementaire – et aussi les contrats de sous-traitance ».

« Dans les auditions que nous avons eues, le volet formation est très très important », relève également Mme Jacques, réservant cette question à la loi de programmation. « On sait qu'il existe 30 CFA Mayotte. Ils ont besoin d'être fortifiés et on a besoin maintenant de personnels compétents. La moitié de la population mahoraise a moins de 20 ans : il y a un vivier important sur place et les jeunes aspirent aussi à être formés », défend la sénatrice. 

Virginie Kroun


Photo de Une : Dominique Estrosi-Sassone - X @Senat

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