Le ministère de la Culture s’emprisonne dans un échafaudage
Il vient donc, pour la circonstance, d’offrir à ses bâtiments une peau avant-gardiste déconcertante, sous forme d'une résille brillante en tôles d'acier inoxydable découpées au laser et dite à caractère ornemental…
Il aura fallut en fait plus de dix ans et six ministres pour voir aboutir la rénovation des bâtiments du ministère situé dans l'îlot des Bons-Enfants, au cœur du IIe arrondissement de Paris. Le résultat, au moins en vitrine, est à la mesure de cette difficile gestation.
Les corps des deux bâtiments en question, enserrés dans ce qui de prime abord pourrait passer pour un vaste échafaudage, supportent une zigzagante résille d’acier qui chemine et se répand, tel un caramel fondant au bout d'une cuillère en bois, sur toute leur surface. Cette peau déchirée en tôle d’acier inoxydable recouvre ainsi indifféremment, tel un bas filé, les murs, les fenêtres et les corniches de la magnifique façade désormais quasi invisible de l’immeuble très parisien conçu en 1920 par l’architecte Vaudoyer.
Un bâtiment dont l’architecture figurait jusque-là parmi les symboles, certes encore nombreux, de l'urbanisme parisien du début XIXéme siècle. Son voisin, un immeuble construit par l’architecte Lahalle dans les années 50, est lui aussi avalé et digéré dans la même nasse tentaculaire de l’implacable emballage.
Mais l’omni présence de cette résille d’acier ne se limite pas aux façades. A l’intérieur, ses effets sont tout aussi saisissants. Chaque ouverture se voit ainsi occultée par un enchevêtrement d’épaisseurs métalliques qui évoque instinctivement l’emprisonnement. En se frayant un chemin dans ce dédalle de circonvolutions la lumière pénètre au sein des volumes intérieurs dans la plus parfaite anarchie. Les futurs occupants devront sûrement faire preuve de beaucoup d’imagination pour se donner l’illusion de travailler sous de bucoliques branchages.
Evidemment, ce concept ornemental répond aux desideratas de la maîtrise d'ouvrage. Celle-ci a souhaité d'une part, créer une lecture unique entre deux bâtiments d’époques différentes et d'autre part pallier à toute ségrégation visuelle entre les bureaux sur rue et les bureaux sur cour. Une uniformité dont le caractère se veut résolument artistique et dont l’objectif, qui n’est d’ailleurs pas réservé à l’architecture, vise en quelque sorte à gommer la noblesse de la face avant au bénéfice de la face arrière. Par ailleurs, cette uniformité semble aussi avoir pour vocation d’associer la création contemporaine et la conservation du patrimoine.
Dans le cas présent il semble évident que le contemporain l’emporte largement, au point d’avoir fait disparaître avec une grande efficacité la trace culturelle des réalisations antérieures. Reste désormais à chacun le soin d’apprécier et d’appréhender le sens d’une telle réalisation. Dans la rue, nombre de riverains encore mal renseignés, attendent toujours le démontage de ce curieux échafaudage pour se faire une opinion sur les façades rénovées des deux immeubles. Néanmoins, la plupart restent dubitatifs face au caractère perpétuel de l’ouvrage. Certains vont même jusqu’à penser qu’ils ont malencontreusement «zapé» une étape culturelle de leur époque…