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Les tribulations de deux Suisses en Chine

Publié le 17 mars 2008

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A l'origine, le «nid d'oiseau» (bird's nest), le stade olympique de Pékin construit par Pierre de Meuron et Jacques Herzogétait, était plutôt un bol avec couvercle... Mais la Chine a l'art de s'approprier, d'adapter à ses besoins et à sa manière de penser tout ce que l'Occident lui propose. Ainsi en va-t-il du déjà fameux stade de Pékin, emblème des futurs Jeux olympiques commandité aux architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Et le duo de s'en féliciter, tout en pestant contre les obstacles bureaucratiques qui freinent la réalisation de leurs projets chinois.
Les tribulations de deux Suisses en Chine  - Batiweb
Comment composer avec cette Chine en plein boom qui fascine et qui effraie, qui suscite la ruée comme les appels au boycott?, demande Bird's Nest de Christoph Schaub et Michael Schindhelm. Un documentaire qui ne pouvait mieux tomber, à la veille des Olympiades d'août.

En ce début d'année traditionnellement dévolu au cinéma suisse, voici un film qui sort nettement du lot, et ce malgré son démarrage alémanique discret et une carrière festivalière à peine commencée (la première a eu lieu aux Journées de Soleure en janvier). Après tout, les films européens tournés en Chine ne sont pas encore légion! Un sujet singulièrement ambitieux, une réalisation hasardeuse qui s'est étalée sur quatre ans, de 2003 à 2007, et une belle intelligence de mise en scène: voilà qui fait un objet exceptionnel, dont la découverte au cinéma plutôt que sur petit écran se justifie pleinement.

C'est d'abord un film où tout est double: deux réalisateurs, deux architectes, deux pays, deux projets architecturaux. D'où sans doute son étonnante richesse, fruit d'un dialogue permanent. Pour Jacques Herzog et Pierre de Meuron, stars bâloises de l'architecture mondiale et amis d'enfance aujourd'hui quinquagénaires, l'affaire est entendue depuis longtemps: l'union fait la force. C'est peut-être ce qui leur a permis de mettre au point une architecture vraiment à l'écoute de l'autre, qui part toujours du contexte culturel spécifique dans lequel s'inscrit chaque projet. Par contre, la chose est nettement plus rare pour le cinéma. Due en l'occurrence à la fusion de deux projets concurrents, elle a permis d'allier l'indéniable métier du Zurichois Christoph Schaub (Les Voyages de Santiago Calatrava, Jeune homme) à la curiosité et aux intuitions de l'Allemand Michael Schindhelm, ancien directeur du Théâtre de Bâle dont c'est ici le deuxième film.

Bird's Nest ne chroniquerait que la conception et la construction dudit stade olympique de Beijing, qu'il serait déjà un document formidable. Le récit que font les deux architectes de leur concept, puis la chronique du passage des plans à l'assemblage réel de cette structure métallique des plus audacieuses, vous font déjà comprendre beaucoup de choses. Sur l'architecture visionnaire et l'échelle des possibilités chinoises en particulier. Mais le film va plus loin, posant un vrai regard sur la Chine d'aujourd'hui.

La meilleure idée des auteurs est de s'être tout autant intéressés à un autre projet mené en parallèle par le duo (et les 250 employés de leur bureau): un nouveau quartier à Jinhua, ville moyenne (3 millions d'habitants!) au sud-ouest de Shanghai. Un projet pour l'heure en panne. Enfin, comme les deux architectes, les cinéastes profitent d'intermédiaires qui nous aident à approcher le point de vue chinois: l'ex-ambassadeur et collectionneur d'art Uli Sigg, l'artiste conceptuel Ai Weiwei - un conseiller de la première heure - et quelques autres, associés, bureaucrates ou simples pékins, comme Fang Hanting, rare jeune homme resté dans un village qui se meurt, sa jeunesse siphonnée par la croissance de Jinhua.

De manière complémentaire au magnifique L'Etoile imaginaire/Il manque une étoile (La stella che non c'è) de Gianni Amelio se dessine dès lors une tentative d'approche du géant chinois. Par le haut plutôt que par le bas, mais de manière tout aussi respectueuse - quoique révélatrice de certaines contradictions du pays. Parmi celles-ci, un désir d'ouverture très circonspect, marqué par un sentiment d'être incompris, doublé d'une fierté parfois retorse. En butte à de multiples vexations, Herzog et de Meuron doivent ainsi faire preuve d'un sens diplomatique, d'une philosophie et d'une capacité à rebondir souvent remarquables. Leurs projets soucieux des traditions et d'un usage sur la durée sont pourtant une chance pour une Chine qui construit le plus souvent à la hâte, de préférence dans une uniformité et un gigantisme écrasants.

L'architecture et la globalisation peuvent-elles rendre plus vivable le monde de demain? Là est toute la question posée plus largement par ce film, lui aussi admirablement construit. Car l'essentiel est bien de ne pas troquer un enfer pour un autre. La belle capacité des Chinois à investir collectivement l'espace public survivra-t-elle au mouvement actuel d'entassement dans des mégalopoles? Soucieux de qualité de vie, Herzog et de Meuron proposent une autre voie mais se heurtent souvent à un mur d'incompréhension. Entre utopie visionnaire et pragmatisme, qu'il soit collectiviste ou individualiste, le fossé subsiste. Et entre le bol à riz, le nid d'oiseau et la couronne d'épines, leur art laisse une belle place à l'interprétation.

Bird's Nest - Herzog et de Meuron en Chine, film documentaire de Christoph Schaub et Michael Schindhelm

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