Chine: Du village de pêcheurs à ville-usine, Shenzhen, "bébé de Deng
Shenzhen et ses gratte-ciel qui regardent fièrement Hong Kong incarne
l'héritage de Deng Xiaoping et de ses réformes à l'origine d'un formidable
boom économique.
Le spectacle l'avait ravi: les rizières, étangs et villages qui s'étendaient à la frontière de Hong Kong avaient cèdé la place à des routes et aux premières tours.
Deng, dont on célèbre le centenaire dimanche, en profitait pour relancer une machine économique grippée depuis les massacres de Tiananmen en 1989. Shenzhen devenait le modèle définitif.
"Si vous voulez faire des affaires à Guangzhou (Canton) et même Shanghai, vous devez être bien avec les responsables locaux. A Shenzhen, pourvu que vous ayiez une bonne idée, un bon produit, vous pouvez réussir", dit Zhang Zhi, 30 ans et patron de ZTV Electronics, une société qui fabrique des équipements de transmission sophistiqués.
Shenzhen est devenue une sorte de second Hong Kong, avec une population de 4 millions d'habitants, contre moins de 30.000 en 1979, sur fond de panneaux publicitaires McDonald's, Nokia, Sharp ou Samsung.
La ville qui se vante aussi d'avoir le premier PIB de Chine par habitant, à 6.510 dollars, a pris au sérieux le conseil de Deng: ceux qui se comportent "comme des femmes aux pieds bandés" sont condamnés à l'échec.
La leçon a été retenue dans la première zone économique spéciale de Chine, alliant investissements étrangers, main d'oeuvre bon marché et priorité à l'économie moderne, de la technologie avancée aux finances en passant par la logistique. Le voisinage de Hong Kong et son ouverture sur l'international a aussi facilité les choses.
Résultat, le secteur high-tech représente aujourd'hui près de la moitié de la production industrielle de la ville en valeur à quelque 30 milliards de dollars.
M. Zhang raconte avoir tenté de lancer sa société en 1993 dans le Guangxi, région voisine du Guangdong, sans succès. Venu à Shenzhen en 1999, il a profité de la libéralisation. Il emploie aujourd'hui 400 personnes, prévoit de tripler son bénéfice l'an prochain et une entrée à la bourse de Hong Kong.
C'est aussi l'esprit d'entreprise qui a attiré Liu Chao, ancien cadre bien payé d'une société d'ingéniérie de Singapour.
"A Singapour, mon avenir était plus prévisible", dit-il.
Mais il a décidé de se lancer et monter Shenzhen Fitok, une société de valves et tubes pour centrales électriques et raffineries de pétrole.
"Les possibilités sont immenses ici. Nulle part ailleurs vous ne pouvez faire autant d'argent en si peu de temps", ajoute-t-il.
Un des avantages de la ville est qu'elle est une terre d'immigration. Des millions de gens venus de toute la Chine y ont été attirés par son succès et, bien que la langue de la région soit le cantonais, on n'y entend parler que le mandarin.
"Les gens qui viennent à Shenzhen ont une attitude positive, veulent gagner de l'argent et sont prêts à faire des heures supplémentaires", dit M. Liu qui critique la relative passivité du reste du pays.
"La ville est pleine d'énergie", lance-t-il.
Mais les réformes ont aussi un coût social.
A 32 ans, Ye Man, venue de sa province du Shandong (est) il y a douze ans, explique qu'elle est aujourd'hui considérée comme trop agée pour de nombreux emplois.
Yen Wanhai, du Heilongjiang (nord-est), a laissé sa famille pour conduire un taxi à Shenzhen. "Je suis soumis à trop de stress ici. J'arrive à peine à payer mon loyer. Ma famille me manque. Je pense rentrer et profiter du soutien de l'Etat", dit-il.