Les amoureux nostalgiques du célèbre hôtel du Nord, sur les quais parisiens du canal Saint Martin, vont se lamenter encore quelque temps. Le canal est vide, on lui refait un lit tout neuf
Le canal Saint Martin occupe une large place dans le patrimoine et l’histoire de la capitale. Sa construction, ordonnée par Napoléon 1er en 1802, fut achevée en 1825. Avec une longueur de 4 500 mètres, cette voie d’eau en partie souterraine, permet de couper une large boucle de la Seine. Le canal part du bassin de la Villette, au nord de Paris, pour aboutir au sud, dans le bassin de l’arsenal, son autre lien avec la Seine. À l’origine, le canal fut créé pour alimenter la capitale en eau pure. Ironie de l’histoire, sa naissance fut financée par une taxe sur le vin. Les travaux initiaux furent difficiles et le chantier dura plus de 20 ans. Le lit du canal est en effet bâti sur un sous-sol parcouru de trous, de tunnels et de carrières. L’ingénieur Pierre Simon Girard eut l’idée, pour construire le lit du canal, d’appuyer le radier de meulière qui forme le fond sur une forêt de pieux, enfoncés chacun de 10 mètres dans le sol. La fragilité de sa construction et la faiblesse des ouvrages intermédiaires, notamment des écluses, conduisirent le Baron Haussmann à revoir considérablement l’ouvrage dès le second empire. D’autant que le canal ne se limitait plus à l’alimentation en eau, mais était devenu une voie navigable majeure de la capitale. Depuis cette date, à l’exception de quelques nettoyages, aucune restauration n’a eu lieu. Au-delà du charme bucolique des rives qui depuis un siècle sont le refuge privilégié des amoureux, le canal vieillissait mal et vite. Le maniement de ses 9 écluses était depuis longtemps une épreuve de force et depuis 1999, l’étanchéité du radier montrait de sérieux signes de faiblesse. Si le fond du lit s’était massivement affaissé, l’inondation aurait rapidement tourné à la catastrophe. Pour les voies de surface, les centaines d’immeubles mitoyens, les réseaux souterrains et les tunnels du métro c’était une noyade assurée et, suivant l’ampleur du désastre, une hécatombe garantie. Il fallut donc 2 jours aux entreprises menées par Sollétanche-bachy pour vider le canal et plusieurs autres, pour en sortir les dizaines de tonnes d’objets en tout genre immergés par les parisiens. En 1993, lors d’un nettoyage partiel, plus de 40 tonnes de déchets avaient été sorties du lit. Bien que non vérifié, le record semble aujourd’hui battu. En dehors de ces tonnes d’objets hétéroclites et souvent très anciens, ce furent des dizaines de véhicules et des centaines de 2 roues qui furent ainsi récupérés. Un véritable marché aux puces propre à faire rêver les brocanteurs. Mais, à la grande déception des amateurs de romans policiers de Simenon ou Léo Mallet, le mythe des cadavres immergés et des meurtres impunis ne s’est pas vérifié. Le canal Saint Martin n’est pas un cimetière clandestin. Son chantier cependant n’est pas celui d’une simple restauration. En effet, les entreprises doivent entièrement reconstruire le lit de la voie d’eau sur un sol qui, comme à son origine, est un véritable gruyère. Aux grands maux les grands remèdes. Pour tenir le nouveau radier, ce ne sont pas moins de 1045 forages qui ont donné naissance à des colonnes de béton ancrées à 54 mètres dans le sous-sol. À ces pieux vont s’additionner 844 micropieux armés d’acier qui renforceront les anciens, en prenant appui à 30 mètres de profondeur. En surface, ce sont 1300 m3 de béton armé qui offriront au canal un lit tout neuf, à l’exact emplacement de l’ancien. Un coulage de grande délicatesse car l’étanchéité, pour éviter la catastrophique inondation, doit être parfaite. Un chantier de 15 millions d’euros pour qu’à nouveau les touristes puissent rêver, en passant sous les passerelles romantiques et les châtaigniers centenaires, chers au célèbre film de Marcel Carmé, à son Hôtel du Nord, à la réplique atmosphérique d’Arletty ou encore aux mésaventures de Villon qui lui, manqua réellement d’y mourir deux fois. Un chantier qui enfin devrait définitivement sauver cette voie d’eau, de lumière et d’oxygène, que les stakhanovistes de la circulation voulaient, en 1970, éliminer au profit d’une voie de circulation rapide traversant la capitale.