Les chercheurs surveillent de près les autoroutes
Ces organismes sont nés en 1980 d’une inquiétude de l’Etat face l’extension rapide du réseau autoroutier. Les décisionnaires politiques craignaient alors l’émergence de déséquilibres structurels et économiques sur le territoire. Devant la montée en puissance d’une période de récession il s’agissait pour eux d’éviter un développement empirique du réseau autoroutier ayant pour conséquence des bouleversements profonds, à l’image de ceux nés au XIXè siècle, lors de l’installation du chemin de fer.
Pour y voir plus clair ils adoptèrent la loi LOTI (loi d’orientation des transports intérieurs). Ce texte imposait aux entreprises en charge d’un grand projet autoroutier de dresser périodiquement un bilan des conséquences économiques et sociales de leurs autoroutes sur la population locale. Le premier observatoire autoroutier issu de cette disposition devait ainsi naître en 1985 à Clermont-Ferrand. La SAPRR devait avec lui étudier l’influence de l’axe autoroutier entre la capitale auvergnate et Bourges.
Depuis cette date, ces organismes initiés par les sociétés d’autoroutes, se sont multipliés. Les observatoires autoroutiers regroupent un florilège de savants et chercheurs, surtout des géographes. Leur rôle consiste à étudier l’influence des nouveaux axes de circulation sur les tissus économiques et sociaux locaux et, depuis une dizaine d’années, sur l’environnement. Les analyses de ces chercheurs portent en premier lieu sur l’activité des entreprises du BTP dont l’évolution constitue un véritable baromètre de l’activité locale. Ces études permettent ainsi de déceler les modifications profondes du territoire et surtout de les anticiper. Elles conditionnent les décisions des élus locaux quant à la création de zones d’activité ou d’habitat et, par delà, le développement à venir des villes et des régions.
C’est en effet souvent à partir de leurs analyses que sont implantées les bases logistiques qui irriguent le territoire. Les observatoires ont également étendu leurs travaux aux autoroutes elles-mêmes. Ils permettent souvent de déterminer avec justesse les emplacements des grandes aires d’arrêt. Loin d’être anodines, ces zones où les automobilistes transitent entre quelques minutes et plusieurs heures peuvent donner lieu à la création, suivant la saison et leur emplacement, de plusieurs centaines d’emplois. Mais, comme le confiait à notre confrère Le Monde Jean Paul Laborie, professeur à l’université de Toulouse et responsable d’un observatoire regroupant cinq chercheurs sur l’A20 entre Brive et Montauban, «il faut rester modeste. Il n’est pas possible de tirer aujourd’hui de nos observations un modèle type de développement qui résulterait de l’implantation d’une autoroute».
Ainsi, nombre d’élus locaux ayant âprement lutté pour obtenir un échangeur sur un nouvel axe en ont fait l’amère expérience. Certains ont en effet à grands frais viabilisé de vastes zones destinées à l’accueil d’hypothétiques industries qui ne sont jamais venues. Il est même arrivé que certaines agglomérations voient leur population, loin de prospérer localement grâce à l’autoroute, profiter du nouvel axe pour migrer massivement et quotidiennement vers d’autres villes.
Aujourd’hui, les observatoires autoroutiers servent de modèle à la plupart des pays européens où ils accompagnent, comme en Grèce, la création d’un axe de 700 km. Leurs tâches se sont désormais étendues à l’environnement. C’est à eux que l’on doit par exemple la création de passages souterrains et de buses permettant à la faune, telles les grenouilles ou les petits mammifères, de franchir les voies autoroutières. Avec le temps et l’interconnexion des grands axes autoroutiers, ils constituent un réseau efficace de surveillance et de prospective dont la dimension est appelée à devenir de plus en plus européenne.