Depuis 30 ans les architectes se succèdent autour de la plus grande tour de Boston pour l’empêcher de s’effondrer. Mais depuis sa naissance le destin s’acharne sur l’immeuble.
La vie joue parfois de bien mauvais tours aux lieux, comme elle le fait pour les hommes. Les Hindous appellent ça le Karma, les occidentaux le destin. Celui de la plus grande tour de Boston prend l’allure, depuis 29 ans, d’un film catastrophe. Commandée par la compagnie d’assurance John Hancock qui souhaitait y installer son siège, la tour a rencontré ses premières difficultés lors du creusement de ses fondations, au cœur de la vieille ville, entre 2 bâtiments du XIXe siècle. Les travaux d’excavation du puit central faillirent en effet provoquer l’effondrement de tout le centre-ville de Boston. Certains à l’époque parlèrent de mauvais présage. La situation fut sauvée à coups de contreforts d’aciers qui doublèrent la facture des fondations. Une fois l’ouvrage dressé sur une hauteur de 344 mètres, les architectes constatèrent que les oscillations étaient telles qu’il était impossible d’y travailler. On lui attribua le syndrome de la danse du cobra, un syndrome très proche en fait du rouli maritime. Dans la nuit 6 janvier 73, alors que les constructeurs s’interrogeaient pour corriger le problème, sous l’effet d’un vent violent, plus de 60 vitres, de 200 kg chacune, se détachèrent des façades pour s’abattre dans les rues. Ce phénomène marqua le début d’une mue qui dura jusqu’en avril. A chaque chute, on remplaçait les vitres par une planche de contreplaqué noire. La carapace rapiécée de la tour la fit bientôt ressembler à un vieux patchwork et son surnom devint « Plywood Palace » (palais en contre-plaqué). Néanmoins, la recherche de l’origine de ce nouveau problème fut renvoyée à plus tard, l’urgence était au rouli. Un ingénieur de Cambridge, William Le Messurier vint alors installer un système expérimenté peu avant dans un autre immeuble de New York. Il s’agissait de 2 boîtes d’acier d’1 m3, remplies de plomb, placées au sommet de la tour. Les boîtes, montées sur des rails, devaient en roulant à l’opposé de chaque inclinaison compenser la fâcheuse « danse du cobra ». Peine perdue, la tour continua à danser avec, en supplément le ballet incessant au sommet, de ses boîtes de plomb. Le temps passait, la tour restait vide et il fallut quelques années pour trouver l’origine de la chute des vitres. Elle fut finalement découverte. Les joints maintenant les cadres métalliques des vitres étaient si solides que la dilatation des matériaux, due à l’amplitude thermique, était transmise au verre qui ne résistait pas. En ajoutant la modeste somme de 7 millions de dollars, les 10 300 panneaux de verre et leurs joints furent changés. Devant l’accumulation des incidents, toutes les personnes amenées à travailler sur la tour durent alors signer un pacte de secret. Outre la ruine, le constructeur craignait en effet qu’un vent panique ne gagne les autres immeubles. Ce pacte du silence fut respecté par tous durant 20 ans, moyennant quelques fois quelques petits arrangements. Des milliers de tables en verre et de serres provenant des vitres encore entières de l’immeuble firent ainsi leur apparition dans les foyers bostoniens, tandis que tous les chantiers de la ville s’habillaient des contre-plaqués récupérés. En définitive, il fallut, pendant des années, renforcer la tour de centaines tirants et de câbles de toutes natures, passant dans les escaliers et les cages d’ascenseur. Enfin, pensant l’ouvrage stabilisé, le constructeur fit venir de Zurich Bruno Thurlimann, un spécialiste des ouvrages de grande hauteur. A l’issue de ses calculs, celui-ci déclara stoïquement qu’un jour, quand le vent serait un plus fort, par une simple poussée, le gigantesque losange s’effondrerait sur sa tranche, comme un arbre scié à sa base. Depuis cette date, la tour presque vide attend. Son budget a atteint des coûts records sur lesquels la compagnie ne fait aucune publicité. Au sol, les citadins indifférents semblent avoir oublié l’épée de Damoclès suspendue à plus 300 mètres au-dessus de leurs têtes. Au soixantième étage, les touristes, toujours étonnés par la magnificence de l’ouvrage, s’émerveillent par temps clair de la vue sur le Cap Cod. La notoriété du constructeur n’a pour sa part, jamais souffert de tous ces petits aléas.