Restauration d’un grand ouvrage : Le pont Alexandre III
Le Pont en 1900 :
La première pierre du Pont Alexandre III fut posée par le tsar Nicolas 2, le 7 octobre 1896 et sa construction dura deux ans. Long de 110 mètres et large de 40, il présente une flèche de 6,30 mètres. Et, innovation majeure à lépoque, un surbaissement de 1/17, assuré par une double flexibilité mécanique en chacune de ses deux extrémités.
Structure en acier moulé : La structure porteuse du Pont Alexandre III est composée de 15 arcs, formés chacun de 16 voussoirs en acier moulé, assemblés par boulonnerie. La super structure, en acier laminé, est constituée de poteaux reliés par des poutres treillis supportant le tablier. Enfin, les voussoirs et les super structures des arcs amont et aval sont habillés par des éléments en fonte décorée.
- Les voussoirs : La fabrication des voussoirs fut répartie
entre six entreprises, chacune possédant alors sa propre technique
de moulage. Cinq se partagèrent la construction des arcs, après
contrôle et vérification de lassemblage en usine. Au
moment de la pose, un pont roulant et une passerelle provisoire furent mis
en place, afin de ne pas risquer dinterrompre lintense navigation
quil y avait à lépoque sur la Seine.
- Caractéristiques des aciers : Les aciers utilisés pour lédification de louvrage devaient présenter des caractéristiques spécifiques, tant pour les structures que pour les infra structures et les pièces dassemblage. Deux points particuliers concernaient notamment le cahier des charges des voussoirs : Leurs caractéristiques mécaniques, que lon devait pouvoir contrôler sur des barrette témoins, coulées avec les voussoirs ainsi que létat de surface des faces en contact, qui devait permettre un assemblage aussi précis que possible
- Habillages et décorations : Lhabillage des super structures en acier des deux arcs amont et aval est constitué denviron 1400 pièces en fonte décorée, pesant chacune entre 500 et 800 kilogrammes. Quant au tablier du pont, sa décoration a été confiée à des sculpteurs réputés et sa réalisation, à des artisans, créateurs duvres en laiton, en bronze et aussi en cuivre repoussé doré à la feuille.
Le pont en 1998
Avant restauration, les parties ornementales de louvrage ont fait lobjet dune importante étude préalable placée sous la direction de lArchitecte en Chef des Monuments Historiques et conjointement menée par la Ville de Paris et le Laboratoire de Recherches des Monuments Historiques.
Cette étude avait deux objectifs : Recenser les matériaux métalliques et estimer leur état de santé puis définir et mettre en place un protocole de traitements de surface de restauration .
- Désordres de corrosion : Dimportants désordres
de corrosion ont été constatés, dont les causes sont
le plus souvent imputables :
- à un couplage galvanique entre les décors en cuivre et lacier des super structures
- à une aération différentielle au voisinage des joints de dilatation
- à une combinaison entre couplage galvanique et aération différentielle, principalement observées dans les zones de contact entre les voussoirs et la fonte
Etude technique préalable
Létude technique préalable a été réalisée dans un atelier spécialisé, après démontage des pièces dune même travée. Elle a permis de procéder à des tests de décapage, afin déliminer les fonds anciens et les sous-produits de corrosion.
Compte tenu des contraintes dapplication, tant techniques quenvironnementales, les solutions envisagées excluaient demblé les décapages chimiques au seul profit des procédés mécaniques ou physiques.
- Tests de décapages : Les essais de décapage ont été
pratiqués en atelier, après démontage des pièces
dune même travée. Cinq techniques de décapage ont
été testées sur lensemble des matériaux
métalliques recensés :
- décapage au jet deau sous très haute pression décapage par projection de billes de glace décapage par projection dabrasif sec ou humide enfin, décapage sous faisceau laser
- La solution adoptée fut le décapage par projection à
sec dabrasif minéral.
- Abrasif minéral : Labrasif utilisé est le « Rugos2000 », un composé minéral à base de silicate daluminium, élaboré par fusion avant concassage et broyage en fines particules calibrées, réparties en 3 grandes familles. Ces particules sont tranchantes. Elles sont dépourvues de métaux lourds et leur dureté est comprise entre 6 et 7 dans léchelle comparative de Moh. Leur aspect rappelle celui du verre et leur couleur varie du topaze au brun.
Protection anti-corrosion
Un des enjeux de cette étude était de préconiser un système
de peinture anticorrosion, choisi en fonction de quatre critères : sa
durabilité, homologuée ACQPA (*) son esthétique sa parfaite
compatibilité tant avec la dorure quavec les résines de
restauration enfin, contrainte essentielle pour le projet : son adaptation aux
conditions de séchage et aux capacités de traitement et de stockage
de latelier
(*Association pour la Certification et la Qualification en Peinture Anticorrosion)
Les travaux de restauration
La seconde phase de restauration sest déroulée en trois étapes :
- Démontage des ornements en fonte décorant les voussoirs et les super structures des arcs amont et aval du Pont
- Ensuite, purge, ou bien restauration et traitements de surface des pièces dassemblage de la structure et de la super structure des arcs
- Enfin, remontage, retouches et finitions sur site des ornements restaurés en atelier
Les travaux de restauration des arcs amont et aval ont été exécutés par une grande société de Constructions métalliques, associée à une entreprise déchafaudage ainsi quà une petite entreprise spécialisée. La première phase de ces travaux consista à concevoir et à mettre en place un échafaudage ayant nécessité lemploi de 20 tonnes de profilés en acier, sans compter le bardage ni la couverture en tôles dacier pré-laqué.
La seconde phase de restauration
Méthodologie : Chaque pièce dornement fut repérée, identifiée, puis transportée en atelier pour traitement et réparation éventuelle. La gamme des traitements appliqués comportait quatre séquences : 2 séquences de décapage, complétées par une finition manuelle un dépoussiérage puis lapplication dune peinture daccrochage faisant office de protection temporaire
- Réparation : La protection complète de la partie visible des ornements en fonte a été achevée sur site, après remontage des pièces. La reprise des dégradations et des blessures éventuellement causées lors de cette opération a donné lieu à lapplication dune première couche anticorrosion, à base dune formule époxy. Après séchage, la protection a été renforcée par application dune seconde couche époxy, sur laquelle a été appliquée une couche de finition à base dune formule polyuréthane
- Parties internes
- Les parties internes des pièces, inaccessibles après remontage mais aussi moins exposées aux intempéries, recevaient alors en atelier le système complet de protection anticorrosion. Ce système, agréé ACQPA, est composé dun primaire daccrochage à base dépoxy et de deux couches anticorrosion.
- La première couche anticorrosion est un revêtement de type époxy et la seconde, une finition de type polyuréthane.
- Collage :
- La corrosion des ornements en fonte sest souvent soldée par des fissures ou des ruptures, localisées dans des zones de rétention deau. Les réparations ont été faites par collage des parties rompues au moyen dun adhésif structural de type époxy. Dans certains cas, il a fallu procéder à des recharges à laide dun produit similaire, enrichi en particules métalliques judicieusement dosées, et cela pour pallier les risques de couplage galvanique ultérieurs
Décoration : 1,8 kilogramme dor en feuilles titrant 980/1000 ont été nécessaires pour décorer les ornements en fonte. La pose de ces feuilles, extrêmement fines, relève du travail dorfèvre, car elle nécessite en effet lapplication localisée dun revêtement supplémentaire servant de base daccrochage à une préparation sur laquelle on applique délicatement les feuilles, qui sont ensuite matées à la gélatine.
- Analyses chimiques : Pour rétablir la couleur dorigine des structures et des fontes, il a fallu analyser plus de 150 écailles de peinture, prélevées sur lensemble de louvrage. Les analyses ont permis de préciser deux points :
- dune part, au moment de linauguration, que celui-ci était dune teinte claire et quil a, depuis, fait lobjet de cinq campagnes dentretien.
- dautre part, didentifier le gris comme couleur dorigine
- Couleur et teinte d'origine : De semblables investigations ont été conduites sur les pièces de décoration et en particulier, comme ici, sur des pièces dorées à la feuille. Cette coupe micrographique dune écaille de prélèvement révèle ainsi lexistence de cinq couches de feuilles dor, dépaisseurs différentes. Et lon observera que cest la première dentre-elles qui présente en réalité lépaisseur la plus faible.
État général de santé du Pont
Dune manière générale, létat de santé des super structures de cet ouvrage métallique centenaire sest révélé satisfaisant, puisque seulement 10 tonnes dacier furent nécessaires pour changer les éléments défectueux. Enfin, furent également remplacés des éléments dassemblage corrodés, tels que des goupilles de liaison ou, comme on le voit ici, des pièces de boulonnerie par exemple.
Application du système anti-corrosion
Afin de pallier les condensations intempestives et les risques doxydation du substrat, sur site, la première couche de peinture daccrochage a été appliquée immédiatement après décapage par projection, tant sur les voussoirs que sur les super structures. Cette opération, complétée par deux couches de finitions, a été exécutée par tranches, sous le contrôle dun organisme agréé, et lorsque les conditions atmosphériques de température et dhygrométrie étaient favorables.
Deux tranches de travaux
Les traitements de surface tels quils ont été conçus et réalisés dans le cadre de la restauration du Pont Alexandre III ont été exécutés en deux phases de huit mois de durée chacune. Larc amont a été restauré avant larc aval et les travaux ont été conduits, sans interruption de trafic, tant fluvial que routier.
Entretien général de l´ouvrage
Pour terminer, cette vue, prise depuis la rive droite de la Seine, illustre en détail le résultat des traitements de surface, réalisés deux ans auparavant sur les structures et les super structures internes du Pont Alexandre III, dans le cadre dune campagne dentretien. Cest-à-dire sur les 13 arcs internes dépourvus dornements en fonte, qui ont été décapés par projection dabrasif, puis revêtus dun système agréé de peinture anti corrosion.