Il y a bientôt 50 ans, un des plus grands chantiers du siècle : le haut barrage d'Assouan
Les fonds recueillis afin de permettre sa construction avait la particularité de provenir en partie de l'Union Soviétique. Le choix de cette source était révélateur des tensions qui existaient alors dans cette région du globe, l'Égypte devant protéger sa souveraineté face à des nations aussi importantes que la France, Israël et la Grande-Bretagne, pays qui avaient tenté sans succès d'envahir l'Égypte en 1956 lorsque le gouvernement égyptien nationalisa le canal de Suez, lieu stratégique pour la circulation maritime de cette région du monde. Environ le tiers du coût de la construction (sur un total de près d'un milliard $) provenait d'Union Soviétique. D'ailleurs la contribution du géant communiste ne se limita pas qu'à l'aspect monétaire car plus de 400 techniciens et ingénieurs du bloc de l'Est furent employés lors de la réalisation des travaux. Les 650 millions $ manquants furent prélevés à même les bénéfices engendrés par la nationalisation du canal de Suez.
Normalement, la construction d'un barrage d'une telle ampleur apporte son lot de contro-verses et le Haut barrage d'Assouan ne fit pas exception. Bien que vital pour le développement du pays, le barrage allait créer un immense réservoir d'eau qui recouvrerait une région riche en vestiges archéologiques. En 1960, une importante opération de sauvetage dirigée par l'UNESCO fut réalisée afin de préserver les monuments les plus importants. L'opération se déroula en trois étapes : exploration de la région affectée, excavation des sites archéologiques et finalement le déménagement de certains monuments. Des monuments furent démantelés et déplacés, 20 en Égypte et 4 au Soudan (pays voisin dont une partie du territoire allait être recouvert par les eaux du futur réservoir) et le site le plus important fut sans contredit celui des temples nubiens d'Abou Simbel qui à eux seuls mobilisèrent plus de 900 personnes pendant plus de deux ans. Plusieurs autres monuments n'eurent toutefois pas cette chance et furent engloutis par les eaux, non sans avoir fait l'objet d'étude de la part d'archéologues venus de partout à travers le monde.
La construction du barrage débuta en 1960, se termina en 1971 et mobilisa 30.000 travailleurs. Il a d'abord fallu creuser un canal de dérivation pour détourner le Nil de son cours. 10 millions de m3 de granit furent ainsi excavés. Le canal mesure 1950 m de long, 80 m de profondeur et 200 m de large à certains endroits. Son débit atteint 11 000 m3/s et ses eaux actionnent les 12 turbines de la centrale électrique qui fournit 8 milliards de kW/h par année. Une fois les eaux du Nil déviées, la construction proprement dite du barrage débuta. Il fallut entasser 43 millions de m3 de roche et de gravât, soit 17 fois la haute pyramide de Chéops. Le barrage s'étire sur 4 km, atteint 114 m de hauteur au-dessus du Nil et a une épaisseur de 1,5 km à sa base. Il a donné naissance à l'un des plus hauts lacs artificiels du monde, baptisé Nasser (en l'honneur du président égyptien Gamal Abdel Nasser, décédé en 1970), qui s'étend sur 500 km de long et contient 169 milliards de m3 d'eau. Environ 17% de ce réservoir recouvre le Soudan, de sorte qu'une entente entre les deux pays existe en ce qui concerne la distribution de l'eau. Le barrage eut également des conséquen-ces sur près de 100 000 personnes qui vivaient sur le territoire visé, ce qui entraîna l'exode de cette population, certains d'entre eux étant même relocalisés à plus de 600 km de là.
La réalisation de ce barrage eut plusieurs effets bénéfiques sur la région : contrôle du débit du fleuve, élimination des inondations annuelles, augmentation de plus de 50% du pouvoir élec-trique de cette région, augmentation marquée du pourcentage de terre arable, augmentation de la production agricole de cette région et un réservoir liquide de plusieurs années d'irrigation en réserve. D'ailleurs, grâce à ce réservoir, l'Égypte fut en partie épargnée de la haute sécheresse qui a sévi à la fin des années 80 en Afrique.
Toutefois, le projet n'est pas entièrement une réussite et cause même certains désagréments : le limon apporté par la crue reste en partie bloqué en amont du barrage, comblant trop vite le lac, et les terres en aval ne reçoivent plus cet engrais naturel qui faisait autrefois la richesse de la vallée du Nil. Cela entraîne un appauvrissement des terres arables et l'on doit donc recourir à des fertilisants chimiques afin d'obtenir un rendement satisfaisant. De plus, le fleuve n'entraîne plus jusqu'au delta les matières solides qui empêchaient la Méditerranée de gagner sur les terres, ce qui accentue l'érosion du littoral. Également, en l'absence de crues, le fleuve ne chasse plus le sel venu de la mer (qui remonte des eaux souterraines), ce qui menace de stériliser une haute partie des terres irriguées. Autre conséquence, on note dans la région une augmentation de l'incidence de la bilharziose, une maladie parasitaire causée en partie par la présence d'eaux stagnantes. Finalement, le barrage constitue une menace en cas de guerre ou d'acte terroriste : s'il était détruit ou fortement endommagé, les eaux du lac submergeraient toute l'Égypte.
La réalisation du haut barrage d'Assouan eut un impact majeur sur l'Égypte. Il a permis à ce pays de se munir d'une véritable politique agricole et lui a assuré une véritable indépendance énergétique, lui permettant ainsi de solidifier sa base industrielle. Malgré les désagréments causés par son existence, le haut barrage d'Assouan figure en bonne position parmi les grandes réalisations d'infrastructures de ce siècle.