RE2020 : face aux premières limites identifiées, aller plus loin avec Cap 2030
Parmi les grandes nouveautés par rapport à la RT2012, la RE2020 introduit de nouveaux sujets et des indicateurs plus exigeants, que ce soit pour l’analyse du cycle de vie (ACV) du bâtiment, la prise en compte du confort d’été, le Bbio et la conception bioclimatique, ou encore le contrôle de la ventilation et de la qualité de l’air intérieur (QAI).
Selon Christophe Rodriguez, directeur de l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB), il s’agit d’une réglementation « innovante au niveau mondial ». « Compter le carbone des matériaux et le réglementer, c’est une innovation a minima européenne, voire mondiale. Je ne saurais pas citer des pays qui sont allés aussi loin que nous en termes d’ambition et de méthode. La RE2020 est une réglementation incroyable et il faut l’avoir en tête », insiste-il.
L’importance du Bbio et de l’architecture bioclimatique
Parmi les indicateurs devenus plus exigeants, Christophe Rodriguez souligne le cas du « Bbio », c’est-à-dire des besoins bioclimatiques.
« Le Bbio c’est quoi ? C’est comment la conception architecturale du bâtiment diminue de façon intrinsèque le besoin d’énergie pour chauffer, éclairer, ventiler, voire rafraîchir ou climatiser le cas échéant », vulgarise-t-il.
Selon lui, la RE2020 redonnerait ses lettres de noblesse à l’architecture bioclimatique, et donc au rôle de l’architecte : « Il faut réfléchir à la quantité de matière, à l’orientation, à la compacité du bâtiment, à l’utilisation des vitrages à bon escient, donc vraiment on a besoin des architectes et de l’architecture ».
« Avant, en RT2012, cela arrivait souvent qu’on voit des Bbio -20, -25, -30, parce que ce n’était pas l’indicateur le plus dur à respecter. Aujourd’hui, c’est difficile de respecter le Bbio. Il faut vraiment se donner du mal », précise-t-il. Et d’ajouter : « Ce qu’on voit, c’est que lorsqu’on respecte le Bbio, en général, tous les autres indicateurs énergétiques passent ».
Ventilation, QAI, confort d’été… les grandes nouveautés
Parmi les autres nouveautés saluées figurent également le contrôle de la ventilation et de la qualité de l’air intérieur (QAI). « Il y a quelque chose qui manquait dans la RT2012, ce sont des notions liées à la ventilation. Il y a eu de grosses avancées dans la RE2020, parce qu’elle introduit des contrôles et mesures sur les systèmes de ventilation. C’est une très bonne chose. Cela nous paraît extrêmement pertinent puisqu’on met des systèmes qui doivent permettre au bâtiment de renouveler son air intérieur, d’évacuer les polluants, d’évacuer le surplus d’humidité etc. », souligne Angélique Sage, responsable technique chez Effinergie.
Alors que l’été 2023 a encore été parmi les plus chauds, la prise en compte du confort d’été dès la conception du bâtiment est également un aspect de plus en plus important pour éviter d’avoir à installer des équipements de climatisation très consommateurs. Dans ce contexte, les trois experts que nous avons interrogés ont estimé que le calcul des degrés/heure, fondé sur un scénario caniculaire de 2003, était « mieux qu’avant ». « Nous sommes plutôt contents qu’on fasse évoluer cet indicateur, qui n’avait pas changé depuis la RT2005 », précise la responsable technique d’Effinergie.
La RE2020 introduit par ailleurs trois « seuils » ou « paliers » : 2025, 2028, et 2031. Ayant chacun des exigences déjà détaillées, ces trois seuils permettent aux professionnels de les anticiper.
Quelques mois avant l’entrée en vigueur de la RE2020 pour les logements, de nombreux professionnels du bâtiment s’inquiétaient de l’impact de cette nouvelle réglementation sur la hausse du coût de la construction. Or, selon le directeur de l’IFPEB, ces craintes seraient désormais éclipsées par le problème plus large d’inflation généralisée au sortir de la crise sanitaire, puis de la crise du logement neuf. « Aujourd’hui, le contexte macro-économique fait qu’il y a d’autres problématiques que la RE2020 », constate-t-il.
Mais qu’en est-il de la RE2020 Tertiaire ? Entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2022 pour les bâtiments de bureaux et d’enseignement primaire et secondaire, il serait encore trop tôt pour avoir des premiers retours d’expérience.
« Concernant le tertiaire, il semblerait que les seuils sont très musclés, et manifestement rien que les seuils énergétiques, et le fameux Bbio, posent de nombreuses questions sur les traitements de façades, les surfaces vitrées, ou encore la gestion des apports solaires», nous indique toutefois le directeur de l’IFPEB.
Cap 2030, « le bac à sable » de la prochaine réglementation
Si la RE2020 introduit de nouvelles exigences, cette réglementation n’aborde pas encore tous les sujets et reste perfectible. C’est en ce sens que le Plan Bâtiment Durable, Effinergie, le CSTB, l’Alliance HQE-GBC, et le collectif « Quartiers Bâtiments Durables » ont lancé, en juillet dernier, la démarche « Cap 2030 », remplaçant le « label RE2020 », et visant à aller au-delà et anticiper « la réglementation d’après », qui devrait remplacer la RE2020 au début des années 2030.
« La RE2020, c’est un gros progrès, mais cela ne règle ni complètement la question du bien-être des occupants dans les logements, ni la question de la parfaite insertion du bâtiment dans le champ environnemental. La RE2020 n’a pas pris en compte qu’un certain nombre de paramètres. Si vous cherchez la biodiversité, elle n’y est pas, l’économie circulaire non plus etc. En d’autres termes, on a retenu quelques paramètres importants, mais on n’a pas fait le tour de la question », estime Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable.
« C’est ce qui nous a poussé à construire la démarche « Cap 2030 ». C’est une démarche de constitution d’un socle commun de référence pour les différentes organisations qui délivrent des labels ou équivalent. Cela va récompenser ceux qui s’intéressent aux autres critères environnementaux d’une bonne insertion du bâtiment dans son espace », précise-t-il.
Concrètement, neuf groupes de travail ont été créés pour inciter les professionnels à échanger et définir un cadre commun de référence et des indicateurs autour de neuf thématiques : la neutralité carbone, la performance énergétique réelle, l’énergie et la coopération avec les réseaux, la qualité de l’environnement intérieur, la gestion durable de l’eau, l’économie circulaire, la biodiversité, l’adaptation au changement climatique, et le low-tech.
« On s’est dit 2030 parce que peut-être que cela nourrira la réglementation d’après, dans les années 2030. On balise le terrain en vue d’une prochaine réglementation. C’est comme cela que toutes les réglementations sont construites. C’est une sorte de jeu alternatif entre des labels qui font progresser certains, puis une réglementation qui les intègre. L’exemple le plus clair c’est le label BBC, qui après la RT2005 a en quelque sorte annoncé la RT2012 », rappelle Philippe Pelletier.
« Cap 2030 va être un peu un bac à sable pour préfigurer la prochaine réglementation de 2031», résume de son côté Christophe Rodriguez.
Une RE2020 encore peu disruptive concernant la mixité des matériaux
Malgré les avancées de la RE2020, il n’y aurait pas encore eu de « rupture incroyable » concernant la mixité des matériaux, selon le directeur de l’IFPEB. D’après lui, il faudra probablement attendre 2031 pour voir des projets un peu plus « radicaux », tout en matériaux biosourcés par exemple.
« On a des bâtiments en béton classique (non bas carbone) qui sortent de terre et qui passent le seuil 2022. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Il est urgent de décarboner, donc on est impatients que les seuils deviennent un peu plus ambitieux, et qu’on commence à voir des solutions bas carbone et de la mixité de matériaux », estime-t-il, tout en reconnaissant le rôle intéressant du béton pour « la tenue structurelle » et « un certain nombre d’aspects », surtout quand il est bas carbone.
La « rupture » identifiée avec la RE2020 concerne en revanche davantage le volet énergétique, avec la fin du « 100 % gaz fossile » : « La seule rupture que l’on voit, c’est plutôt sur les vecteurs énergétiques, c’est-à-dire qu’on voit le 100 % gaz fossile qui disparaît. On a très peu de projets qui sortent de terre avec du gaz fossile (…) Les gens ont compris le virage, donc ils vont vers d’autres solutions alternatives, des énergies renouvelables, de la pompe à chaleur, de l'hybridation », note Christophe Rodriguez.
Pour la responsable technique d’Effinergie, le bât blesse en revanche concernant le verdissement des réseaux de chaleur : « La RE2020 donne la possibilité aux réseaux de chaleur d’afficher qu’ils vont se verdir dans un horizon de 5 ans. Mais j’ai l’impression, qu’aux dernières nouvelles, avant l’été, aucun réseau de chaleur n’avait fait de demande pour valoriser un verdissement à venir. En fait, je me questionne sur la connaissance des concessionnaires de réseaux de chaleur sur cette possibilité de verdissement, qui aiderait finalement la comptabilisation du réseau de chaleur dans les calculs. C’est un point un peu technique, mais le réseau de chaleur peut être valorisé. Il y a de nombreux secteurs géographiques qui pourraient être concernés », souligne Angélique Sage.
Confort d’été : anticiper le scénario +4 degrés
Autre limite identifiée : si la prise en compte du confort d’été représente une avancée, le fait que la réglementation s’appuie sur le passé plutôt que sur le futur - et notamment le scénario +4°C du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - risque de la rendre rapidement obsolète.
« La RE2020 ne s’inscrit pas dans une trajectoire 4 degrés, mais essaie d’avoir des bâtiments résilients. Donc c’est dommage de regarder dans le rétro plutôt que de s’adapter au futur (…) On construit aujourd’hui des bâtiments qui sont parés sur les retours d’expérience du passé, mais pas prêts à affronter le futur qui semble se dessiner », estime Christophe Rodriguez.
L’indicateur du confort d’été ne serait par ailleurs pas suffisamment bien dimensionné pour s’adapter aux différents territoires.
« Avec les simulations, nous nous rendons compte que pour une bonne partie du territoire, cet indicateur n’était pas très bien dimensionné, c’est-à-dire qu’il restait énormément de marge. Le problème c’est que, si on se place au seuil réglementaire, on est quasi sûrs que dans quelques années on va devoir installer des systèmes consommateurs d'énergie pour réussir à avoir des températures acceptables dans les logements en question », regrette de son côté Angélique Sage.
Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock