Le BRGM joue les fourmis pour inventorier la France des ténèbres
Il envisage diverses mesures réglementaires. Mais pour réglementer et appliquer des restrictions sur l’environnement, encore faut-il le connaître. Or, à l’exception des sites miniers et des plus grandes agglomérations, il n’existe en fait à l’époque aucun inventaire précis de la France souterraine. Le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) se voit donc confier cet inventaire. L’ambition est louable mais sans doute sous-estimée.
Quatre plus tard cet inventaire n’est réalisé que dans 13 départements. Une lenteur qui s’explique doublement. D’une part la France recèle une extraordinaire richesse de sites souterrains. D’autre part, pour réaliser un inventaire juste, les hommes du BRGM sont devenus au fil du temps des fourmis chercheuses contraintes à sonder la mémoire des hommes, jusque dans ses moindres recoins.
En effet, si aujourd’hui le BRGM peut avancer une estimation sur le nombre de cavités du pays (elle seraient de l’ordre de 500 000) les trouver, les identifier et les cartographier est une tout autre affaire. Outre les galeries souterraines naturelles, l’homme creuse sans discernement le sol français depuis trois mille ans. Il creuse d’ailleurs avec une énergie qui, au regard de certaines cathédrales souterraines édifiées à la force des bras, laisse souvent pantois.
Quand, en outre, il aménage le sous sol, c’est très souvent par nature pour cacher quelque chose ou pour se cacher lui-même. Une raison suffisante pour expliquer que la plupart du temps, il n’existe pas d’autre solution que d’interroger les habitants ou de fouiller dans leur passé pour découvrir ce que recèle leur sous-sol. C’est ce que font les hommes du BRGM.
Pour recenser la France souterraine, il faut donc endosser sans cesse différents costumes. D’abord celui d’un géologue, capable de déterminer les terrains les plus propices à l’existence des galeries et des cavités. Mais là n’est pas le plus complexe surtout lorsqu’on est membre du prestigieux BRGM. Le plus difficile en fait réside au sein des régions ou normalement aucune cavité ne devrait exister. Et ces lieux sont infiniment plus nombreux.
A chaque époque, à l’occasion de chaque conflit local ou national, lors de la création de toutes les places fortes, que ce soit pour assurer sa fuite, pratiquer clandestinement sa religion ou plus simplement pour assumer et conserver ses ressources, l’Homme n’a jamais cesser de creuser des cavités. Le problème est qu’aujourd’hui, il les a très souvent oubliées. Les ingénieurs se font alors enquêteurs, historiens, ethnologues ou tout simplement chercheurs.
Les sources d’information forment un jeu de piste ou seule une grande pratique permet de gagner du temps. Il y a bien sûr les archives des collectivités locales, territoriales et de l’armée. Il faut cependant savoir les sélectionner et surtout les interpréter. Les légendes des galeries et de souterrains attachées aux sites historiques emmènent sans cesse ces chercheurs de la mairie au département, du département à la préfecture et parfois même, de la préfecture à la Bibliothèque nationale.
D’autres services détiennent aussi l’information, ceux de la DDE, de la SNCF ou encore de la DDI. Il faut même quelques fois consulter les collections des journaux locaux pour retrouver l’accès de carrières aujourd’hui disparues. D’autres acteurs forment aussi des auxiliaires incontournables. Ce sont les spéléologues, les agriculteurs ou même les associations attachées à la vie d’un site. Ainsi, très souvent, c’est la conjugaison de toutes ces ressources qui permet au BRGM le recensement d’une galerie oubliée mais bien réelle. La découverte de la France cachée des ténèbres par les ingénieurs revêt ainsi fréquemment l’allure d’une partie de cache-cache entre Histoire, mystère et mémoire..
Il arrive aussi que l’affaire soit un jeu de dupe. Ainsi dans le Nord et la Picardie, où les sous-sols forment un labyrinthe de sapes, les plans falsifiés de l’armée, conçus en leur temps pour tromper l’ennemi, sont maintenant mélangés aux vrais. Seule alors, l’intervention d’un spécialiste de la Grande Guerre peut aider le chercheur à trouver son chemin. Idem au pays Cathare où là ce sont les légendes et les sites qui se mêlent à l’infini pour égarer le cartographe.
Au bout du compte, malgré une technologie poussée permettant aujourd’hui de sonder les sols sans quitter la surface, les hommes du BRGM sont entraînés dans un travail de recherche d’une extrême minutie. Un travail de fourmis qui, au rythme où vont les choses, devrait encore les mobiliser de très très longues années…