Seconde édition de la biennale « Photographie et Architecture »
Vingt photographes, dix belges et dix français, ont été sélectionnés pour évoquer cette réalité polyphonique de la ville et pour témoigner des « manières » différentes qui permettent d'incarner ces voies multiples.
Notre pratique pédagogique de la ville instruit l'intuition et nourrit l'hypothèse qu'il est vain de chercher une définition totalisante de la ville et de ce qui la constitue, voire qu'il y aurait même danger de le faire. « Corps de Ville » convoque donc à travers l'ambiguïté de ce mariage sémantique les innombrables perceptions qui permettent d'appréhender la ville et d'accéder à sa complexité, tant structurelle que représentative. Se défendant de toute volonté d'exhaustivité, « Corps de Ville » est en quête d'évocations informées et en appelle aux voix (voies) multiples pour que, complémentaires, elles activent tant que faire se peut la réalité polyphonique de la ville. Evoquons quelques pistes.
Par tradition, nous sommes tentés de parler spontanément du corps physique de la ville, de ses typologies, de sa morphologie, de ses strates et de ses évolutions multiples, de ses métamorphoses, de ce qui la structure et l'organise en s'inscrivant « dans la pierre », de parler de son architecture et de son urbanisme, de ses éléments fondateurs. Nous invoquons aussi la ville comme corps vivant, comme espace d'activités et d'échanges multiples traversé par des flux divers: la ville comme énergie. Et, pour assurer à sa lecture une accréditation académique complète, nous invitons les différents corps scientifiques institués, exacts ou non, à en compléter l'inventaire et à en multiplier les colorations : approche sociologique, anthropologique, statistique, économique etc....
Ces évocations corporelles constituent le volet « objectif » qui rassure par ses efforts de clarification tout en inquiétant par les dangers de l'usage des catégories, du statut conféré aux données et de leur instrumentalisation possible. Il n'est pas aisé de synthétiser la ville car il est illusoire de croire qu'en assemblant les fragments de son analyse, il sera possible d'en recomposer la totalité. Cet aveu – qui n'est pas d'impuissance - nous renvoie alors à d'autres formes d'approche par lesquelles le côté fragmentaire s'affirme pour ce qu'il est, libéré de tout recours à une légitimation autoritaire.
Si par exemple la compréhension de la ville passait par une perception physiologique impliquant directement le corps de celui qui l'expérimente ? La ville pourrait alors se lire et s'écrire comme une géographie sensorielle, faisant appel à l'ouïe, à l'odorat, au toucher, au goût pour ouvrir de nouveaux territoires de compréhension. Si la psychologie ou l'intuition proposaient d'autres cartographies pour une géographie mentale de la ville, appelant l'affectif à la rescousse pour proposer des clés personnalisables afin de dessiner la ville ? Un autre Corps de la ville pourrait ainsi être dessiné suivant le puzzle d'une mémoire et/ou toute autre forme de réception sélective.
Si on envisageait la ville sous l'angle de ses pratiques ? Si le quotidien, les habitudes ou au contraire les événements ou les voyages interlopes recomposaient la ville par les axes de la routine ou de la déviance, des itinéraires formatés ou des dérives, des lieux utiles ou inutiles, des gestes répétés à l'infini ou exceptionnels, localisés ou en mouvement ? On convoquerait alors la ville et la multiplicité de ses temporalités, de ses structurations, de ses rythmes, de ses échelles, soit la ville et sa capacité à « faire de la ville », en se mettant à la disposition des divers usages et identités. On pourrait par ailleurs se demander ce que devient, dans ce déploiement des représentations possibles, la définition de ses éléments traditionnels ou de ses qualités reconnues – la place, la rue, le monument, le centre, la convivialité, la proximité, la densité, l'anonymat etc...-
Ou encore : si la ville était le fruit de sa représentation symbolique, avec ses hiérarchies construites ou inconscientes ? Parle-t-on tous de la même ville lorsque l'on parle de Bruxelles selon que nous sommes ministre fédéral, bourgmestre, promoteur, touriste, restaurateur de la petite rue des bouchers ou sans emploi dans un quartier défavorisé? Qu'en est-il de la ville lorsque s'y pose un regard militant, politique, engagé ? Finalement, si la ville, c'était tout simplement les gens, l'humain, l'autre, les co-présences et leurs gestions, collectives ou individuelles, publiques ou privées. L'autre présent ou non par son corps dans l'espace de la ville. Quels en seraient les tableaux, quels en seraient les motifs, quelles en seraient les séquences, que deviendraient ses « catégories » ? Nous sommes convaincus de la réalité polyphonique de la ville. Nous savons également que ces voies multiples pour la comprendre influencent les « manières » de la représenter par la photographie.
Nous ne défendons pas d'école ou de style, ni ne nous accrochons à la notion consacrée de style. Tout au contraire, nous voulons cette biennale de « Photographie et Architecture » caractérisée par l'ouverture et la diversité. « Corps de Ville », cette énigmatique thématique, sera garante de cette ouverture et de cette diversité pour l'édition 2008.