Idées neuves sur les vieilles pierres
Les amoureux des châteaux, manoirs et chaumières explorent désormais une nouvelle voie très « tendance » : la défense du patrimoine fait partie intégrante du développement durable, assurent-ils. Ce fut l'objet du grand colloque international organisé en juin au siège de l'Unesco à Paris par la puissante association des Vieilles Maisons françaises (VMF) qui célébrait ainsi avec éclat son cinquantième anniversaire.
L'association de « patrimoine » avec « durable » est une évidence à la limite du jeu de mots. Quoi de plus durable qu'un bâtiment ancien si on l'entretient ? Mais l'idée est plus large et embrasse bien le développement durable dans tous ses aspects environnementaux, humains et économiques. Le combatif président des VMF, Philippe Toussaint, s'indigne que la culture ait été totalement absente des sujets traités au Grenelle de l'environnement.
Est-ce à dire que les propriétaires de monuments historiques deviennent compagnons de route des Verts ? L'amour de la nature les réunira. Les défenseurs du patrimoine ne s'intéressent plus seulement aux abords des monuments, mais au paysage en général, donc à l'urbanisme. La deuxième des 15 propositions faites par les VMF à l'issue du colloque (1) est de « lutter contre le mitage et le développement urbain anarchique », autrement dit, contre les pavillons à la périphérie des villes et villages. Une récente « déclaration solennelle » de la Réunion des associations de sauvegarde du patrimoine insiste sur les méfaits de « l'étalement urbain » et chante les louanges de la « mixité sociale » dans les centres anciens. Belles empoignades en vue avec les maires. Et problème non résolu de prix du mètre carré en centre-ville.
Le compagnonnage des amoureux de vieilles pierres avec les défenseurs de la nature a cependant ses limites. Une des grandes bêtes noires des VMF et de leurs amis sont les éoliennes, devenues à elles seules le symbole de toutes les nuisances qui peuvent gâcher la vue et la tranquillité de chacun d'entre nous lorsqu'il a fait l'acquisition d'un château ou d'une plus modeste résidence secondaire: pylônes, TGV, autoroute, campings, mobile homes, camping-cars... L'éolienne est le nouvel ennemi du paysage. Les vieilles maisons ne manquent pas d'amis instruits qui alimentent le dossier anti-éoliennes en arguments techniques et économiques (le vent ne souffle que 20 % du temps, c'est une forme d'énergie exagérément subventionnée, etc.) et ont obtenu que le ministère de la Culture « sensibilise » les préfets.
Un autre point de friction avec les défenseurs de l'environnement pourrait prendre de l'ampleur dans le débat sur les textes d'application du Grenelle de l'environnement : les nouvelles normes énergétiques pour les bâtiments doivent-elles êtres applicables au bâti ancien qui a un intérêt patrimonial?
Les architectes des Bâtiments de France imaginent avec effarement les menuiseries double vitrage en PVC, les chauffe-eau solaires et les panneaux photovoltaïques défigurant le bâti qu'ils surveillent. Ils ne manquent pas d'arguments. Ils disent notamment que les études confondent dans une même catégorie les constructions en parpaing des années 1960 avec les murs épais du bâti traditionnel, que le bilan énergétique de ce dernier est nettement moins mauvais, et même que son étude attentive pourrait être riche d'inspiration pour les constructions d'aujourd'hui.
Dans développement durable, il y a « développement » et donc, implicitement ou explicitement, activité économique et emploi. Les défenseurs du patrimoine pensent d'abord à toutes les entreprises et artisans qui concourent à l'entretien et à la restauration du patrimoine (43.000 emplois d'après la Demeure historique, autre association, et le GMH, groupement d'entreprises). Et là, tout va mal. Les finances de l'Etat étant hélas ce que l'on sait, les crédits publics sont taris au point que l'Etat n'assume pas ses dettes (600 millions d'euros) et que les chantiers s'arrêtent. De plus, les velléités de plafonnement global des niches fiscales menacent les dispositifs favorables aux propriétaires de monuments historiques même si la ministre de la Culture a écarté, dit-elle, la menace d'un plafonnement spécifique. Ministre et associations rêvent d'un nouveau prélèvement fiscal sur les jeux... Le manque d'argent est très dommageable pour le patrimoine lui-même. Il suffit de se promener sous les galeries du Palais-Royal à Paris, presque sous les fenêtres de la ministre de la Culture, pour s'en convaincre. Le manque de régularité dans la dépense risque d'atteindre au coeur la « durabilité » de professions dont le savoir-faire se transmet essentiellement par l'apprentissage. Un inventaire des métiers d'art rares est en cours, qui devrait notamment permettre de repérer ceux qui sont menacés de disparition pure et simple.
Cela dit, la contribution la plus évidente du patrimoine à l'activité et à l'emploi est l'attrait qu'il représente pour les touristes. Les Français n'ignorent pas l'intérêt qu'aurait leur pays à rester la première destination touristique du monde. Dans un sondage réalisé pour VMF, ils placent le développement touristique en tête des « fonctions » du patrimoine. Les défenseurs du patrimoine sont un peu moins enthousiastes. Au-delà d'un certain seuil, le déferlement des touristes devient une menace non seulement pour la tranquillité des propriétaires de belles demeures, mais plus globalement pour les sites eux-mêmes. Le directeur du Centre du patrimoine mondial de l'Unesco, Francesco Bandarin, se dit « préoccupé » par les prévisions de doublement du tourisme mondial dans les quinze prochaines années. La France essaie d'anticiper. Trente-deux « sites » comme la pointe du Raz ou la cité de Carcassonne font partie d'un réseau des « grands sites de France », dont la conviction commune est qu'un grand site touristique demande à être géré. En somme, pour que le patrimoine soit durable, il ne faut pas qu'il soit trop ouvert...
JEAN-CLAUDE HAZERA est rédacteur en chef aux « Echos »