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Projets urbains : les petites communes à la conquête des friches

Publié le 24 avril 2025

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Pour développer les projets urbanistiques, les pouvoirs publics soutiennent la reconversion de friches. Mais quel accompagnement proposer aux petites collectivités ne disposant pas de moyens suffisants ? Décryptage.
Projets urbains : les petites communes à la conquête des friches - Batiweb

Avec près de 12 000 sites répertoriés par Cartofriches en France, les friches représentent un gisement de projets urbanistiques. Mais quels points communs peut-on trouver entre différents chantiers de reconversion ?

« Cela dépend beaucoup du type de friche, sa localisation et évidemment des besoins du territoire. Si on est sur une friche industrielle ou en dehors de la ville, ce ne sont pas les mêmes enjeux », nous répond Anouk Jeanneau, urbaniste et chargée de déploiement d’UrbanVitaliz au sein du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Véronique Soutif, chargée de mission à l’Établissement public foncier de Grand-Est (EPFGE), acquiesce : « Chaque opération est unique en son genre parce que la configuration du terrain ne sera pas la même d'un site à l'autre, la situation foncière aussi ». 

Des friches industrielles aux centre-bourgs délaissés

 

Fondé en 1973, l’EPFGE est intervenu sur 222 friches entre 2020 et 2024, historiquement entre la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, puis les Vosges et la Meuse, et depuis 2020 dans les Ardennes, l'Aube, la Marne et la Haute-Marne. 

Son nouveau scope foncier lui permet de couvrir des chantiers comme la friche Deville, ancien fabricant d’appareils de chauffage, dans le quartier de la gare à Charleville-Mézières (Ardennes). Ce site de 3 hectares été acquis par l’EPFGE, sollicité par le groupe Hermès via Ardenne Métropole. Dès mai 2024, des travaux de curage, de désamiantage, de dépollution et d’étanchéité des toitures ont été menés sur le site, sous la maîtrise d’ouvrage de l’EPFGE.

« Il s’agit de bâtiments historiques, compris dans le plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune. Tous les bâtiments ateliers ont été déconstruits car ils n’étaient plus fonctionnels », complète Véronique Soutif. La partie ouest touchée a été libérée et cédée à Hermès en mars dernier, avec 300 emplois à la clé. Le futur du foncier restant fait encore l’objet de réflexions avec Ardenne Métropole.

Toujours parmi les friches industrielles, l’EPFGE s’est penché sur le recyclage foncier de l’ancienne filature de Nomexy (Vosges) en écoquartier. « Le défi, c'était notamment de réemployer des matériaux qu'on peut trouver sur un chantier : briques, pavés, tuiles, moellons, etc. », indique Mme Soutif.

Friche hospitalière de Sainte-Blandine à Metz (Moselle) - Crédit photo : EPFGE
Friche hospitalière de Sainte-Blandine à Metz (Moselle) - Crédit photo : EPFGE

Des défis qui peuvent être rencontrés sur d’autres types de friches, comme l’ancien hôpital Sainte-Blandine à Metz (Moselle). Dans le cadre d’un partenariat avec Batigère, les bâtiments ont fait l’objet d’opérations de curage, désamiantage et déplombage, à partir de mars 2024 sous la maîtrise d’ouvrage de l’EPFGE. L'objectif : accueillir une centaine de logements sociaux.

Certaines friches se situent également en centre-bourg de petites communes. C’est le cas sur les trois intercommunalités (Haute-Somme, Terre-de-Picardie et Est-de-Somme) que couvre le pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) Cœur des Hauts-de-France.

Sur ses 2 576 espaces mutables recensés, 493 friches habitats ont été dénombrées. « Il peut s’agir d’anciennes demeure en cœur de village ou de maisons individuelles au milieu de pâture », nous décrit Amandine Bouriaud, chargée de mission Reconquête des friches au sein du PETR. Ledit pôle compte 4 % de friches équipements (ancienne gendarmerie, etc.), 5 % de friches industrielles, 8 % de friches agricoles et 13 % de friches commerciales dans les centres-bourgs. Par exemple, à Esmery-Hallon (Somme), un ancien café abandonné depuis plus de 30 ans a été récupéré par la commune et deviendra un tiers-lieu social, après concertation avec les habitants. 

Café abandonné à Esmery-Hallon - Crédit photo : PETR Coeur des Hauts-de-France
Café abandonné à Esmery-Hallon - Crédit photo : PETR Coeur des Hauts-de-France

Mentionnons également la réhabilitation d’un ancien corps de ferme, à Bouchoir (Somme), en bordure de départementale. Le projet « viendrait impulser une nouvelle dynamique pour le village, avec la création de quelques logements adaptés, de petites cellules commerciales, d’une maison d’assistantes maternelles et d’espaces publics qualitatifs », décrit Mme Bouriaud.  

Mais quand le bâti est dégradé et dangereux, des démolitions d’urgence s’imposent, comme rue Bagard, à Contrexéville (Vosges). « Deux gros immeubles d'habitation étaient en ruines, avec des trous dans la toiture. Il a fallu engager une procédure d'expropriation. L’arrêté de déclaration d'utilité publique a été pris en novembre 2024 », nous relate Mme Soutif de l’EPFGE.

« Il y a une volonté de redynamiser soit avec des équipements publics qui s'adressent à la population, soit avec des commerces pour faire venir du monde en centre-bourg », constate Anouk Jeanneau du Cerema. « Nous voyons aussi de plus en plus de projets de renaturation. Ce n’est pas encore la grande majorité mais il y en a plus qu'avant », abonde l’urbaniste. En témoigne l’ancienne papeterie de Rambervillers (Vosges), où les travaux de renaturation permettront de lutter contre les risques d’inondations.

Un besoin d’ingénierie territoriale pour les petites communes 

 

Ce n’est pas tout d’avoir des idées de reconversion de friches, encore faut-il avoir les moyens pour les mener à bien, en particulier dans les petites collectivités. Telle est la raison d’être d’UrbanVitaliz, service d’ingénierie territoriale, développé par le Cerema avec le soutien de la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature du Ministère de la transition écologique (DGALN). Son équipe associée traite entre 150 et 200 friches par an et opère essentiellement en zone détendue. 

« Cela nous arrive d’être sollicités par des plus grandes villes, qui le font plus par curiosité ou ou sur un point bloquant », nous confie Anouk Jeanneau. 

« On ne remplace pas pour autant un bureau d'études, qui fait une étude poussée. Il va y avoir un échange téléphonique ou en visio avec la collectivité qui nous sollicite. Un outil numérique appuie le conseil et va leur permettre de regrouper les informations sur leur friche, de recevoir des conseils, de donner des nouvelles du projet et d'avoir aussi un tour de table virtuel. Les services de l'État peuvent intervenir aussi sur les dossiers », développe la chargée de déploiement d’UrbanVitaliz.

S’il couvre typiquement les friches industrielles du Grand-Est et des Hauts-de-France en métropole, le service se penche aussi sur un projet de parc urbain à La Réunion, ou de tiers-lieu à Mayotte

Ancienne laiterie Yoplait à Mayet (Sarthe), inutilisée depuis 2014 et amianté. UrbanVitaliz accompagne notamment la commune dans une procédure d'abandon manifeste - Crédit photo : Claude Peslerbe.
Ancienne laiterie Yoplait à Mayet (Sarthe), inutilisée depuis 2014 et amianté. UrbanVitaliz accompagne notamment la commune dans une procédure d'abandon manifeste - Crédit photo : Claude Peslerbe.

« Un tiers des collectivités nous sollicitent par rapport au financement. Rappelons que ce sont des opérations qui sont très difficiles à équilibrer », nous confie Mme Jeanneau. Surtout celles de clos-couvert et même celles prises en charge en partie par le Fonds friche, via le Fonds vert. Financements vers lesquels oriente également l’EPFGE, en plus de ceux de l’Ademe, du Feder ou de l’ANRU pour les copropriétés dégradées. 

Au sein de l’établissement de Grand-Est, l’équipe d’ingénierie territoriale inclut « des techniciens, des négociateurs fonciers, experts pour faire l'acquisition des sites », accompagnés d’une équipe chargée d'études et d'opérations.

Car la maîtrise foncière est un sujet épineux, y compris au sein du Cerema. « On peut souvent rencontrer des problématiques de propriétaires introuvables ou injoignables, ou avec de la rétention foncière de la part des propriétaires », mentionne Anouck Jeanneau. Diverses procédures juridiques existent en ce sens : abandon manifeste, bien sans maître – afin de raccourcir le délai avant de pouvoir exproprier -, voire de l’anticipation dans les plans locaux d’urbanisme (PLU).

Le service UrbanVitaliz suit majoritairement des dossiers de reconversion de friches en logements, voire en programmes mixtes avec une part de logements. « À la fois parce que c'est un besoin des territoires, d'avoir plus de logements sociaux, mais aussi parce que ça permet d'avoir un retour sur investissement finalement par rapport à un équipement public, par exemple », détaille sa chargée de déploiement. 

Ce qui nous amène à un autre défi d’une reconversion de friche : son coût. Le PETR Cœur des Hauts-de-France en sait quelque chose. « Il n’y a pas beaucoup de communes qui dépassent les 1 000 habitants. Ce format de pôle d'équilibre permet d'adresser une ingénierie qualifiée à des petites communes qui n'ont pas les moyens financiers d’en avoir une », rappelle Amandine Bouriaud. 

« La problématique qu'on trouve en milieu rural, c’est que parmi les promoteurs ou les opérateurs avec lesquels on pourrait éventuellement travailler, il y a une logique de rentabilité qui ne va parfois pas pouvoir s'adapter aux milieux ruraux et leurs besoins. Donc pour moins de 50 logements, certains n’interviennent pas », déplore la chargée de mission Reconquête des Friches au sein du PETR.

D’ailleurs, que dire du coût de la démolition dans ce type du projet ? « Il peut être répercuté au juste prix », nous répond Mme Bouriaud. « Par exemple, si la démolition vous a coûté 20 000 euros, vous pouvez inclure ce coût de démolition dans le prix de vente de la parcelle pour une construction à un tiers. Donc ce n’est pas toujours plus onéreux qu'une construction en direct ».

Le ZAN, moteur de reconversion des friches 

 

Une chose est sûre, l’obligation zéro artificialisation nette (ZAN) des sols a impulsé la reconversion des friches. Pour de nombreuses communes du PETR Cœur des Hauts de France, au départ, « cela a été vécu comme une contrainte, parce que la décision de faire évoluer son village ou sa ville était importante pour les élus », nous confie sa chargée de mission Reconquête des Friches

« Mais aujourd'hui, plus tant que ça, à force d'en avoir autant parlé - même si d'autres exceptions vont certainement s’ajouter au dispositif - la mécanique de pensée a évolué et finalement cela n'empêche pas de faire des projets. C'est juste qu'il faut les penser autrement », observe Mme Bouriaud. 

Même avis au Cerema. « Même si malheureusement, il y a un peu de retour en arrière d’un point de vue législatif, cela a été une discussion politique dans les communes, qui se sont beaucoup appropriées le sujet », affirme Anouk Jeanneau.

 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Friche industrielle Deville à Charleville-Mézières (Ardennes) - EPFGE

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