Le centre historique de Moscou menacé par les bulldozers
d'échafaudages, nouveaux gratte-ciels à l'architecture étrange. Mais bon
nombre d'experts en art et de Moscovites amoureux de leur ville dénoncent ce chambardement qui menace selon eux de détruire le charme patiné de la capitale.
"C'est une tragédie nationale. La mairie est en train de détruire le patrimoine culturel. C'est ainsi qu'en URSS on démolissait les monuments de la Russie tsariste", s'exclame Alexeï Klimenko, restaurateur et expert en art engagé dans la défense du patrimoine architectural.
Depuis la chute de l'Union soviétique, le centre historique de Moscou n'arrête pas de changer. Et très souvent, la politique de "reconstruction" du patrimoine revient à raser les bâtiments anciens et à édifier des copies en béton, plus adaptées à un usage commercial.
Ces "moulages" sont souvent beaucoup plus grands que les originaux et décorés de nouveaux éléments qui introduisent un style hétéroclite.
Tel le Gostinny Dvor, bâtiment datant du début du XIXe siècle à deux pas du Kremlin, remis à neuf en 2000 et devenu centre d'affaires et halle commerciale, agrandi par des mansardes géantes.
"Ces mansardes dont la hauteur dépasse celle des colonnes de l'architecte italien Giacomo Quarenghi ont visuellement écrasé l'édifice. C'est une profanation du style classique", s'exclame M. Klimenko, membre d'un conseil consultatif auprès de l'architecte-en-chef de la ville de Moscou, Alexandre Kouzmine.
"Les fonctionnaires de la mairie ne connaissent rien en art. Le kitsch et le mauvais goût fleurissent partout", regrette l'expert. Un exemple flagrant, la place du Manège aux portes du Kremlin décorée par Zourab Tsereteli, sculpteur controversé proche du maire de Moscou Iouri Loujkov.
Tsereteli est aussi l'auteur d'une gigantesque statue de Pierre le Grand de 94 mètres de haut érigée sur un quai de la Moskova, en plein centre, qui se dresse étrangement au milieu de petites maisons d'un ou deux étages.
La corruption contribue à la destruction du patrimoine architectural, souligne M. Klimenko.
Dans une petite salle du département municipal de la protection des monuments historiques, un investisseur tente de convaincre le conseil des experts que son projet --un grand bâtiment de plusieurs étages-- ne gâchera pas la vue d'une petite église du XIXe siècle.
Les pots-de-vin sont monnaie courante dans ce service chargé de donner son feu vert à toute construction dans les zones historiques de la ville, relève un expert, sous couvert de l'anonymat.
A Moscou, il y a plusieurs zones dites protégées où toute construction est interdite. Après une discussion paresseuse, les experts décident que le temps est venu de "corriger", sous-entendu réduire, les zones protégées qui empêchent la construction de nouveaux bâtiments.
"On vend le centre historique comme on vend du pétrole et du gaz", estime un autre expert, le directeur de l'Institut d'études des arts, Alexeï Kometch. Il dit craindre de voir un jour des gratte-ciels près du Kremlin.
L'hôtel Moskva, fleuron de l'architecture stalinienne, inauguré en 1935 près de la Place Rouge, a été démoli il y a quelques jours pour renaître modernisé, se transformant en un établissement cinq étoiles avec centre de commerce et de loisirs.
La destruction de ce bâtiment monumental, aux intérieurs richement décorés, "est un crime", estiment les experts en art qui avaient demandé à plusieurs reprises d'inscrire Moskva sur la liste du patrimoine historique pour empêcher sa démolition. La mairie a fait la sourde oreille.