Droits de douane : la construction métallique sereine, mais prudente…

En tant que représentant des constructeurs métalliques, comment se porte le SCMF face aux tensions sur les droits de douane américains ?
Hervé Gastaud : Au niveau du syndicat, nous sommes globalement sereins à ce stade. Il n’y a pas d'effet direct et massif sur l'approvisionnement de nos entreprises en acier. Nos stocks sont plutôt stables et nous disposons d’une chaîne diversifiée d'approvisionnement, dont évidemment en France et dans d'autres pays européens, etc. Nous sommes peut-être vigilants par rapport à l'acier chinois…
Vous voulez dire une potentielle riposte économique de la Chine dans ces tensions ?
Hervé Gastaud : Elle souhaite effectivement pénétrer le marché européen, mais le fait difficilement. La Chine dispose d’usines très développées, qui vont produire en masse, ce qui leur permet de casser les prix.
Le problème, c’est que l’Union européenne impose la production d’acier décarboné. Et je ne suis pas sûre que ce soit le cas en Chine et nous craignons qu’elle ne joue pas le jeu et que le marché soit inondé. Surtout pour les distributeurs, car nous, constructeurs métalliques, n'achètons pas directement auprès d’ArcelorMittal, mais auprès de Maison Neuve ou d'autres distributeurs, qui s’alarment de la situation.
Sur quels autres aspects les constructeurs métalliques s’inquiètent ?
Hervé Gastaud : Il est vrai qu’en fonction des décisions de Trump, sur les droits de douane, il faut regarder égalementles risques de retard de chantier. Pour l'instant il n'y en a pas. Il est pour l’heure trop tôt pour nous de voir s'il peut y avoir un effet inflationniste. On observe la troisième augmentation du prix de l'acier, mais ce sont des augmentations minorées qu'on arrive quand même à encaisser.
Nous avons un peu échangé avec nos adhérents en région Ouest. Certains m’ont dit qu'il fallait activer des leviers d'anticipation, et réaliser davantage des veilles de marché. Données dont nous disposons déjà via la FFB, la FNTP voire l’AIMCC. Nous devons également renforcer nos dialogues avec nos donneurs d'ordre, à la fois de la sphère privée ou de la sphère publique, pour introduire davantage de souplesse sur les retards d'approvisionnement et les soucis liés au prix.
Après, l’acier aux Etats-Unis n'est pas une grande industrie, nous avons quand même un temps d'avance au niveau de l'Europe. Ce qui est sûr, c'est que son positionnement va peut-être obliger davantage l'Europe à créer une véritable filière sidérurgique commune, à la fois avec ArcelorMittal, d'autres sidérurgistes qui sont dans le nord, comme dans le sud de l'Europe. Rappelons que l'Europe s'est quand même créée sur l'acier et le charbon. Ce que nous dit le commissaire à l'Industrie, Stéphane Séjourné, va pour nous dans le bon sens, pour qu'on puisse à la fois contrecarrer les États-Unis et contrecarrer la Chine.
Un risque concernant la demande en construction métallique ?
Hervé Gastaud : Les chiffres sont plutôt bons, car on n’est pas dans l'écosystème du logement, mais plutôt sur toute la partie ouvrages d'art, bâtiments publics, industriels ou agricoles, etc.
Côté commande publique - 30% de notre activité - nous sommes à un an avant les municipales. Donc de fait, aux mois de mai-juin, la demande va se stopper, on le sait.
Quelles mesures du plan acier présenté par Stéphane Séjourné ont attiré l’attention des constructeurs métalliques ?
Hervé Gastaud : Il y a essentiellement des intentions. À l’échelle du SCMF, on essaie de prendre des rendez-vous politiques pour nous positionner. Lors de notre congrès organisé en juin à Strasbourg, il est prévu qu'on puisse échanger avec M. Séjourné et la députée européenne, Marie-Pierre Vedrenne, également à la commission industrie, via notre association européenne.
L’idée, c'est d'affirmer le souhait de mettre en place une politique sidérurgique de l'acier en Europe qui n'existe pas, et avoir une synergie davantage avec d'autres pays, etc.
Un autre mesure consisterait à poursuivre dans la voie de l'acier décarboné. Il ne faut pas laisser tomber, car des adhérents me confiaient qu’il représentait entre 15 et 20 % de leur stock. Le souci, c'est qu'à l’achat, c’est un peu plus cher que de l'acier classique.
Certes, on nous demande de proposer matériaux décarbonés. Sauf que quand nous le proposons dans la commande publique et que nous répondons aux appels d'offres, les donneurs d’ordre sont freinés par le coût et nous demandent de rogner sur nos marges. Mais à la décharge des élus, il est vrai que les dotations d'investissement baissent dans les collectivités locales. Donc c’est très compliqué.
Il faudra aussi, à la fois avec ArcelorMittal - qui avait beaucoup investi dans l’acier décarboné - ou peut-être d'autres sidérurgistes européens, travailler sur des aides, un peu pour qu'ils montent en compétences et ainsi diversifier l'approvisionnement. Car ArcelorMittal représente 79 % du marché français.
D’ailleurs, le contexte macroéconomique n’incitera-t-il pas ArcelorMittal à revoir ses délocalisations d’usines françaises, voire européennes ?
Hervé Gastaud : ArcelorMittal est un membre associé adhérent correspondant de notre syndicat, donc on a des échanges fréquents avec eux. Je pense qu'ils n'ont pas du tout intérêt à ce que la Chine essaie de conquérir le territoire européen. Et concernant les déclarations de Stéphane Séjourné pour créer une sidérurgie européenne, ArcelorMittal répond présent pour échanger. Donc oui, je pense que ça va rebattre les cartes.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock