L'Hermione La Fayette, la revoilà ! Ou 130 années d'histoire de l'architecture marine
Enfin, abritée des intempéries par une bâche blanche géante, on découvre la frégate Hermione, fille chérie de la ville.
L'Hermione, célèbre frégate qui conduisit La Fayette aux Amériques en 1780 pour y rejoindre Washington et ses insurgés, est bien morte éventrée sur des récifs bretons, le 20 septembre 1793. Mais le XXe siècle lui a offert un clône qui grandit chaque jour depuis novembre 1997, dans la cale sèche d'un arsenal édifié en 1666. Pourquoi ? Parce qu'en 1990, une poignée d'amoureux de l'ancienne marine et de ses bâtiments construits dans l'arsenal de Rochefort cherchent à pallier la baisse d'activité de la ville, après la fermeture de l'arsenal en 1927 et, plus tard, le départ de la marine.
Une solution originale est trouvée : et si l'on reconstruisait à l'identique un des 550 navires sortis de l'arsenal ? L'Hermione, symbole du débarquement français en Amérique, est toute désignée.
Fédérateurs de ce projet : l'académicien Erik Orsenna, président fondateur, et Benedict Donnelly, fils d'un GI débarqué en Normandie et président de l'association Hermione-La Fayette créée en 1994. Début du chantier en février 1997 ; traçage en salle et pose de la quille en juillet de la même année. La nouvelle Hermione aura les mêmes mensurations que l'ancienne : 44,20 mètres de long sur 11,20 mètres de large. Hauteur de la coque : 12 mètres pour un poids total de 1 256 tonnes. Fin du chantier prévue en 2011, soit quatorze ans de travaux.
Une incroyable aventure qui dure depuis onze ans
Pourquoi autant de temps, alors que la construction de l'Hermione première version aura duré moins d'un an ? Elle est décidée le 23 octobre 1778, mise en chantier en décembre, et livre son premier combat les 29 et 30 mai 1779 !
« On ne peut pas comparer les délais de construction des deux Hermione, explique Laurent Da Rold, directeur de projet depuis un an. Il a fallu réunir les exigences liées au respect de l'histoire à celles imposées par les normes actuelles de sécurité et d'hygiène. Qui plus est, ce bateau, dont le coût total avoisinera les 20 millions d'euros, n'a pas vocation à devenir un musée mais à naviguer. Même si cela heurte les puristes, il y aura deux moteurs (pour le cas où), des salles de bains et des instruments de navigation perfectionnés. Les sommes investies par la Région, la municipalité et le département, entre autres, ne peuvent finir au fond de l'eau sous le prétexte de refuser la modernité. L'Hermione n'est pas un jouet pour riches. »
Jacques Haie, un des 10 charpentiers « monuments historiques » de l'entreprise Asselin, travaille sur l'Hermione depuis 1997. Il a participé dans le temps à la restauration des grandes écuries de Chantilly. « Si notre travail est aussi long, assure-t-il, c'est que nous avons respecté au maximum les méthodes artisanales de l'époque. Nous calfatons à la main avec des outils du XVIIIe siècle. Les jeunes qui passent des heures à installer centimètre après centimètre du chanvre goudronné entre les planches pour assurer l'étanchéité de la coque découvrent un travail oublié et éreintant. Ils redécouvrent l'histoire, un métier, et surtout l'excellence et la solidarité. Le chantier de l'Hermione enrichira leur CV et leur donnera de solides repères. »
« N'oubliez pas, poursuit François Asselin, chef de l'entreprise du même nom, que les bateaux de l'époque étaient construits à toute vitesse, sans le soin que nous y mettons. Le bateau devait vivre quinze ans tout au plus, et finissait coulé par des boulets ennemis. »
La coque de l'Hermione équivaut à 1 000 mètres cubes de chêne oeuvré, soit des centaines d'arbres dont on n'aura utilisé que le coeur, autrement dit 25 %. Les plateaux de chêne destinés à la frégate ont en général plus de 150 ans, nous confirmera-t-on sur place. Le chêne de l'arsenal venait autrefois par voie d'eau du Limousin, d'Anjou, du Berry ou du Bourbonnais. Aujourd'hui, il provient de l'ouest de la France, et certaines grumes, de Fontainebleau ou du Grand Trianon à Versailles.
La construction d'un tel bateau nécessite un véritable savoir-faire. Une douzaine de métiers interviennent sur le chantier : bûcherons, charpentiers de marine, calfats, menuisiers, sculpteurs, forgerons, gréeurs, voiliers, peintres, historiens, comme le rappelle Jean-Marie Ballu, auteur de L'Hermione, l'aventure de sa reconstruction (Editions du Gerfaut).
L'Hermione emportait en mer une ancre de 4 mètres qui pesait 1,5 tonne, 26 canons tirant des boulets de 12 livres, 313 marins, un curé et un chirurgien qui opérait, entre deux salves, des blessés horriblement mutilés sans désinfecter ses instruments.
Chaque année, depuis 1997, des milliers de visiteurs viennent ou reviennent voir l'état du chantier. Tout le monde attend impatiemment la mise à l'eau du navire, prévue en 2011, et son départ pour les Amériques. Quelques heureux élus seront de la traversée. Les autres se contenteront d'un voyage de deux cent trente ans au coeur de l'histoire maritime.